Terralaboris asbl

Gérant de société exerçant son activité depuis l’étranger : rappel des règles en matière de cotisations au statut social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2012 et 8 juin 2012, R.G. 2010/AB/823

Mis en ligne le mercredi 10 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 8 juin 2012, R.G. n° 2010/AB/823

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la problématique liée à l’exercice depuis l’étranger d’un mandat dans une société belge, et ce eu égard aux obligations du statut social des travailleurs indépendants.

Les faits

Un citoyen russe, résidant à Moscou, où il a une activité professionnelle, est nommé administrateur d’une société sise en Belgique à partir du second trimestre de l’année 2000. Il démissionne de son mandat à la fin de l’année 2005. L’INASTI lui réclame les cotisations au statut social pour la période correspondante et introduit une action devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal fait partiellement droit à la demande, le tribunal retenant qu’il y à l’activité indépendante à titre accessoire et cette activité n’ayant pas produit de revenus pour les années 2002, 2003 et 2005.

L’INASTI interjette appel de cette décision, sollicitant la condamnation de la société au paiement de la totalité de la somme réclamée.

Les arrêts de la cour du travail de Bruxelles

Arrêt du 13 janvier 2012

Dans cet arrêt, la cour du travail reprend les conditions d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants, avec les présomptions légales applicable aux mandataires de société. Elle rappelle l’historique de la question relative à l’exercice de l’activité indépendante en Belgique. Dans un arrêt du 23 février 1987 (Cass., 23 février 1987, J.T.T., 1987, p. 253) la Cour de cassation avait considéré qu’il ne se déduit pas de la seule circonstance que le siège de la société se trouve en Belgique que l’activité soit exercée par les administrateurs sur le territoire belge. Aussi un arrêté royal du 18 novembre 1996 est-il intervenu pour inclure une présomption irréfragable d’exercice de l’activité en Belgique, dans de telles conditions, dès lors que la société (ou l’association) est assujettie à l’impôt belge des sociétés ou des non-résidents.

Cette question a fait l’objet d’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (C. const., 3 novembre 2004, arrêt n° 176/2004), qui a conclu que la présomption ne pouvait pas avoir de caractère irréfragable pour les mandataires qui ne gèrent pas de l’étranger une société visée par la disposition en cause. Cet arrêt ne vise cependant pas le gérant de l’étranger, pour lequel la cour du travail rappelle que la présomption irréfragable est, ainsi, en principe d’application. Cependant, se pose la question du caractère principal ou accessoire de l’activité, dans la mesure où l’intéressé exerçait une activité salariée en Russie mais qu’aucune Convention bilatérale de sécurité sociale ne lie ce pays à la Belgique et que, en conséquence, même si elle était exercée à temps plein, ladite activité ne peut conférer la qualité d’indépendant à titre complémentaire dans le cadre du statut social.

La cour relève que, en ce qui concerne les cotisations sociales à payer suite à l’exercice de l’activité indépendante, existe, même en cas de non perception de revenus (ou de revenus très faibles), l’obligation de payer une cotisation minimale mais que celle-ci ne concerne pas l’indépendant à titre complémentaire.

L’exercice d’une activité en ordre principal étant défini par l’article 35 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 (dans les conditions du texte applicable à l’époque), la cour reprend diverses décisions de la Cour de cassation sur la question. Elle renvoie parmi celles-ci à un tout récent arrêt du 5 décembre 2011 (Cass., 5 décembre 2011, S.10.0174.F), selon lequel, sous réserve de l’application des Règlements européens ou de Conventions internationales sur la question, seules les activités exercées sur le territoire de la Belgique sont prises en considération au titre d’activité professionnelle exercée à titre principal, et ce afin de déterminer si le travailleur exerce une activité à titre complémentaire.

La cour retient que cette décision ne rejoint pas les positions doctrinales en la matière, celles-ci considérant actuellement que la notion d’activité salariée exercée habituellement et en ordre principal ne se réfère plus qu’au nombre d’heures de travail prestées (…), ce qui ne permet plus de considérer que l’on ait entendu limiter ces dispositions au travail salarié effectué en Belgique ou soumis à un régime de pension belge.

Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’intéressé ne pourrait être considéré comme indépendant à titre complémentaire.

