Terralaboris asbl

Licenciement pour motif grave après dépôt d’une plainte pour harcèlement moral : examen des motifs

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. 2011/AB/46

Mis en ligne le jeudi 18 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/46

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 29 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles analyse, dans un licenciement pour motif grave, les exigences de précision du motif, eu égard en outre au dépôt par la travailleuse d’une plainte en harcèlement quelques jours auparavant.

Les faits

Une Dame C., depuis dix ans au service d’une ASBL qui exploite piscine, reçoit des reproches de son directeur, l’accusant de propos diffamatoires et peu respectueux à son égard. Celle-ci conteste les reproches qui sont faits. Un mois plus tard elle dépose plainte pour harcèlement moral entre les mains du conseiller en prévention. Elle est licenciée pour motif grave dix jours plus tard.

Le motif grave a trait à ces griefs, étant d’avoir propagé des rumeurs au sujet de divers collègues et vise également d’autres faits (avoir fait nettoyer sa voiture par des membres du personnel, etc.).

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles qui, par jugement du 9 novembre 2010, condamne l’ASBL au paiement d’une indemnité de rupture ainsi que d’une indemnité pour licenciement intervenu en contravention aux dispositions de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs (article tredecies).

L’ASBL interjette appel.

Décision de la cour du travail

La Cour du travail rappelle les principes en ce qui concerne le motif grave de licenciement, dont la question du délai pour licencier pour motif grave. Elle va également s’attacher à l’exigence de précision du motif, étant que ceux-ci doivent être énoncés de manière telle que le destinataire puisse connaître avec exactitude qui lui est reproché et que le juge soit également à même de vérifier la conformité de ces faits avec ce qui sera allégué devant lui dans le cadre de la procédure. La cour rappelle sa jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 9 juin 1993, J.T.T., 1994, p. 74), selon laquelle l’appréciation faite sur un comportement ou une accusation générale ne sont pas des faits répondant aux exigences légales de précision.

Elle va dès lors examiner l’un après l’autre les griefs énoncés et conclure que, pour certains d’entre eux, elle se trouve dans l’impossibilité de vérifier que le délai de trois jours avant le licenciement a été respecté (ce délai n’étant pas prouvé par l’employeur) ou qu’il apparaît clairement de la chronologie des faits que le délai était dépassé. Elle va également souligner le manque de précision dans les griefs invoqués. En ce qui concerne plus particulièrement le grief du nettoyage du véhicule de l’intéressée par des membres du personnel, la cour relève que ceci est intervenu après un transport de marchandises pour le compte de la piscine et que ce fait – s’il n’avait pas été admis par la direction - ne pouvait justifier un licenciement, n’ayant pas la gravité suffisante pour entraîner la rupture du contrat de travail. Le motif grave n’est dès lors pas retenu.

L’imprécision de l’ensemble des griefs va également rejaillir sur la demande d’indemnité de protection suite au dépôt de la plainte pour harcèlement moral. La cour du travail rappelle en effet que figure dans la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail tout un arsenal de dispositions insérées par la loi du 11 juin 2002 et modifiées par celle du 10 janvier 2007, parmi lesquelles la protection contre des représailles en cas de plainte. La cour rappelle que l’indemnité de six mois de rémunération brute ne sanctionne pas le harcèlement moral lui-même mais le licenciement par mesure de représailles à une plainte pour harcèlement.

Le juge ne doit dès lors pas examiner le fondement de la plainte mais les motifs de licenciement. Ceux-ci doivent être étrangers à la plainte déposée. Le but du législateur est en effet de garantir la liberté du travailleur de déposer une telle plainte sans crainte de représailles. Le juge va dès lors procéder à un contrôle des motifs du licenciement et ici encore la cour va déplorer le manque de précision des faits invoqués par l’employeur, manque de précision qui rend les motifs invérifiables. Elle retient également que les faits ne sont même pas susceptibles d’être prouvés, pour certains d’entre eux. Quant à ceux qui sont établis, la cour retient ici également qu’ils étaient connus depuis plusieurs semaines avant le licenciement et que l’employeur n’a pas diligenté d’enquête, à l’époque, pour vérifier s’ils étaient réels et s’ils pouvaient être imputés à l’intéressée, qui n’a même pas été entendue à ce sujet.

Pour la cour, l’on ne peut expliquer pourquoi des faits connus depuis plusieurs semaines auraient conduit au licenciement le jour où l’employeur envoya la lettre de rupture. Entre le moment où la direction de l’ASBL avait été au courant de ces faits et le licenciement, la cour retient qu’un seul événement est survenu, étant le dépôt de la plainte pour harcèlement.

La cour conclut au fondement de la demande, précisant encore qu’il n’incombe pas à l’employée de prouver que le licenciement a été décidé en représailles suite au dépôt de la plainte mais à l’employeur de démontrer le contraire et qu’en l’espèce cette preuve n’est pas apportée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt contient deux analyses, menées parallèlement, étant les exigences de précision (et de délais) existant en matière de motif grave ainsi que dans le contrôle du motif étranger en cas de dépôt de plainte pour harcèlement moral.

Si les exigences de précision sont très strictes dans le cadre de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, le caractère vague ou non établi des griefs va également rejaillir sur la preuve à apporter dans l’examen du motif étranger au dépôt d’une plainte. La cour rappelle également et à juste titre que l’indemnité spéciale de protection tend à permettre au travailleur de déposer librement une plainte pour harcèlement et que le contrôle judiciaire porte non sur le fondement de celle-ci mais sur le motif du licenciement qui interviendrait.


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