Terralaboris asbl

Non-paiement de rémunération due par une Asbl : un recours peut-il être introduit contre le liquidateur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 31 janvier 2012, R.G. 2006/AB/48.901

Mis en ligne le mercredi 13 juin 2012


Cour du travail de Bruxelles, 31 janvier 2012, R.G. n° 2006/AB/48.901

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 31 janvier 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions de l’action contre un mandataire d’Asbl et contre le liquidateur désigné lors de Sa mise en liquidation.

Les faits

Une Asbl reste en défaut de payer la totalité des rémunérations dues à un agent contractuel subventionné, de même que des primes de fin d’année et pécules de vacances.

Elle est mise en liquidation et un liquidateur est désigné.

Une action est introduite ultérieurement par le membre ACS contre l’Asbl en liquidation, son administrateur-délégué, ainsi que contre le liquidateur. L’intéressé réclame des arriérés de rémunération, primes et pécules et ? à titre subsidiaire, des dommages et intérêts correspondants.

Décision du tribunal

Par jugement du 31 mai 2006, le Tribunal du travail de Bruxelles condamne l’Asbl en liquidation au paiement des montants réclamés au titre d’arriérés. Il prévoit dans son dispositif que, si l’Asbl ne s’exécute pas dans le mois de la signification du jugement, l’administrateur-délégué est condamné à payer des dommages et intérêts à concurrence d’environ 900€ et le liquidateur de même pour un montant de l’ordre de 18.000€.

Position des parties devant la cour

Le jugement est signifié à l’Asbl en liquidation et au liquidateur. Ceux-ci interjettent appel. Le liquidateur fait essentiellement valoir qu’il y a absence de faute de gestion et qu’en conséquence la demande doit être déclarée non fondée.

Décision de la Cour

La cour s’attache essentiellement à la question de la responsabilité personnelle du liquidateur.

La loi du 27 juin 1921 sur les associations sans but lucratif dispose en ses articles 14 et suivants que l’association est responsable des fautes imputables à ses préposés et mandataires, ceux-ci ne contractant aucune obligation personnelle relativement aux engagements de l’association.

La cour rappelle également les conditions mises par la Cour de cassation en ce qui concerne la responsabilité de l’organe, préposé ou agent : sa responsabilité sur le plan extracontractuel ne peut être engagée que si la faute mise à sa charge constitue un manquement non à une obligation contractuelle mais à son obligation générale de prudence et si la faute considérée a engendré un dommage distinct de celui résultant de la mauvaise exécution du contrat (Cass., 7 novembre 1997, Pas., I, n° 457), la Cour renvoyant dans un autre arrêt (Cass., 29 septembre 2006, C.030502.N) à un manquement au devoir général de diligence. Dans le cas des mandataires d’Asbl, étant les président, administrateur-délégué et administrateurs, ceux-ci bénéficient d’une quasi-immunité à l’égard des tiers, dans la mesure où leur responsabilité ne peut être mise en cause que s’il existe une faute qui ne constitue pas uniquement un manquement contractuel et qui, en sus, génère un dommage distinct de celui résultant de la mauvaise exécution du contrat.

Ce principe connaît cependant des exceptions, comme le relève la cour du travail, étant essentiellement l’hypothèse où la faute constitue une infraction pénale. L’existence de l’infraction ne fait, en effet, en principe pas obstacle à l’application de la loi pénale non plus qu’aux règles relatives à la responsabilité civile résultant d’une telle infraction (la cour renvoyant ici à d’autres arrêts de la Cour de cassation dont Cass., 26 octobre 1990, Pas., I, p. 216). En conséquence, si un organe ou mandataire d’une société commet une faute personnelle constituant un délit, il est tenu à réparation (Cass., 11 septembre 2001, P.991742.N).

La cour renvoie également à la doctrine (M.-A. DELVAUX « Une saga passionnante : la responsabilité aquilienne des organes d’une société commerciale », J.D.S.C., 2006, p. 100), qui résume la situation comme suit : en présence d’une infraction pénale, le dommage découlant de celle-ci ne peut être un dommage de nature purement contractuelle. En conséquence, son auteur peut toujours être déclaré responsable sur le plan extracontractuel.

Reste encore à examiner, pour la cour, les conditions dans lesquelles une infraction pénale peut être constatée à l’occasion d’un litige civil, étant que le juge doit constater que les faits servant de base à la demande tombent sous l’application de la loi pénale et qu’il doit relever les éléments constitutifs de l’infraction (élément matériel et élément moral) et se prononcer sur une éventuelle cause de non-imputabilité. La cour renvoie encore ici à d’autres arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 9 février 2009, S.08.0067.F).

En l’espèce, la cour constate que le premier juge a condamné le liquidateur aux rémunérations non payées pour la période pendant laquelle il avait été désigné comme liquidateur. Pour la cour du travail, la responsabilité du liquidateur peut effectivement être retenue en cas de non-paiement de rémunération, à la condition qu’il ait commis une infraction pénale.

S’agissant de faits antérieurs à l’entrée en vigueur du Code pénal social, la cour renvoie à l’article 42 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de a rémunération, pour conclure qu’un tel fait peut constituer une infraction dans le chef du liquidateur ou mandataire. Constatant que la mission du liquidateur était de récupérer les créances restantes et de contester et négocier les dettes qui devaient l’être, ainsi que de payer celles qui étaient dues et de répartir un éventuel boni de liquidation dans le respect de l’objet social de l’Asbl, la cour retient que, si tant que le contrat de travail était maintenu la rémunération restait due en contrepartie du travail fourni, il ne peut y avoir infraction consécutive au non-paiement de rémunération que si le liquidateur s’est abstenu de payer des rémunérations qui pouvaient l’être, vu le produit de la réalisation de l’actif ou des rentrées.

Or, en l’espèce, vu la situation de l’Asbl, aucune rémunération quelconque ne pouvait être envisagée, de telle sorte que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont, pour la cour, pas présents.

Au travailleur qui fait valoir que dans de telles conditions il aurait dû être licencié, la cour répond que ceci d’une part ne constitue pas une infraction pénale et d’autre part ne permet pas de faire droit à la demande de dommages et intérêts introduite.

Il faut dès lors, pour la cour, examiner si le fait de ne pas avoir licencié l’intéressé constitue un manquement au devoir général de diligence et si cette faute a causé un dommage autre que celui consécutif à la mauvaise exécution du contrat.

Il ressort des éléments examinés par la cour que ces conditions ne sont pas réunies dans l’ensemble, le liquidateur ayant eu en vue de faire reprendre le contrat de travail par une autre Asbl et le dommage réclamé n’étant pas en lien causal avec la faute alléguée.

La cour déboute, dès lors, le travailleur des demandes dirigées contre le liquidateur.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail rappelle très justement les conditions dans lesquelles la responsabilité extracontractuelle d’un organe, préposé ou mandataire peut être mise en cause, particulièrement, dans l’hypothèse d’une infraction pénale. Cet arrêt indique que, si les conditions légales étaient réunies, le non-paiement de rémunération, pouvant constituer l’infraction pénale requise, est susceptible d’entraîner une telle condamnation.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be