Terralaboris asbl

Compétence des juridictions du travail pour statuer sur l’imputabilité à l’accident du travail des absences (personnel enseignant de la Communauté Française)

Commentaire de C. trav. Mons, 10 janvier 2012, R.G. 2011/AM/101

Mis en ligne le mercredi 13 juin 2012


Cour du travail de Mons, 10 janvier 2012, R.G. n° 2011/AM/101

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 janvier 2012, la Cour du travail de Mons considère qu’une demande relative à l’imputabilité à un accident du travail d’absences postérieures à la date de consolidation basée sur le décret du 5 juillet 2000 ne trouve pas son fondement dans la législation sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle considère que la cause doit être, sur ce point, renvoyée au Tribunal de première instance.

Les faits

Une enseignante (professeur de cuisine) est victime d’un accident du travail, lors d’une manipulation d’une plaque d’un four. Elle tombe en incapacité de travail, incapacité qui va durer 3 ans. Elle reprend le travail à mi-temps pendant 2 mois et, ensuite, à temps plein pendant une semaine, essentiellement dans des cours théoriques et d’autres prestations n’impliquant pas de la pratique professionnelle.

A la rentrée scolaire suivante, l’institut où elle preste ne lui propose plus un travail adapté et elle se retrouve en incapacité totale de travail. Elle est, 2 ans plus tard, pensionnée pour inaptitude physique définitive.

Entre-temps, le MEDEX a consolidé les lésions, avec un taux de 8%, rejetant toutes les absences à partir d’une date arrêtée dans le cours de la première période d’incapacité totale de travail, considérant que les absences à partir de ce jour ne peuvent plus être prises en charge sur le compte de l’accident.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Tournai.

Le jugement du Tribunal du travail de Tournai

Par jugement du 18 février 2011, le premier juge ordonne une expertise, dans laquelle il n’inclut pas la question de l’imputabilité à l’accident des absences postérieures à la date de consolidation, considérant que cette question n’est pas de la compétence des juridictions du travail vu que la demanderesse s’est fondée sur le décret du 5 juillet 2000 mais qu’elle doit faire l’objet d’un renvoi au Tribunal de première instance, conformément à l’article 660 du Code judiciaire.

La décision de la cour

Appel est interjeté par l’enseignante de la décision du premier juge, qui s’est déclaré incompétent pour l’imputabilité des périodes d’absence postérieures à la date de consolidation.

Dans son arrêt, la cour va ainsi examiner s’il s’agit d’une demande pouvant être fondée sur la législation réparant le risque professionnel dans le secteur public ou s’il s’agit d’une question relative à la position administrative de l’enseignant.

La cour reprend l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, selon lequel toutes les contestations relatives à son application, y compris celles qui concernent la fixation du pourcentage d’incapacité de travail permanente, sont déférées à l’autorité judiciaire compétente en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Il s’agit dès lors des juridictions du travail. La cour précise, cependant, que celles-ci ne connaissent pas des contestations qui ne sont pas relatives à l’application de la loi du 3 juillet 1967, mais à l’application de dispositions réglant le statut de la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 8 mai 2006, Chron. Dr. Soc., 2007, p. 570 et Cass., 13 décembre 2004, Chron. Dr. Soc., 2005, p. 431).

La loi du 3 juillet 1967 prévoit, en ce qui concerne l’incapacité temporaire, que les membres du personnel (auxquels la loi a été rendue applicable) bénéficient des dispositions prévues en cas d’incapacité temporaire totale par la législation sur les accidents du travail, sous réserve d’une disposition légale ou réglementaire plus favorable. Selon la cour, l’arrêté royal du 24 janvier 1969 constitue une telle disposition plus favorable puisqu’il prévoit que, pendant la période d’incapacité temporaire, les membres du personnel qui y sont soumis continuent à percevoir la rémunération due en raison du contrat de travail ou de leur statut.

