Terralaboris asbl

Récupération d’indu d’allocations familiales : notion de cas digne d’intérêt

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mars 2011, 17 novembre 2011 et 11 juillet 2012, R.G. 2010/AB/13

Mis en ligne le mercredi 10 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 11 juillet 2012, R.G. n° 2010/AB/13

Terra Laboris asbl

Dans plusieurs arrêts, dont un dernier en date du 11 juillet 2012, la Cour du travail de Bruxelles s’est attachée à la question de la définition du cas digne d’intérêt dans le secteur des allocations familiales pour travailleurs salariés, rappelant notamment l’étendue du contrôle judiciaire sur ce type de décision.

Les faits

Une attributaire, chômeuse de longue durée, bénéficie d’allocations familiales avec supplément social pour sa fille. Celle-ci arrête ses études en fin d’année académique 2006-2007 et travaille en septembre. La caisse va réclamer, plus d’un an plus tard, un indu, au motif que la fille s’est inscrite comme demandeuse d’emploi au 1er octobre 2007. Elle fait valoir qu’elle a adressé un document (formulaire P20) reprenant les conditions d’octroi durant le stage d’attente et que, de ce fait, l’indu ne pouvait être ignoré.

Un recours a été introduit par la mère contre cette décision, au motif que le formulaire d’information avait été envoyé à l’ancienne adresse.

Une procédure a dès lors été introduite vu la décision prise ainsi que celle de refuser de renoncer à la récupération de l’indu.

La procédure devant le tribunal du travail

Par jugement du 29 décembre 2009, le tribunal du travail a considéré qu’il y avait une faute dans le chef de la caisse mais que la non-réception du formulaire – outre qu’elle n’était pas certaine – n’était pas entièrement imputable à celle-ci, dans la mesure où la mère aurait dû faire suivre son courrier et informer de son changement d’adresse.

La procédure devant la cour du travail

La cour du travail a rendu trois arrêts sur la question.

Arrêt du 23 mars 2011

Dans cet arrêt (commenté précédemment), la cour du travail a considéré qu’il y avait une faute et que la faute avait généré un dommage, celui-ci devant être fixé par la caisse. Elle a également considéré que la décision de refus de renonciation à la récupération de l’indu devait être annulée pur défaut de motivation et qu’une nouvelle décision devait être prise. Elle a en outre invité les parties, dans cette première décision, à s’expliquer, dans l’hypothèse où la caisse confirmerait son refus de renonciation, sur la question du cas digne d’intérêt, au sens de la législation sur les allocations familiales, ainsi que sur l’interruption de la prescription.

Arrêt du 17 novembre 2011

Dans ce deuxième arrêt, la cour a acté que, pour la caisse, l’attributaire n’est pas dans les conditions pour constituer un cas digne d’intérêt permettant de renoncer à la récupération de l’indu. Quant à la fixation du dommage subi suite à sa faute, la caisse a estimé celui-ci à un montant de l’ordre de 75€, montant que la cour confirme. Il s’agit d’un dommage très limité qui correspond pour chaque mois à la différence entre d’une part le montant net correspondant au plafond de la rémunération perçue + les allocations familiales et d’autre part le montant net du salaire effectivement perçu (vu le dépassement de la limite autorisée). Quant à la prescription, la cour constate qu’elle a été interrompue par une lettre adressée par la caisse dans le délai de trois ans.

C’est dès lors le refus de renonciation, tel que contenu dans une décision prise par la caisse le 9 juin 2011 que la cour du travail examine scrupuleusement. Dans cette décision, la caisse précise que son refus est fondé sur la circonstance que les revenus mensuels du ménage dépassent le plafond en-dessous duquel le recouvrement est considéré comme étant socialement contre-indiqué. Les barèmes en vigueur justifiant la décision sont joints.