La société fait alors valoir une différence de traitement contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, puisque fondée sur le lieu d’exercice de l’activité : si celle-ci se situe dans un pays avec Convention ou sans Convention, l’activité salariée à mi-temps est prise en compte ou non pour la détermination du statut d’indépendant à titre complémentaire. Pour la société, l’existence d’une Convention bilatérale de sécurité sociale n’est pas un critère pertinent. Elle relève que cette question n’a pas été soumise à la Cour de cassation dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt du 5 décembre 2011.

La cour va, en conséquence, rappeler les principes en matière de discrimination en sécurité sociale eu égard à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et elle relève que, lorsqu’une discrimination injustifiée résulte d’une disposition réglementaire, celle-ci doit rester inappliquée, conformément à l’article 159 de la Constitution. La cour va ordonner une réouverture des débats aux fins d’examiner le caractère objectif du critère de distinction ainsi établi. Si celui-ci résidait dans la possibilité de contrôle de la réalité de l’activité, la cour relève qu’il faudrait encore voir si les possibilités de contrôle sont nécessairement plus importantes lorsque l’activité salariée est exercée dans un pays qui a signé une Convention avec la Belgique et si la règle n’a pas d’effet disproportionné lorsque l’on se trouve en présence d’une occupation à temps plein, dûment établie, dans le pays d’origine.

La cour évoque également la question de la norme applicable, au cas où l’article 35, alinéa 1er, a) de l’arrêté royal actuellement en vigueur devrait, dans l’interprétation retenue par la Cour de cassation, être considéré comme contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Arrêt du 8 juin 2012

Position des parties dans le cadre de la réouverture des débats

L’INASTI développe des arguments en vue de faire admettre que la différence de traitement a un but légitime, étant d’assurer une couverture sociale aux travailleurs indépendants. Pour l’Institut, le rapport raisonnable de proportionnalité résulte de la difficulté majeure d’opérer un contrôle véritable, en l’absence de Convention bilatérale. S’il y a Convention, une institution de sécurité sociale peut exercer ce contrôle, ce qui n’est pas le cas en l’absence de celle-ci.

Pour la société, par contre, l’article 35, alinéa 1er, a) est clair et il ne fait pas de distinction en fonction du lieu d’exercice de l’activité salariée. La société plaide également qu’il faut rejeter la position de l’INASTI en vertu du principe de l’interprétation conforme.

Décision de la cour

La cour développe, dans une argumentation fouillée, un raisonnement qui aboutit à rejeter, pour contrariété aux articles 10 et 11 de la Constitution, l’interprétation selon laquelle seules les activités exercées sur le territoire de la Belgique sont prises en considération au titre d’activité professionnelle exercée à titre principal, dans la problématique de l’espèce. Elle considère qu’il n’est pas établi que l’existence d’une Convention bilatérale permette de mieux contrôler l’effectivité de l’activité salariée exercée à l’étranger. Il y a différence de traitement et la cour constate qu’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et l’objectif visé.

Elle poursuit en rappelant que l’article 35, alinéa 1er, a) de l’arrêté royal ne fait aucune distinction en fonction du lieu d’exercice de l’activité salariée et rappelle la doctrine ci-dessus, qui donne une interprétation du texte qui ne crée pas de différence de traitement et n’est donc pas discriminatoire. Elle choisit dès lors d’appliquer la disposition réglementaire dans cette interprétation. Elle autorise la société à rapporter la preuve que l’intéressé exerçait en sus de son mandat d’administrateur de la société belge une activité salariée à mi-temps au moins à l’étranger. Cette attestation est en l’espèce produite par l’employeur de l’intéressé, qui confirme son activité de professeur dans un établissement d’enseignement non étatique depuis 1991, occupation qui a impliqué le paiement des charges sociales correspondantes.

La valeur probante de celle-ci n’ayant pas donné lieu à discussion, la cour conclut que l’intéressé devait dès lors être indépendant à titre accessoire et la cour confirme ainsi le jugement.

Intérêt de la décision

Dans cette problématique complexe, la Cour s’attache plus particulièrement, dans cet arrêt, à rechercher le fondement d’une différence de traitement entre les mandataires de sociétés gérant celles-ci de l’étranger alors qu’ils exercent dans leur pays une activité professionnelle (principale), et ce eu égard à l’exigence de la conclusions d’une Convention bilatérale. Pour la Cour, celle-ci ne se justifie pas.


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