Terralaboris asbl

Cumul d’indemnités de mutuelle et d’allocations annuelles suite à un accident du travail : conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 avril 2012, R.G. 2008/AB/51.311

Mis en ligne le jeudi 19 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 19 avril 2012, R.G. n° 2008/AB/51.311

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 avril 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions dans lesquelles une allocation annuelle d’accident du travail peut être cumulée avec une indemnité à charge de la mutuelle.

Les faits

Suite à un grave accident sur le chemin du travail, Monsieur W. se voit reconnaître, par jugement du tribunal du travail, une IPP de 40%. L’intéressé dépend de la mutuelle, à partir de la consolidation des séquelles de l’accident et il restera en incapacité sans interruption. L’organisme assureur l’indemnise en tenant compte de l’allocation versée par l’assureur-loi. L’indemnité de mutuelle est dès lors amputée de ce montant.

Monsieur W. introduit ultérieurement une nouvelle procédure devant le tribunal du travail aux fins de se voir reconnaître une perte de capacité de gain supérieure à 66% indépendamment des séquelles de l’accident du travail, vu la survenance d’une nouvelle pathologie.

Position du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Bruxelles désigne un expert qui, dans son rapport, va conclure que, à partir d’une date déterminée, située après la consolidation des lésions, l’intéressé a développé une pathologie cardiaque. Il présente, ainsi, une incapacité totale sur le marché du travail au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, et ce indépendamment des séquelles de l’accident.

En conséquence, le tribunal retient que Monsieur W. était incapable de travailler à partir de la date retenue par l’expert et condamne l’organisme assureur au paiement des indemnités légales à partir de celle-ci sans procéder aux retenues correspondant à l’intervention de l’assureur-loi.

Position des parties en appel

La mutuelle interjette appel, sur la condamnation mise à sa charge, essentiellement eu égard à l’obligation pour elle de ne pas procéder aux retenues correspondant aux allocations d’accident du travail. Elle ne conteste pas l’existence d’autres pathologies justifiant à elles seules une incapacité d’au moins 2/3 mais fait valoir que l’intéressé est resté incapable de travailler depuis la date de consolidation et que la pathologie cardiaque est intervenue ultérieurement. L’organisme assureur fait valoir l’interdiction de cumul sise à l’article 136 § 2 de la loi, précisant que la nouvelle pathologie ne change rien étant donné que la diminution de la capacité de gain dépend des séquelles de l’accident au préalable et que l’on ne peut perdre deux fois cette capacité.

Quant à Monsieur W., il demande confirmation du jugement, étant qu’il présente une incapacité totale de travail indépendante des séquelles de l’accident. Il considère que les indemnités de mutuelle et d’assurance-loi ne couvrent pas le même dommage.

Position de la cour du travail

La cour va dès lors rappeler les principes applicables, sur la notion de même dommage et sur les conditions pour l’octroi des indemnités d’incapacité de travail.

En vertu de l’article 136, § 2 de la loi, il y a interdiction de cumul en cas de réparation du même dommage que celui couvert en assurance indemnités, que ce soit en vertu d’une autre législation belge, d’une législation étrangère ou du droit commun. La cour rappelle que cette disposition est une application de la règle selon laquelle on ne peut réparer deux fois le même dommage dans deux législations différentes. Dès lors, en cas d’identité - même partielle - du dommage, il faut en AMI comparer le montant de l’indemnité versée dans l’autre législation avec la réparation légale. Le juge doit dès lors vérifier l’identité du dommage ou d’une partie du dommage au regard de cette règle d’interdiction de cumul.

Dans le cadre de la loi du 14 juillet 1994, le dommage réparé est la perte de capacité de gain et la cour rappelle à cet égard la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 9 janvier 1979, J.T.T., 1979, p. 272), selon laquelle est ici visée la perte de la capacité de gain en raison de la cessation de toute activité provoquée par un début ou une aggravation de lésions ou troubles fonctionnels.

Par ailleurs le dommage réparé en loi vise également la réduction de la capacité de gain (Cass., 18 mai 1992, Pas., I, p. 816), et ce dans le cadre de l’incapacité temporaire d’abord et de l’incapacité permanente ensuite.

La cour insiste sur le fait que le dommage ne peut pas être confondu avec la cause médicale qui l’a provoqué. L’on ne peut octroyer une double réparation au motif que les causes médicales de la perte de capacité sont différentes.

En ce qui concerne, par ailleurs, les conditions d’octroi des indemnités, la cour rappelle l’article 100 de la loi, étant qu’il doit y avoir (i) cessation de toute activité, (ii) lien causal entre cette cessation et les troubles ou lésions fonctionnels, (iii) début ou aggravation de ceux-ci au moment de la cessation de l’activité et (iv) réduction de la capacité de gain à un taux au moins égal au tiers entraînée par ceux-ci.

Le montant de l’indemnité allouée dans le secteur ne tient pas compte du seuil précis d’incapacité présenté par le titulaire entre 66 et 100% et l’indemnité n’est pas proportionnée selon le degré de cette incapacité.

En conséquence, examinant la situation de Monsieur W., la cour constate qu’il a cessé toute activité au moment de l’accident et qu’il n’a jamais repris le travail. Lorsque la mutuelle a été amenée à intervenir, les indemnités ont été payées sous déduction de l’intervention de l’assureur-loi et ceci se justifiait, dans la mesure où elle a pu admettre qu’il y avait réduction de la capacité de gain suite à des lésions ou troubles fonctionnels ayant entraîné la cessation de toute activité et, pour partie, suite à l’IPP de 40% consécutive à l’accident du travail.

La survenance de la pathologie nouvelle est sans incidence, puisque celle-ci ne permet pas de constater la réalisation d’un dommage entièrement distinct de celui réparé par l’assureur. Cette nouvelle pathologie n’a en effet pas entraîné de perte de capacité de gain liée à la cessation de toute activité en conséquence directe du début ou de l’aggravation des lésions ou troubles fonctionnels. Il y a dès lieu de réformer le jugement.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles ci-dessus rappelle à juste titre la notion de même dommage réparé dans le cadre du secteur « indemnités » ainsi qu’en accident du travail. L’on peut ajouter que le cumul est autorisé dans l’hypothèse où les indemnités allouées dans les deux secteurs concernent des parties différentes de l’incapacité de travail, ainsi, si le travailleur est atteint de plusieurs maladies ou lésions : s’il est indemnisé pour une pathologie dans le cadre du secteur « indemnités » (celle-ci impliquant une perte de capacité de 66% à elle seule), une réparation pour maladie professionnelle, par exemple, pourra être cumulée avec cette indemnité (sur cette question, voir J.-F. FUNCK, « Droit de la sécurité sociale », Larcier, 2006, n° 257).


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