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Personnel d’ambassade : tribunal compétent en cas de litige

Commentaire de C.J.U.E., 19 juillet 2012, aff. n° C-154/11

Mis en ligne le vendredi 26 octobre 2012


Cour de Justice de l’Union Européenne, 19 juillet 2012, Affaire C-154/11

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 Juillet 2012 la Cour de Justice de l’Union européenne examine la situation des ambassades d’Etats étrangers (hors Union européenne) au regard du Règlement n° 44/2001.

Les faits

Un citoyen ayant la double nationalité algérienne et allemande et résidant en Allemagne travaille pour compte de l’ambassade algérienne à Berlin en qualité de chauffeur automobile. Le contrat contient une clause attributive de juridiction, attribuant compétence exclusive aux tribunaux algériens.

Une procédure est engagée par lui devant les juridictions du travail de Berlin en vue d’obtenir le paiement d’heures supplémentaires. Il est ensuite licencié et conteste alors également la légalité de la rupture du contrat. La République algérienne ayant soulevé une exception d’incompétence, le tribunal saisi (Arbeitsgericht) rejette la demande de l’intéressé, qui interjette appel. La juridiction d’appel (Landesarbeitsgericht) relève que, l’intéressé étant chauffeur d’ambassade, ses activités n’entrent pas dans l’exercice de l’autorité publique de l’Etat mais constituent une activité auxiliaire par rapport à l’exercice de la souveraineté. Par conséquent, l’immunité ne peut être soulevée. La juridiction conclut également à la compétence des tribunaux allemands, dès lors que l’ambassade constitue un « établissement » au sens du Règlement n° 44/2001 (article 18, § 2). Le juge allemand précise que si un « établissement », au sens de ce texte est normalement un lieu d’accomplissement d’activités commerciales, la disposition du Règlement a vocation à s’appliquer à une ambassade. En effet, aucune disposition n’exclut les représentations diplomatiques d’Etats étrangers de son champ d’application et en outre l’ambassade dispose d’une direction propre, habilitée à conclure des contrats de manière indépendante (matière civile ou contrat de travail). Quant à la clause attributive de juridiction, elle est écartée, au motif qu’elle ne satisfait pas au Règlement lui-même, ayant été conclue avant la naissance du litige et renvoyant le travailleur exclusivement devant les juridictions algériennes.

Un recours est introduit par la République algérienne devant le Bundesarbeitsgericht, se fondant sur l’immunité de juridiction, ainsi que sur la clause attributive de juridiction aux tribunaux algériens. L’arrêt est cassé et renvoyé devant la juridiction du Land, lui enjoignant notamment de déterminer la juridiction compétente pour juger du litige au principal, eu égard au Règlement n° 44/2001 et à la Convention européenne sur l’immunité des Etats (convention du Conseil de l’Europe du 16 mai 1972 – article 7). Le Landesarbeitsgericht, vers qui l’affaire est ainsi renvoyée, considère que les Etats ne peuvent opposer l’immunité de juridiction que dans les litiges qui concernent l’exercice de leur souveraineté et que, en droit allemand, le droit du travail régissant les relations entre employés d’une ambassade et l’Etat relèvent de la compétence juridictionnelle des tribunaux allemands dès lors que le travailleur en cause n’a pas accompli pour l’Etat dont il est l’employé des activités qui relèvent des fonctions souveraines de celui-ci. Ceci n’est pas prouvé par l’Etat algérien en l’espèce.

Quant au Règlement n° 44/2001, la juridiction allemande estime devoir surseoir à statuer et poser à la Cour de Justice deux questions préjudicielles, étant de savoir si une ambassade (située dans un Etat membre) d’un Etat qui se situe hors du champ d’application du Règlement n° 44/2001 peut être considérée comme une succursale, une agence ou tout autre établissement au sens de l’article 18, § 2 du Règlement et, en cas de réponse affirmative, si une clause attributive de juridiction conclue antérieurement à la naissance du différend peut fonder la compétence d’un tribunal se trouvant hors du champ d’application du Règlement n° 44/2001, lorsque cette clause écarte la compétence qui découlerait du Règlement.

Décision de la Cour de Justice

Sur la première question, la Cour de Justice rappelle que le chapitre II du Règlement (qui contient l’article 18) contient un ensemble de règles qui forment un système global, s’appliquant à la fois aux rapports entre Etats membres mais également aux rapports entre un Etat membre et un Etat tiers. Si l’employeur est domicilié hors du territoire de l’Union européenne mais possède dans un Etat membre une succursale, une agence ou un autre établissement, il est considéré comme domicilié dans cet Etat aux fins de déterminer la juridiction compétente. La Cour rappelle sa jurisprudence sur les règles de compétence dans les litiges relatifs à des contrats de travail contenues dans la convention de Bruxelles, selon laquelle les dispositions du chapitre II du Règlement n° 44/2001 (section 5) doivent être interprétées en tenant compte du souci de garantir une protection adéquate au travailleur, étant la partie contractante la plus faible dans la relation de travail. Elle conclut que l’ambassade constitue un établissement au sens de l’article 18 lorsque les fonctions du travailleur avec lequel elle a conclu un contrat de travail se rattachent à l’activité de gestion accomplie par l’ambassade dans l’Etat accréditaire. Si le principe de l’immunité des Etats, consacré par le droit international, implique qu’un Etat ne peut être soumis à la juridiction d’un autre Etat, la Cour relève avec son avocat général qu’en l’état actuel de la pratique internationale cette immunité n’a pas une valeur absolue. Elle concerne les actes de souveraineté accomplis iure imperii mais non les actes accomplis iure gestionis, qui ne relèvent pas de la puissance publique.

Pour la Cour de Justice, le principe de droit international coutumier sur l’immunité juridictionnelle des Etats ne s’oppose dès lors pas à l’application du Règlement n° 44/2001 dans un litige concernant le versement d’indemnités et la résiliation d’un contrat de travail lorsque les fonctions du travailleur ne relèvent pas de la puissance publique ou lorsque l’action judiciaire introduite ne risque d’interférer avec les intérêts de l’Etat en matière de sécurité. En conséquence, l’ambassade d’un Etat tiers située sur le territoire d’un Etat membre constitue un établissement au sens de cette disposition, dans les litiges ainsi visés.

Sur la seconde question, la Cour rappelle que l’article 21 du Règlement n° 41/2001 permet au travailleur, par une convention attributive de juridiction, de saisir d’autres tribunaux que ceux repris aux articles 18 et 19 mais que ceci ne peut être interprété de telle sorte qu’une clause attributive de compétence s’applique de manière exclusive et interdise au travailleur de saisir les tribunaux désignés par le Règlement comme étant les tribunaux compétents. Il ne peut dès lors être question d’exclure la compétence reconnue sur la base des articles du Règlement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice rappelle la distinction à opérer, en la matière, entre les actes accomplis par les Etats étrangers iure imperii et iure gestionis, règles qui fixent les limites de l’exercice de la puissance publique d’un Etat étranger sur le sol d’un Etat accréditaire.

Il rappelle également que le Règlement n° 44/2001 désigne le tribunal compétent en matière de contrat de travail et qu’il permet d’en désigner un autre par une clause attributive de compétence mais que celle-ci ne peut priver le travailleur des droits fixés par le Règlement lui-même.


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