Terralaboris asbl

Allocations de chômage et exercice d’un mandat de société : quid en l’absence de déclaration ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mars 2012, R.G. 2011/AM/151

Mis en ligne le vendredi 17 août 2012


Cour du travail de Mons, 7 mars 2012, R.G. n° 2011/AM/151

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 7 mars 2012, la Cour du travail de Mons rappelle les obligations d’un chômeur, mandataire de société, lorsqu’il s’inscrit au chômage. Il souligne particulièrement les conséquences qui découlent d’un apport de connaissances permettant la création d’une société en exerçant le mandat d’administrateur délégué ou de gérant.

Les faits

Une dame M. constitue avec son compagnon et un tiers une société coopérative à responsabilité illimitée, alors qu’elle est elle-même déjà salariée. Elle y détient 1% des parts, son compagnon en ayant 98%. Elle est désignée administrateur-gérant et présidente du conseil d’administration, le mandat étant gratuit. La société a pour objet la charpenterie, la menuiserie et la serrurerie de bâtiment.

Après la séparation du couple en 2007, elle perd son emploi en 2008 et sollicite le bénéfice des allocations de chômage. Elle omet de déclarer l’exercice du mandat lors de son inscription.

C’est à l’occasion d’une consultation des fichiers des travailleurs indépendants que l’ONEm apprend que celle-ci y est reprise à titre complémentaire. Elle explique les faits lors de son audition et précise notamment ignorer, à l’époque, qu’elle devait déclarer cette activité, qui ne lui procurait aucun revenu. Il est noté qu’elle a agi de la sorte pour rendre service à son ex-compagnon.

Le 15 janvier 2010, l’ONEm décide de l’exclure des allocations de chômage du 1er avril 2008 (date de son inscription) au 10 février 2009 (fin du mandat). L’ONEm décide de récupérer les allocations et d’exclure l’intéressée pour deux semaines, sur pied de l’article 154 de l’arrêté royal, étant qu’elle a omis, avant le début d’une activité incompatible avec le droit aux allocations, de noircir la case correspondante de sa carte de contrôle. Lui est reproché une activité pour compte propre en tant que gérante de la société, activité qui pouvait être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et n’était pas limitée à la gestion normale des biens propres.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 18 mars 2011, le Tribunal du travail de Charleroi considère le recours non fondé, dans la mesure où il ne pouvait être tenu compte du caractère minime de l’activité, non plus que de la gratuité du mandat et de la faible participation de l’intéressée à la vie de la société pour conclure qu’il ne s’agirait pas d’un travail au sens de l’arrêté royal du 25 novembre 2011. Il y avait en tout cas, pour le tribunal, apport de compétences entrepreneuriales.

Position de parties devant la cour

L’intéressée interjette appel, faisant valoir qu’elle n’a pas pris part de façon effective à la gestion de la société, qu’elle ne pouvait en tirer d’avantage, ne disposant d’aucun intérêt financier dans celle-ci et qu’il ne pouvait être question de travail au sens de la réglementation. A titre subsidiaire, elle fait valoir sa bonne foi en vue de limiter la récupération aux 150 derniers jours d’indemnisation.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation du jugement dont appel, au motif que, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’exercice d’un mandat au sein d’une société commerciale suffit à justifier l’exclusion du bénéfice des allocations dès lors que la déclaration n’a pas été faite au moment où les allocations de chômage ont été demandées. Il y a présomption d’exercice d’activité professionnelle dans un but de lucre et, si celle-ci peut être renversée, il appartient à l’intéressée d’établir l’absence de toute activité pendant la période litigieuse, ce qu’elle ne fait pas.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les dispositions pertinentes de l’arrêté royal, étant les articles 44 et 45. Elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 3 janvier 2005, R.G. S.040091.F), selon laquelle l’exercice d’un mandat d’administrateur d’une société commerciale constitue une activité pour compte propre au sens de la réglementation chômage. Celle-ci est exercée dans un but lucratif même si elle ne procure pas de revenus. Il ne s’agit pas d’une activité limitée à la gestion normale de biens propres.

Pour la cour, il n’y a pas lieu de distinguer selon le type de mandat (administrateur délégué ou gérant versus simple administrateur) : un administrateur a en effet un intérêt à la bonne marche de la société du fait qu’il détient des parts sociales. Dès lors, par ailleurs, que l’intéressée a présidé des séances du conseil d’administration, représenté la société pendant plusieurs années et surtout signé des actes de gestion, il y a existence d’une activité et la cour relève encore que l’intéressée a signalé avoir accepté d’apporter sa qualification en gestion de base, autre indice confirmant une activité liée à la gestion de la société.

La cour rappelle ici qu’en vertu de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante, toute PME doit prouver les connaissances de gestion de base et celles-ci doivent être fournies par le chef de l’entreprise indépendante, son conjoint ou la personne physique qui exerce effectivement la gestion journalière. C’est ce dernier critère que la cour souligne : en apportant ses compétences, l’intéressée était sensée exercer effectivement la gestion de l’entreprise.

Il y a dès lors exercice d’un travail et les allocations de chômage ne pouvaient être perçues pendant la période correspondante.

La cour va encore confirmer que l’intéressée n’a pas respecté l’article 71, alinéa 1er (1° et 4°) de l’arrêté royal, étant qu’elle n’a jamais biffé sa carte de contrôle. Il en découle que l’exclusion est justifiée.

Enfin, sur la bonne foi, la cour rappelle qu’il appartient au chômeur de l’établir. Si la notion n’a pas été définie par la réglementation, la doctrine se réfère à divers adjectifs : honnête, fidèle, loyal, correct, raisonnable, respectable, prudent, équitable, tous qualificatifs repris par l’arrêt. La cour se réfère également, pour les notions de loyauté et d’honnêteté, à ce que l’on est en droit d’attendre d’une personne normalement prudente et raisonnable, critère qui amène à prendre en compte les circonstances entourant le comportement incriminé. S’il n’y avait pas de fraude en l’espèce, la cour relève que l’intéressée ne pouvait ignorer le caractère fictif du mandat et il n’y avait pas ignorance raisonnable. La limitation de la récupération n’est dès lors pas autorisée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle encore une fois les conséquences en cas de non déclaration, lors d’une inscription au chômage, d’un mandat, celui-ci fût-il exercé à titre gratuit. La cour rappelle également judicieusement qu’un apport de connaissances, dans une société de personnes, permettant de remplir les conditions exigées par la loi pour la promotion de l’entreprise indépendante, est assimilé à une activité, dans la mesure où, ce faisant, l’intéressé doit exercer effectivement la gestion journalière de l’entreprise, au sens de cette réglementation.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be