Terralaboris asbl

Avantages alloués au personnel et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 mars 2012, R.G. 2011/AB/78

Mis en ligne le jeudi 29 novembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 15 mars 2012, R.G. n° 2011/AB/78

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles apporte deux précisions importantes sur des avantages contractuels fournis par l’employeur, à savoir réductions en cas d’achat de biens et services auprès d’une société tierce et usage privé sur les lieux du travail d’un ordinateur de société.

Les faits

Dans le cadre d’une enquête menée par l’inspection sociale, il s’avère qu’une société verse à son personnel une série d’avantages, de manière directe ou indirecte, avantages non soumis à cotisations de sécurité sociale. Il s’agit essentiellement d’un avantage « corporatemade », étant un système permettant au personnel d’avoir accès à un site Web où il pouvait se procurer des services et produits avec ristourne (moyennant redevance payée par l’employeur), de chèques-cadeaux ainsi que d’avantages en nature (mise à disposition pour usage privé de laptops et de PC).

L’Office a dès lors procédé à une régularisation et, tout en contestant celle-ci, la société a payé sous réserve.

Elle a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles en remboursement de montants importants (environ 20.000€ pour l’avantage « corporatemade », 95.000€ pour les chèques-cadeaux alloués au-delà de 35€ par an ainsi que de 142.000€ environ pour la mise à disposition de PC).

Par jugement du 29 octobre 2010, le tribunal du travail de Bruxelles a fait droit à la demande en ce qui concerne l’avantage « corporatemade » ainsi que la mise à disposition des PC. Il a confirmé la position de l’ONSS pour le solde.

Appel est interjeté par l’Office.

Décision de la cour du travail

La cour a d’abord examiné la nature de l’avantage « corporatemade ».

Pour le premier juge il s’agit d’un avantage visé à l’article 19, § 2, 19° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, dans la mesure où il peut être comparé à des produits vendus aux travailleurs avec réduction, conclusion que ne partage pas l’ONSS, qui considère que cette disposition est limitée aux produits fabriqués ou vendus par l’employeur ou encore de services fournis par celui-ci, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il s’agit d’un avantage rémunératoire et peu importe qu’il soit accordé par l’intermédiaire d’un tiers. C’est la contrepartie du travail fourni.

La cour va dès lors reprendre les dispositions pertinentes de la loi du 27 juin 1969 (article 14) et de son arrêté royal d’exécution du 28 novembre 1969 (article 19, § 2, 19°), qui fait exception à la notion de rémunération telle que visée à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965.

Elle constate en l’espèce que l’accès au système de « e-commerce » était rendu possible par la contribution annuelle de l’employeur (fixée à 15€) et que la régularisation à laquelle l’ONSS a rocédé s’est d’ailleurs effectuée sur ce montant. La cour s’écarte de la conclusion du premier juge, considérant que dans l’arrêté royal, pour être exclues de la notion de rémunération, lesdites réductions doivent viser un produit ou un service fabriqué ou vendu par la société, ce qui n’est pas le cas. La cour du travail rappelle que, pour avoir un caractère rémunératoire, il suffit qu’une somme soit payée en raison du travail fourni même si elle n’est pas la juste contrepartie de celui-ci. Pour la cour du travail, par ailleurs, il est sans importance que ce ne soit pas l’employeur qui accorde les ristournes en cause. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de réformer le jugement sur ce point, en ce qu’il a considéré que lesdites réductions n’avaient pas un caractère rémunératoire au sens de la loi du 27 juin 1969.

La cour en vient ensuite à l’examen de l’avantage en nature représenté par la mise à disposition d’un PC. La cour relève que le premier juge a ordonné la restitution des cotisations, dans la mesure où l’Office est resté en défaut d’apporter la preuve (qui est à sa charge) de l’existence d’un avantage en nature et du fait que l’utilisation des PC à usage privé était prépondérante.

Elle examine les arguments des parties sur cette question :

  • l’ONSS renvoie à l’article 20, § 2 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 en vertu duquel l’avantage en nature qui découle de l’utilisation à des fins privatives d’un ordinateur mis gratuitement à disposition du travailleur (ou d’un raccordement internet) doit être évalué conformément au CIR 1992 en son article 18, § 3, 10°, soit à 180€ par an en cas de mise à disposition gratuite d’un PC ;
  • la société considère par contre qu’il faut distinguer le PC mis à disposition du travailleur pour effectuer du travail à domicile et celui qui est fourni pendant la durée normale du travail sur le lieu du travail, qui fait dès lors partie de ses instruments de travail ;
  • dans cette hypothèse, pour l’ONSS, cependant, même s’il ne s’agit pas d’un PC destiné à effectuer du travail à domicile, il y a un avantage rémunératoire dans la mesure où la réglementation interne de l’entreprise autorisait l’utilisation du PC sur les lieux du travail pour effectuer pendant celui-ci des travaux personnels bien circonscrits.

La cour considère qu’il y a lieu de suivre la position de la société. L’autorisation donnée par l’employeur aux travailleurs d’utiliser leur PC dans des conditions bien déterminées, à des fins personnelles pendant les heures de travail ne peut pas être considérée comme l’octroi d’un PC personnel et la cour considère par ailleurs que l’évaluation faite par l’ONSS ne pourrait être retenue, étant la référence au critère fiscal.

La cour relève encore le caractère limité de l’usage personnel autorisé, qui exclut que le travailleur puisse affecter une partie de son temps de travail à des questions personnelles. Pour la cour, une telle autorisation doit se comprendre, notamment, lorsque deux partenaires travaillent, situation qui amènerait le travailleur à effectuer certaines formalités pendant son temps de travail. La disposition d’un ordinateur à des fins limitées pour régler ces questions lui donne, ainsi que le conclut la cour, d’ailleurs une plus grande disponibilité pour l’entreprise.

Ne s’agissant pas d’un avantage en nature, le jugement est confirmé sur ce point.

Reste une question que la cour examine attentivement, étant une demande formée par la société par appel incident en vue de capitaliser les intérêts.

La cour rappelle l’article 1154 du Code civil et les conditions légales de la capitalisation. Celle-ci est autorisée en ce qui concerne les intérêts échus, intérêts qui doivent être dus pour une année complète. Une sommation judiciaire est en outre exigée, sommation devant être renouvelée pour les nouveaux intérêts échus, dus au moins pour une année entière. La cour constate que, en l’espèce, les conditions de la capitalisation sont réunies.

Intérêt de la décision

Cet arrêt apporte deux précisions intéressantes, dans le débat relatif au caractère rémunératoire des avantages accordés aux travailleurs :

  • les réductions sur l’achat de biens et services conservent un caractère rémunératoire, même s’il ne s’agit pas de produits ou de services émanant de l’entreprise,
  • pour être rémunératoire, l’usage privé d’un ordinateur de société vise l’usage au domicile du travailleur et non un usage privé (limité) sur les lieux du travail.

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