La cour examine dès lors la notion de cas digne d’intérêt afin de mesurer l’adéquation des exigences contenues dans la législation sur les allocations familiales avec la Charte de l’assuré social. La cour renvoie à des considérations qu’elle avait faites dans son premier arrêt, sur l’article 119bis dès lois coordonnées du 19 décembre 1939, qui renvoient à l’article 22, § 2, b) et c) de la Charte. Elle avait ainsi constaté l’absence de disposition législative dans ce secteur de la sécurité sociale sur la notion de cas digne d’intérêt au sens de l’article 22, § 2, a) de la Charte. Cette carence est également relevée en ce qui concerne l’arrêté royal du 26 juin 1987 (même dans sa version postérieure à l’entrée en vigueur de la Charte), celui-ci visant d’une part les montants en deçà desquels la dette est considérée comme trop peu importante pour justifier un recouvrement et les hypothèses dans lesquelles il est permis de ne pas procéder à une saisie. Ces dispositions sont prévues afin d’éviter des frais disproportionnés par rapport aux enjeux et aux possibilités de récupération. La définition des cas dignes d’intérêt dans l’intérêt exclusif de l’assuré social fait cependant défaut. Dès lors, vu l’absence de disposition sectorielle, la cour considère qu’il faut se référer à la Charte elle-même. Elle renvoie ainsi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 mai 2009 (C. const., 28 mai 2009, arrêt n° 88/2009) et considère que la caisse devait vérifier, sur la base des critères contenus à l’article 22, § 2, a) de la Charte dans quelle mesure la situation de l’attributaire était un cas digne d’intérêt. Ne l’ayant pas fait, il y a défaut de motivation et annulation de la décision.

La cour rappelle encore que, s’agissant d’une question de renonciation à la récupération de l’indu, son pouvoir de contrôle porte sur la légalité de la décision et que toutes explications données ultérieurement pouvant asseoir une motivation ne doivent pas être prises en considération. Son contrôle doit s’arrêter là, dans la mesure où l’appréciation du cas digne d’intérêt reste, comme elle le rappelle, une compétence discrétionnaire de l’organisme de sécurité sociale. Elle ne peut dès lors se substituer à la caisse pour décider de celui-ci, ce qui serait une violation du principe de la séparation des pouvoirs. Elle écarte dès lors la décision et invite la caisse à prendre une nouvelle décision, fondée non seulement sur les seuils de revenus fixés par l’arrêté royal de secteur mais aussi sur la notion de cas digne d’intérêt au sens de la Charte.

Arrêt du 11 juillet 2012

Dans cet arrêt la cour constate qu’une nouvelle décision de refus de renonciation à la récupération de l’indu a été prise le 1er juin 2012. Elle reprend dès lors la discussion, dans le cadre juridique défini précédemment. Elle constate que, dans cette nouvelle décision, la caisse a tenu compte d’un relevé détaillé des revenus et des dépenses du ménage.

Elle reprend la décision elle-même, constatant, à partir des éléments chiffrés du budget familial qu’après déduction des frais fixes, il reste au ménage un montant de l’ordre de 940€ pour vivre, la fille étant domiciliée avec sa mère et étant salariée. La caisse y précise que les allocations peuvent être remboursées à concurrence de 75€ par mois et que ceci n’est pas susceptible d’avoir un impact significatif sur la situation financière du ménage. Il n’y a dès lors pas, selon la décision administrative, de cas digne d’intérêt.

La cour se livre alors à un examen concret du budget qui lui est soumis et constate qu’il n’y a pas de grand écart entre les positions des parties, sur la question du budget du ménage. La cour admet en conséquence qu’il y a motivation adéquate. Elle confirme dès lors le bien-fondé du refus de renonciation. En ce qui concerne le décompte, elle déduit le dommage à réparer par la caisse et autorise le remboursement de la dette par des versements de 50€ par mois.

Intérêt de la décision

Cet arrêt du 11 juillet 2012 clôture, dans ce cas d’espèce, une longue discussion, au cours de laquelle la cour du travail a abordé plusieurs questions de principe importantes, renvoyant toujours à la Charte de l’assuré social. Dans le commentaire fait de l’arrêt du 23 mars 2011, nous avions rappelé que la cour renvoyait à sa jurisprudence en ce qui concerne les obligations des institutions de sécurité sociale par rapport aux informations fournies par la Banque Carrefour. Dans les deux arrêts ultérieurs, la cour a rappelé l’absence de définition du cas digne d’intérêt dans le secteur des allocations familiales et l’obligation de motivation de la décision de refus de renonciation à la récupération de l’indu, vu la compétence discrétionnaire des institutions de sécurité sociale à cet égard et le contrôle de légalité exercé par les juridictions du travail.


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