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Kinésithérapeutes : portée de la suppression définitive du numéro INAMI dans le cadre du plan social de 2002

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 février 2012, R.G. 2010/AB/00566

Mis en ligne le mardi 15 mai 2012


Cour du travail de Bruxelles, 10 février 2012, R.G. n° 2010/AB/00566

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 février 2012, la Cour du travail de Bruxelles confirme la licéité de la suppression à titre définitif du numéro INAMI dans la fonction de kinésithérapeute, dans le cadre de la reconversion mise en place par l’arrêté royal du 2 août 2002.

Les faits

Un kinésithérapeute indépendant demande en 2002 la possibilité de bénéficier du plan social organisé par le Ministre des affaires sociales permettant aux titulaires de cette profession qui ne souhaitent pas poursuivre leur carrière de se réorienter. Ce plan n’est ouvert qu’aux kinésithérapeutes ayant atteint un certain seuil de prestations remboursées dans le cadre de l’assurance obligatoire soins de santé. Tel est le cas.

L’intéressé confirme, dès lors, son souhait de bénéficier du plan de reconversion. Il envisage de s’inscrire à une formation de praticien de l’art infirmier à partir de la rentrée académique de la même année, soit le 1er septembre 2002. Il marque accord avec la suppression de son inscription comme kinésithérapeute. Il bénéficie de la prime versée par le Fonds de participation. Les études d’infirmier sont terminées en 2005. Il sollicite, l’année suivante, sa réinscription comme kinésithérapeute. Celle-ci lui est refusée vu la suppression définitive intervenue dans le cadre de la procédure mise en place dans l’arrêté du 2 août 2002. Une procédure judiciaire est introduite.

Par jugement du 26 avril 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles dit pour droit que l’INAMI doit procéder sans délai auprès de son service compétent à la réinscription du demandeur comme kinésithérapeute. Le jugement est assorti de l’exécution provisoire.

Position des parties devant la cour

L’INAMI, appelant, demande la réformation du jugement, afin que soit confirmée sa décision implicite de refus d’attribuer un numéro INAMI en tant que kinésithérapeute. A titre subsidiaire, il demande le remboursement des indemnités versées.

L’intéressé sollicite, comme il se doit, confirmation du jugement qui a fait droit à sa demande. En ce qui concerne l’éventualité du remboursement des indemnités, il soulève l’illégalité de l’arrêté royal du 2 août 2002, qui contiendrait une violation du principe de non-rétroactivité des actes réglementaires et constituerait une méconnaissance de l’effet de standstil contenu dans l’article 23 de la Constitution, et encore une violation du principe de confiance.

Position de la cour du travail

La cour est amenée à reprendre les textes applicables au litige, étant en premier lieu l’article 32 de la loi-programme du 2 août 2002, qui a introduit dans la loi coordonnée le 14 juillet 1994 un article 55bis permettant au Roi par arrêté délibéré en Conseil des Ministres de charger l’INAMI de prendre à charge du budget de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités les frais des mesures prises en vue d’augmenter ou de réduire le nombre de kinésithérapeutes. Il s’agit du plan social concrétisé dans l’arrêté royal d’exécution du 2 août 2002. Les conditions d’octroi des indemnités y sont précisées. Un autre arrêté royal ultérieur, daté du 13 janvier 2003, va organiser les conditions d’intervention pour certains kinésithérapeutes indépendants qui suivent une formation d’infirmier gradué, à partir de l’année académique 2002-2003. Il en ressort notamment que l’indemnité accordée aux kinésithérapeutes pour ce type de formation s’élève à 2.627,67€ par mois, indemnité due pendant toute la durée des études, indemnités dont l’intéressé a bénéficié.

La cour examine successivement les trois arguments de l’intéressé. Sur le principe de non-rétroactivité des actes réglementaires, la cour rappelle qu’en règle une loi nouvelle s’applique – sans qu’il en résulte un effet rétroactif – non seulement aux situations qui naissent en partie lors de son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans de nombreux arrêts (la cour les rappelant, dont le dernier, en date du 27 avril 2007, R.G. C.06.0363.N, Pas., 2007, I, n° 213).

Pour avoir un effet rétroactif, un arrêté royal doit dès lors remettre en cause une situation qui était irrévocablement fixée à la date de son entrée en vigueur. Examinant la situation qui lui est soumise, la cour conclut que tel n’est pas le cas.

En ce qui concerne les droits économiques et sociaux fixés à l’article 23 de la Constitution et l’effet de standstil y garanti, la cour rappelle qu’il faut entendre par là que l’autorité compétente ne peut réduire sensiblement le degré de protection offert par la législation applicable, sans qu’existent pour ce faire, des motifs liés à l’intérêt général. C’est la jurisprudence constante du Conseil d’Etat (dont le dernier arrêt cité en date du 23 septembre 2011, arrêt n° 215.309).

Dans la mesure où, à la date de l’entrée en vigueur de l’arrêté royal, l’intéressé ne pouvait pas se prévaloir d’un droit à une reconversion indemnisée sans suppression définitive du numéro INAMI, il n’y a pas d’atteinte à ce principe. La Cour relève encore surabondamment qu’une éventuelle régression significative aurait été justifiée par un objectif d’intérêt général, étant le contingentement du nombre de kinésithérapeutes autorisés à délivrer des attestations et que la mesure prise n’a pas d’effet disproportionné puisqu’elle a accordé d’importantes indemnités en contrepartie de la suppression définitive du numéro INAMI et a laissé la possibilité d’exercer une activité en-dehors du cadre de l’assurance soins de santé.

Il n’y a dès lors pas de violation de l’article 23 de la Constitution, d’autant que les autres mesures de contingentement prises n’ont suscité aucune observation ni de la part du Conseil d’Etat (section législation) ni de la part de la Cour constitutionnelle (la cour renvoyant à son arrêt du 21 juin 2006, n° 103/2006).

Enfin, en ce qui concerne le principe de légitime confiance, la cour en rappelle la définition dans la jurisprudence du Conseil d’Etat et retient que celui-ci n’a pas été enfreint, d’autant que l’intéressé a été informé de manière claire du caractère définitif de la suppression du numéro INAMI.

En conséquence, la cour réforme le jugement, déboutant l’intéressé de l’ensemble de son argumentation.

Intérêt de la décision

Le litige se meut dans un cadre spécifique, étant le plan social de 2002, pris dans le cadre du contingentement des kinésithérapeutes autorisés à délivrer des attestations INAMI. La cour y rappelle, de manière précise, les conditions mises à la réorientation, indemnisée par le Fonds de participation. Pour la cour, l’ensemble du mécanisme mis en place est conforme aux principes de non-rétroactivité et respecte les garanties de l’article 23 de la Constitution.


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