La cour considère que l’intéressée ne demande pas en l’espèce l’indemnisation de rechutes en incapacité temporaire en raison de l’aggravation temporaire de l’incapacité permanente qui a été reconnue (s’agissant de périodes postérieures à la date de consolidation), mais qu’elle fonde sa demande sur l’article 10 du décret du 5 juillet 2000 fixant le régime des congés et de disponibilité pour maladie ou infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement. Celui-ci prévoit en effet le nombre de congés pour maladie admis dans le cours normal de la carrière d’un membre du personnel enseignant empêché d’exercer normalement sa fonction par suite de maladie ou d’infirmité, nombre de jours qui amènera à la mise en disponibilité de plein droit lorsqu’il sera épuisé. Le régime ainsi mis en place excepte l’hypothèse de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.

Pour la cour, ce décret règle les congés pour maladie ou infirmité, ainsi que leurs répercussions sur la position administrative de l’agent et il ne vise pas l’indemnisation de la victime d’un accident du travail (ou d’une maladie professionnelle). La cour en conclut que la demande qui lui est présentée n’est pas une demande relative aux indemnités prévues par la loi du 3 juillet 1967, mais d’une contestation relative au statut administratif du personnel enseignant.

La cour signale que, si l’intéressée au eu soin de ne pas appeler la Communauté française à la cause afin de régulariser sa situation administrative, ceci est sans incidence.

En conséquence, elle confirme le jugement du tribunal du travail, qui n’a pas inclus dans la mission de l’expert la question d’examiner le lien de causalité entre lesdites absences et l’accident.

Intérêt de la décision

Cet arrêt ne manque pas de laisser perplexe.

Outre l’allongement considérable de la procédure qu’il va nécessairement impliquer (la question de l’imputabilité des absences après la consolidation devant inévitablement être tranchée par une expertise ultérieure, à envisager dans le cadre de la procédure lorsqu’elle sera renvoyée devant le Tribunal de première instance), le litige posé à la juridiction du travail semble parfaitement de sa compétence, puisque l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, auquel la cour se réfère expressément, dispose que toutes les contestations relatives à l’application de la loi sont déférées aux juridictions du travail.

En l’espèce, dans la mesure où aucune distinction n’est à faire en ce qui concerne les périodes d’incapacité temporaire, qu’elles soient antérieures ou postérieures à la date de consolidation (voir Cass., 14 février 2011, n° 09.0105.F), la demande, telle qu’elle a été introduite, porte sur la détermination des séquelles de l’accident du travail, tant en ce qu’elles visent les périodes d’incapacité temporaire, la date de consolidation et le taux d’incapacité permanente. La demande porte également, et plus précisément, sur le lien causal entre la longue période d’incapacité temporaire préalable à la mise à la pension pour inaptitude physique définitive. En tant qu’il s’agit de déterminer si ces absences sont dues à l’accident du travail, il nous semble s’agir d’une contestation entrant dans le cadre de l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967.

La cour relève cependant que, pour cette partie de sa demande, l’intéressée s’est fondée sur l’article 10 du décret du 5 juillet 2000 fixant le régime des congés et de disponibilité pour maladie ou infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement. Il faut relever à cet égard que, par arrêt du 16 janvier 2012 (R.G. 2011/AL/174 – précédemment commenté dans cette rubrique), la Cour du travail de Liège, statuant sur renvoi après l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2011, a considéré, sur la même argumentation (développée par la Communauté française), que, dès lors qu’une action est introduite dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, il n’y a pas lieu de procéder à une distinction entre celle-ci et le décret du 5 juillet 2000, au motif que ce n’est pas parce qu’une lésion est définitivement tenue pour consolidée à une date déterminée avec un taux d’I.P.P. fixé qu’il est nécessairement exclu que toutes les absences ultérieures puissent être reliées à l’accident. La Cour du travail de Liège estime qu’il y a lieu de vérifier si, eu égard à la stabilisation de la lésion, la victime est apte ou non à reprendre l’exercice de la fonction qui est la sienne et s’il peut y avoir une incompatibilité spécifique entre cette fonction et la lésion.


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