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Démission pour motif grave : obligation de respecter le même formalisme qu’en cas de licenciement pour motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mars 2012, R.G. 2010/AB/228

Mis en ligne le mercredi 11 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 21 mars 2012, R.G. n° 2010/AB/228

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles condamne au paiement d’une indemnité de rupture une employée ayant à tort démissionné pour motif grave dans le chef de son employeur.

Les faits

Une dentiste engage une assistante dentaire dans le cadre d’un contrat de formation professionnelle individuelle en entreprise (mi-temps). À l’issue de celui-ci, un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel est conclu pour une durée de six mois. À l’issue de celui-ci, un contrat à durée indéterminée est signé. Des difficultés surgissent rapidement eu égard à la rémunération convenue, l’employeur réduisant après trois mois celle-ci d’un montant de l’ordre de 400€. En réponse à un courrier de l’organisation syndicale consultée par l’employée, l’employeur constate divers manquements (arrivées tardives, départs anticipés sans prévenir, gestion défectueuse des rendez-vous, etc.). En réponse, l’employée constate que, vu le non-respect des conditions contractuelles, il y a rupture unilatérale de contrat dans le chef de l’employeur. La lettre de démission fait état d’une démission pour motif grave, les faits à la base de celui-ci étant précisés (non-respect du contrat de travail, retenues salariales illégales, non-respect de la rémunération convenue, menaces, etc.).

En réponse, l’employeur considère ces accusations comme graves et mensongères. Suite à un échange de correspondance, l’employeur expose que la rémunération mensuelle visait un temps plein, alors que les prestations étaient de 26 heures par semaine et que le secrétariat social serait responsable de la situation.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 15 décembre 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles constate que la rupture du contrat est imputable à l’employeur. En conséquence, une indemnité compensatoire de préavis est mise à sa charge et des arriérés de rémunération sont dus, à majorer des pécules de vacances.

Position des parties devant la cour du travail

L’employée fait état d’une modification unilatérale par l’employeur d’une condition essentielle du contrat de travail pouvant être constitutive d’un acte équipollent à rupture (thèse qui a été suivie par le tribunal) ou d’un motif grave. Cette modification résulte du paiement prolongé d’une rémunération moindre que celle convenue. Dans les deux hypothèses, l’employée considère être en droit de revendiquer la réparation du préjudice subi, préjudice qui équivaut à la rémunération elle-même correspondant à la durée du préavis, en sus de la régularisation salariale.

Quant à l’employeur, il fait état d’une erreur dans le contrat de travail (montant fixé pour un temps plein).

Les arrêts de la cour du travail

La cour du travail va statuer en deux temps.

Arrêt du 18 mai 2011

Dans le premier arrêt, du 18 mai 2011, la cour examine les thèses des parties, concernant la réduction de la rémunération en cours de contrat. La cour s’attache particulièrement à la question de l’erreur invoquée par l’employeur. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 1109 du Code civil si le consentement n’a été donné que par erreur, il n’est pas valable et qu’en vertu de l’article 1110, l’erreur ne constitue une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle concerne la substance même de la chose qui en est l’objet. La Cour de cassation a été amenée à préciser la notion de substance de la chose, étant tout élément qui a déterminé principalement la partie à contracter, de telle sorte que sans celui-ci le contrat n’aurait pas été conclu (la cour rappelle plusieurs arrêts dont Cass., 24 septembre 2007, R.G. C.05.0246.F).

Une autre condition de la nullité de la convention est que l’erreur substantielle soit commune. Elle s’écarte de l’appréciation du tribunal sur ce point. Le premier juge avait en effet considéré que, pour que l’erreur substantielle soit commune, les deux parties doivent avoir versé dans la même erreur. La cour rappelle cependant que cette condition signifie que les qualités de la chose sur lesquelles l’erreur a porté sont entrées dans le champ contractuel, et ce parce qu’elles ont trait à ce que l’opinion commune considère comme substantiel pour le contrat ou parce qu’elles-mêmes les ont considérées comme telles. Tel est bien le cas de la rémunération en l’espèce.

