Terralaboris asbl

Mandat de gérant et droit aux indemnités d’incapacité de travail : compatibilité ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 mai 2012, R.G. 2011/AB/429

Mis en ligne le vendredi 26 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 10 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/429

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine une espèce particulière où un mandat de gérant n’a été suivi d’aucun effet, la société en cause n’ayant eu aucune activité et son existence ne s’étant pas concrétisée, situation exceptionnelle qui autorise le maintien du droit aux indemnités de mutuelle.

Les faits

Une dame M. est reconnue en incapacité de travail depuis janvier 2009 (une intervention chirurgicale étant programmée au mois de février). Elle bénéficie des indemnités légales jusqu’au au début mai. Dans le courant du mois de février, elle s’inscrit au statut social des travailleurs indépendants vu l’exercice d’un mandat de gérant d’une société coopérative, créée fin janvier. Vu cette situation, l’organisme assureur réclame les indemnités allouées pour la période de février à mai. Vu l’absence de règlement amiable, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles et elle aboutit à une condamnation à rembourser les indemnités perçues.

L’intéressée interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’intéressée conteste effectivement avoir effectué un travail pendant la période concernée. Elle expose avoir accepté, suite à l’intervention de son conjoint, de prendre une gérance pro forma d’une société constituée par trois personnes qui ne remplissaient pas elles-mêmes les conditions pour exercer un mandat de gérant. Elle pensait que c’était son cas, ce qui en fin de compte s’est avéré inexact. Elle a dès lors démissionné de ce mandat début mars et ceci a d’ailleurs été acté par l’assemblée générale. Elle expose en outre que, personne ne remplissant les conditions pour exercer le mandat de gérant, la société n’a eu aucune activité.

L’organisme assureur rappelle pour sa part qu’il fonde sa réclamation sur l’article 103, § 1er de la loi cordonnée le 14 juillet 1994, précisant également que, dès qu’il a été informé de cette situation, son médecin-conseil a mis un terme rétroactif à la reconnaissance de l’incapacité de travail. Pour l’organisme assureur, la reprise de ce travail a automatiquement mis fin à l’incapacité.

Décision de la cour du travail

La cour constate que l’intéressée n’a perçu, pendant la période visée par la demande de récupération d’indu, aucun salaire ou aucune indemnité. Par ailleurs, le médecin-conseil n’a pas pris de décision rétroactive par laquelle il mettrait un terme à la reconnaissance de l’incapacité de travail et la cour pose la question de savoir si la réglementation permettrait d’ailleurs une telle décision avec effet rétroactif.

Elle en vient alors à la notion de reprise du travail, constatant que celle-ci ne met pas nécessairement un terme à la reconnaissance de l’incapacité de travail.

Rappelant la doctrine (HOSTAUX, S., « Le droit de l’assurance soins de santé et indemnités », Droit social, 2009, p. 286), qui rappelle que le législateur est intervenu par une loi du 18 octobre 1991 afin de mettre un terme à une situation très préjudiciable, découlant des conséquences sévères liées, précédemment, à une reprise de travail non autorisée. En effet, l’assuré social qui se trouvait dans cette situation, et ce même à concurrence d’une reprise de travail de minime importance, était considéré comme ayant mis fin à son incapacité de travail et perdait dès lors tout droit à une indemnisation à partir du jour même. Une conséquence annexe était que, si l’activité qu’il avait reprise n’était pas soumise à des cotisations de sécurité sociale, il tombait tout à fait en dehors du système de protection sociale.

La cour rappelle que la question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’intéressée a effectivement interrompu toute activité, ainsi qu’exigé par l’article 100 de la loi coordonnée.

La cour constate que celle-ci a très rapidement mis un terme au mandat, vu qu’il est apparu qu’elle ne remplissait pas les conditions pour l’exercer. Il est apparu de l’instruction d’audience qu’elle n’a jamais eu l’intention d’exercer effectivement une activité au sein de la société et qu’elle n’a, à la demande de son époux, fait qu’une chose, étant de mettre ses connaissances à disposition aux fins d’aider, acceptant de figurer comme gérant. Pour le surplus, elle avait quant à elle une occupation professionnelle en tant que salariée dans le secteur du nettoyage et avait toujours son contrat de travail, suspendu pendant la période d’incapacité.

Rien pour la cour ne permettait de supposer par ailleurs qu’elle disposait d’une formation ou d’une expérience qui lui aurait permis d’exercer concrètement son activité auprès de la société en cause, société de consultance et qui, selon ses statuts, devait se déployer dans le secteur d’import-export.

En outre, elle relève qu’aucun gérant n’avait pu remplir cette fonction, suite à la démission de l’intéressée et que la société avait dès lors été « dormante », et ce jusqu’à la désignation d’un autre gérant.

La consultation du Moniteur Belge faisait en outre apparaître qu’aucun n’avait jamais été désigné et la Banque Carrefour des Entreprises confirmait également l’absence de toute concrétisation de l’activité de la société (aucune information relative au numéro de téléphone, fax, absence de dépôt des comptes annuels, etc.).

La cour conclut dès lors à l’absence d’exercice de l’activité dans le chef de la société. Elle fait dès lors droit à l’appel, l’intéressée n’ayant de sa part pu en exercer aucune non plus.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail trace la ligne entre l’exercice effectif d’un mandat et la désignation théorique à celui-ci. C’est, en l’espèce, un ensemble de circonstances concordantes qui a permis de conclure à l’absence d’activité – et donc au droit aux indemnités d’incapacité de travail pour la période concernée, puisqu’il n’était pas établi qu’elle n’avait pas cessé toute activité.

A supposer, cependant, que la société n’ait pas été « dormante », l’acceptation par l’intéressée de la qualité de mandataire n’aurait pas permis le maintien des indemnités d’incapacité, même si l’activité exercée n’impliquait pas de prestations importantes. En effet, dans la mesure où la qualité de gérant ne peut être accordée qu’à la personne qui satisfait aux dispositions légales en la matière, la fonction ainsi occupée est légalement organisée et est susceptible d’entraîner toutes conséquences sur le plan de la sécurité sociale (droit aux indemnités dans le secteur des soins de santé et indemnités ou droit aux allocations de chômage).


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