Terralaboris asbl

Mandataire de société gérant celle-ci de l’étranger (mandat à titre gratuit) : cotisations dues au statut social ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 avril 2012, R.G. 2010/AB/354

Mis en ligne le mardi 2 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 23 avril 2012, R.G. n° 2010/AB/354

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 avril 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine une affaire complexe en droit : un pensionné de l’armée hongroise gérant (à titre gratuit) une société belge depuis l’étranger doit-il payer des cotisations au statut social ?

Les faits

Un citoyen de nationalité hongroise, bénéficiaire d’une pension hongroise, se domicilie en Belgique en décembre 1999, étant depuis un an et demi gérant d’une société belge, à titre gratuit d’abord, et à titre onéreux ensuite. Pour cette activité il s’est affilié à une caisse d’assurances sociales. Suite à une enquête de l’INASTI, la caisse est invitée à retenir que l’assujettissement doit être effectif à partir de la constitution de la société, soit en août 1997.

L’intéressée fait valoir le caractère gratuit du mandat, ainsi que l’existence de la pension dont il bénéficie.

La caisse introduit une action en justice en demandant paiement des cotisations correspondantes.

Ayant été déboutée de sa demande par le tribunal du travail, la caisse interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour est ainsi saisie de la question de l’application de l’Accord d’Association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres d’une part et la République de Hongrie de l’autre.

Elle rappelle en premier lieu que, pour être assujetti au statut social des travailleurs ? indépendants, une condition posée par l’arrêté royal n° 38 en son article 3, § 1er est notamment d’exercer en Belgique une activité professionnelle. Est professionnelle toute activité exercée dans un but de lucre même si elle ne produit pas de revenus (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 1980, J.T.T., 1982, p. 76) et est habituelle l’activité qui implique l’existence d’un ensemble d’opérations liées entre elles, qui sont répétées et accompagnées de démarches en vue de cette répétition. Ces règles sont à examiner, tenant compte des présomptions d’assujettissement qui permettent de faciliter l’identification des mandataires de société.

L’Accord d’Association, publié au J.O.C.E. du 31 décembre 1993, ouvre, pour les ressortissants hongrois, un droit d’établissement, étant qu’ils peuvent accéder à des activités économiques et les exercer en tant qu’indépendants ; ils peuvent également créer et diriger des sociétés, en particulier des sociétés qu’ils contrôlent effectivement.

Des garanties sont données en matière de non-discrimination et d’égalité de traitement, pour ce qui concerne ce droit d’établissement, chaque Etat membre devant leur réserver un traitement non moins favorable que celui accordé à ses propres sociétés et ressortissants.

La cour relève qu’une question se pose en ce qui concerne l’application du principe d’égalité de traitement dès l’entrée en vigueur de l’accord. L’Association est en effet supposée comporter une période de transition d’une durée maximale de dix ans, divisée en deux étapes successives, de telle sorte que le point de départ de la seconde phase n’est pas claire et la cour considère qu’il appartient aux parties de s’expliquer sur cette question, dans la mesure où elle influencera les cotisations dues.

Elle est cependant en mesure de régler les questions de principe relatives à l’obligation d’assujettissement. Elle constate que dès la constitution de la société, l’intéressé devait être assujetti, du fait de son mandat de gérant, et ce en vertu de l’article 3, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38 (complété par l’arrêté royal du 18 novembre 1996). Les mandataires de société assujettie à l’impôt belge (impôt des sociétés ou impôt des non-résidents) sont en effet présumés, en vertu de cette disposition, de manière irréfragable exercer en Belgique une activité professionnelle en tant que travailleurs indépendants.

Étant domicilié en Hongrie à l’époque où le mandat était exercé à titre gratuit, l’intéressé était donc gérant de l’étranger. La cour du travail rappelle ici et à juste titre l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (C. Const., 3 novembre 2004, arrêt n° 176/2004), qui a rejeté le caractère irréfragable de la présomption, au motif qu’il a des effets disproportionnés à l’égard de celui qui gère en Belgique une société belge. Cette conclusion ne concerne cependant pas le mandataire qui gère une telle société de l’étranger, la Cour constitutionnelle ayant précisé que le caractère irréfragable de la présomption a pu être jugé nécessaire pour garantir l’assujettissement de ceux-ci au statut social, dans la mesure où l’autorité ne dispose pas vis-à-vis de ces personnes des renseignements et des pouvoirs dont elle dispose en ce qui concerne les mandataires de société exerçant en Belgique.