L’erreur ne peut cependant pas être inexcusable, c’est-à-dire qu’il ne peut s’agir d’une erreur que ne commet pas une personne raisonnable et normalement prudente eu égard aux circonstances et à ses connaissances, l’erreur inexcusable n’étant pas un vice de consentement au sens des dispositions ci-dessus.

La cour relève, à partir des éléments de l’espèce, que l’erreur en cause (confusion entre la rémunération prévue pour un temps plein et la rémunération contractuelle admise pour un mi-temps) n’aurait pas été commise par un autre employeur normalement raisonnable et prudent et qu’elle ne peut justifier que, plusieurs mois après, l’employeur réduise unilatéralement la rémunération.

Il y a dès lors lieu de payer la rémunération convenue conformément au contrat.

Sur la rupture, la cour s’écarte également de l’analyse du premier juge, qui a constaté une rupture tacite du contrat par l’employeur. En effet, il y a eu en l’espèce réduction de la moitié de la rémunération et ceci peut constituer, pour la cour, une modification importante d’un élément essentiel du contrat. Cependant, cette réduction n’a pas été invoquée immédiatement comme impliquant une rupture irrégulière et l’employeur n’a pas davantage été mis en demeure de respecter le contrat dans un délai déterminé. La cour rappelle ici la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 7 mai 2007, R.G. n° S.06.0067.N), selon laquelle le travailleur qui subit une modification importante d’un élément essentiel du contrat peut soit invoquer immédiatement l’irrégularité de la résiliation du contrat soit en poursuivre provisoirement l’exécution aux nouvelles conditions. Dans cette seconde hypothèse, il est tenu de sommer l’employeur dans un délai raisonnable d’annuler la modification, et ce dans un délai déterminé. Si l’employeur maintient la modification au-delà du délai, le contrat de travail est considéré comme irrégulièrement résilié à la date fixée.

Le mécanisme choisi en l’espèce étant non la constatation de la rupture tacite mais la démission pour motif grave, la cour examine en conséquence les règles applicables à cet autre type de rupture et vérifie si les conditions de forme et de fond de la rupture pour motif grave ont été respectées. Elle en conclut que, le non-paiement de la rémunération convenue étant un manquement continu, il appartenait à l’employée de fixer le moment où elle estimait ne plus pouvoir tolérer celui-ci. En outre, la cour relève que l’employée n’a pas retenu ce motif précis dans la lettre de rupture, celle-ci étant particulièrement vague.

En conséquence, la rupture étant tardive et irrégulière, elle n’ouvre pas le droit à une indemnité de rupture, non plus qu’à des dommages et intérêts.

Arrêt du 21 mars 2012

La cour a rouvert les débats, cependant, sur la demande reconventionnelle formée par l’employeur de condamner l’employée à une indemnité compensatoire de préavis égale à un mois et ½ de rémunération.

L’employeur a en effet écrit après la rupture que, dans l’intérêt des deux parties, il était enclin à accepter la démission de l’employée. La cour constate que, malgré ces termes, il ne peut y avoir en l’espèce renonciation à un droit et que l’indemnité de rupture est due.

L’employeur ayant signalé qu’il était enclin à accepter dans l’intérêt des deux parties la démission, ceci ne peut non plus être analysé en une rupture d’un commun accord.

Une indemnité est dès lors due par l’employée.

En ce qui concerne la rémunération à prendre en compte, il s’agit de la rémunération en cours au moment de la résiliation, majorée des avantages acquis en vertu du contrat.

Intérêt de ces décisions

Dans ces deux arrêts, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles à respecter en cas de rupture par le travailleur du contrat de travail aux torts de l’employeur. En tout état de cause, les deux mécanismes (acte équipollent à rupture et démission pour motif grave) doivent respecter des règles propres. En l’occurrence, la démission pour motif grave doit se voir appliquer les conditions de forme et de fond de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 et, s’agissant d’un manquement continu, la cour rappelle la règle des 3 jours telle qu’elle doit être appliquée à une telle hypothèse.


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