Terralaboris asbl

Réduction de cotisations sociales : qu’entend-t-on par « même unité technique d’exploitation » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 juin 2012, R.G. 2011/AB/958

Mis en ligne le mardi 30 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 14 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/958

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles analyse la notion de « même unité technique d’exploitation », au sens de la loi-programme du 24 décembre 2002, autorisant la réduction de cotisations de sécurité sociale prévue par la loi pour l’engagement d’un premier travailleur.

Les faits

Un établissement de l’HORECA fait l’objet d’une cession, intervenant en deux temps et le personnel est transféré à l’issue des dernières opérations. L’exploitant de la société cédante avait, parallèlement, constitué une SPRL, dans laquelle furent transférés, quelques mois avant la cession, deux des huit travailleurs appartenant à la société cédante. Ceux-ci furent licenciés et marquèrent leur accord pour entrer au service de cette SPRL. Ils se trouvaient ainsi dans la situation de premiers travailleurs d’une nouvelle société créée et l’employeur était dans les conditions pour bénéficier des dispositions de la loi-programme du 24 décembre 2002 (articles 342 et suivants).

Suite à un contrôle de l’ONSS, il fut constaté que les conditions de réduction des cotisations de sécurité sociale n’étaient pas remplies et les cotisations complètes furent exigées. La position de l’ONSS se fondait sur l’article 344 de la loi-programme du 24 décembre 2002, en vertu duquel l’employeur ne peut bénéficier des dispositions prévues si le travailleur nouvellement engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité d’exploitation technique au cours des quatre trimestres précédant l’engagement. La société paya dès lors les cotisations, sous réserve, afin d’éviter les majorations et intérêts. Elle introduisit, cependant, une action en justice aux fins de récupérer celles-ci.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 27 juin 2011, le Tribunal du travail de Louvain a fait droit à la demande de la société et a par ailleurs rejeté une demande reconventionnelle de l’ONSS, qui était venu ajouter, par voie de conclusions, une demande de paiement d’un reliquat de cotisations.

Position de parties en appel

La cour du travail est saisie d’un appel de l’ONSS, qui considère que c’est à tort que le premier juge a retenu qu’il n’y avait pas une même unité technique d’exploitation.

Pour l’ONSS, il faut se référer au critère social, étant de savoir si dans les deux employeurs qui se suivent, il y a au moins une même personne occupée par eux. Il faut également examiner si l’activité exercée l’est au même endroit ou dans un endroit proche, si les activités sont identiques, semblables ou complémentaires et enfin si les moyens d’exploitation ou une partie d’entre eux sont les mêmes. Pour l’ONSS, la présence du gérant, identique dans les deux sociétés est importante, de même que la circonstance qu’au moins un des deux travailleurs transférés occupait des fonctions de gérance dans la nouvelle société. L’ONSS constate également que les deux établissements n’étaient distants que de 10 kms et que la nature de l’activité était identique (exploitation d’un café), même si la part de celle-ci était plus importante dans une société que dans l’autre. L’ONSS reconnait cependant qu’il n’y a pas eu de reprise de matériel et de moyens d’exploitation.

Quant à la société, elle demande à la cour de confirmer le jugement, relevant que la notion d’unité technique d’exploitation n’a pas été définie par le législateur et qu’il y a lieu de se référer aux travaux préparatoires. Elle conteste qu’il y ait en l’occurrence le critère social requis et fait valoir à cet égard des éléments de fait.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les dispositions pertinentes de la loi-programme du 24 décembre 2002, étant ses articles 342, 343 et 344.

Elle constate que la loi ne définit pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « même unité technique d’exploitation » et constate que l’intention du législateur n’apparaît pas, sauf dans les travaux préparatoires de la loi-programme du 30 décembre 1988, dans lesquels il peut être lu que l’intention est d’éviter qu’il suffise, pour bénéficier de la réduction des cotisations, d’une modification juridique de l’employeur sans création réelle d’emploi.

Il appartient dès lors au juge, comme le relève la cour, de définir la notion de « même unité technique d’exploitation », en fonction d’une part des termes utilisés par le législateur, qui doivent être compris dans le sens des mots utilisés et, également, eu égard au but poursuivi. Ces termes ne peuvent, pour la cour, être interprétés en fonction d’autres critères que ceux visés par la loi et elle relève, avec l’ONSS, qu’il n’est pas question ici de se référer à la notion de « unité technique d’exploitation » utilisée dans la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, le but de la législation étant distinct.

La cour se penche, dès lors, sur la jurisprudence de la Cour de cassation dans ses arrêts du 30 octobre 2006 et 11 novembre 2007 (Cass., 30 octobre 2006, R.W., 2006-2007, p. 1677 et Cass., 12 novembre 2007, R.G. n° S.06.0108.N) dans lesquels la Cour a jugé que, pour l’application de l’article 117, § 2 de la loi-programme du 30 décembre 1988, il ne suffit pas de constater que « l’économie de l’article 117, § 2 de la loi du 30 décembre 1988 est respectée », mais qu’il y a également lieu d’apprécier l’existence de l’unité technique d’exploitation à la lumière de critères socio-économiques.

La cour constate ne pas pouvoir suivre la position de l’ONSS, selon laquelle le critère social implique qu’il y ait au moins un travailleur présent dans les deux entités. Pour la cour du travail, le fondement de cette appréciation n’est pas clair. Elle relève qu’il est vrai qu’au sens des lois du 20 septembre 1948 et 4 août 1996, les critères admis aboutissent à ce que, en cas de doute, les critères sociaux priment mais elle relève que cette règle ne peut s’appliquer ici, s’agissant dans les lois précitées de la présomption de l’existence d’une unité technique d’exploitation. La cour déclare ne pas apercevoir, dans le cadre des dispositions de la loi-programme du 24 décembre 2002, en quoi la circonstance qu’une même personne serait gérante de deux sociétés différentes constituerait un critère social suffisant pour conclure à une seule unité technique d’exploitation.

Elle examine ensuite la réalité de l’exploitation des deux établissements et arrive à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’une même unité technique d’exploitation, soulignant l’ensemble de ces termes (et indiquant ainsi qu’ils doivent répondre à des conditions cumulées).

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il n’y a pas lieu d’interpréter la notion de « même unité technique d’exploitation », au sens de la loi-programme du 24 décembre 2002 (autorisant les réductions de cotisations de sécurité sociale) de la même manière que dans les lois organisant les conseils d’entreprise et comités pour la prévention et la protection au travail. C’est le but poursuivi par le législateur qui doit être le critère. La cour se réfère à deux arrêts de la Cour de cassation en la matière.

Relevons que, dans son arrêt du 11 novembre 2007, la Cour de cassation a considéré que la seule circonstance que l’occupation successive des seuls travailleurs originairement occupés par une entité qui a mis fin à ses activités économiques par l’entité qui poursuit les activités économiques de la première entité n’a pas été interrompue, n’exclut pas l’existence d’un lien social entre les entités.

En l’espèce, les éléments dégagés par la cour du travail ont fait apparaître que le lien social requis est inexistant. La réduction de cotisations était dès lors autorisée.


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