Aussi, même si le mandat est gratuit, une personne qui gère une société de l’étranger doit-elle être assujettie au statut social dès la constitution de celle-ci.

Cette règle doit cependant être confrontée aux engagements contenus dans l’Accord d’Association et la cour relève que le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement n’est pas visé, dans l’Accord, en ce qui concerne le régime de sécurité sociale applicable aux ressortissants hongrois usant de leur droit de constituer une société dans un Etat membre. Cependant une question se pose en ce qui concerne le caractère irréfragable de la présomption, dans la mesure où aujourd’hui encore la question reste discutée pour les citoyens de l’Union européenne. La cour relève qu’une question préjudicielle est actuellement pendante sur ce point devant la Cour de justice de l’Union européenne (Aff. PARTENA, C-137/11). Une dispense d’assujettissement pourrait, dès lors, concerner la période antérieure à celle où le mandat a été rémunéré.

Se pose encore, dans ce contexte, la question du calcul des cotisations et la cour rappelle que, s’agissant d’un pensionné, l’arrêté royal n° 38, dans sa mouture applicable à l’époque des faits, prévoyait en son article 13, § 1er, que les titulaires d’une pension d’indépendant ou de salarié étaient dispensés de toute cotisation sociale dès lors que l’activité exercée en tant qu’indépendant ne générait pas de revenus. Cette disposition vise les titulaires d’une pension, soit ceux âgés de 65 ans et plus ou de 60 ans au moins mais qui bénéficient d’une pension anticipée (travailleur salarié ou travailleur indépendant). L’intéressé n’ayant pas cet âge à l’époque des faits, il ne peut bénéficier de cette disposition particulière.

La cour examine enfin si l’on pourrait considérer qu’il y a exercice d’une activité d’indépendant à titre accessoire, au sens de l’article 1er, § 2 de l’arrêté royal n° 38. Dans un arrêt du 5 décembre 2011 (Cass., 5 décembre 2011, S.10.0174.F), la Cour de cassation a rappelé sur la question que sous réserve de l’application des règlements européens (ou de conventions internationales) seules sont prises en considération pour déterminer le caractère principal ou accessoire d’une activité, les activités exercées sur le territoire de la Belgique à titre principal.

La cour relève dès lors la complexité des questions à examiner, étant de déterminer (i) si l’activité exercée au profit de l’armée hongroise peut être considérée comme une activité habituelle et en ordre principal au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation, (ii) si l’on peut considérer qu’il y a activité accessoire exercée par un pensionné (la pension n’étant pas établie par une loi belge) et même dans cette hypothèse (iii) si le montant de la pension ne doit pas entrer en ligne de compte.

La cour ordonne dès lors une réouverture des débats aux fins d’être mieux éclairée sur les questions qu’elle pose, signalant d’ores et déjà qu’elle envisagerait, en fonction des réponses apportées, de soumettre à la Cour de Justice la question préjudicielle proposée par l’intéressé portant sur le respect du principe de non-discrimination et d’égalité de traitement prévu dans l’Accord d’Association, eu égard aux incidences en matière de sécurité sociale applicables au ressortissant hongrois qui a fait usage de son droit d’établissement, tenant plus particulièrement compte de l’activité professionnelle exercée en Hongrie avant l’exercice de ce droit d’établissement (assimilation à une activité qui aurait été exercée dans les mêmes conditions dans l’Etat membre) et à la pension servie par la Hongrie (assimilation à une pension servie par l’Etat membre).

Intérêt de la décision

Cet arrêt, rendu dans une espèce où s’applique l’Accord d’Association Communautés européennes / Hongrie de 1993, rappelle plusieurs principes importants et souligne que se pose encore aujourd’hui la question de la possibilité de renverser la présomption en cause pour les citoyens de l’Union qui gèrent d’un autre Etat membre une société soumise à l’impôt belge. La cour relève à cet égard la question préjudicielle actuellement pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Affaire à suivre donc, tant en ce qui concerne l’issue de celle-ci que la décision que prendra la cour dans le cadre de la réouverture des débats ordonnée.


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