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Cotisations de sécurité sociale : conséquences du dépassement du délai raisonnable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 septembre 2012, R.G. 2011/AB/412

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 14 septembre 2012, R.G. n° 2011/AB/412

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles confirme sa jurisprudence, en cas de dépassement du délai raisonnable pour recouvrer des cotisations de sécurité sociale : la sanction peut se situer au niveau des cotisations elles-mêmes mais plus généralement sur le plan des intérêts.

Les faits

Monsieur M. entreprend en 1981 une activité d’indépendant. Il est assigné en 1987 en paiement de cotisations, majorations et frais, procédure aboutissant à un jugement rendu par défaut le 15 février 1988. Suite à l’opposition formée contre celui-ci, le tribunal du travail rend un jugement contradictoire le 14 février 2011, déclarant l’opposition recevable mais non fondée. Appel est interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles.

Position de parties en appel

L’intéressé demande à la cour du travail de réformer le jugement rendu et de débouter la Caisse de l’ensemble de ses demandes, celle-ci sollicitant par contre, et comme il se doit, la confirmation de la décision, qui a fait droit à la totalité de sa demande en principal et intérêts (intérêts judiciaires).

Décision de la cour du travail

La cour va dès lors se prononcer sur le fondement de la demande en ce qu’elle touche au principal et aux intérêts.

Sur le principal, l’intéressé contestant avoir exercé une activité pendant toute la période concernée, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 3, § 1er de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, pour être redevable de cotisations au statut social, il faut avoir exercé une activité professionnelle. Dans la mesure où l’intéressé apporte, de manière officielle (lettre Contrôle de la TVA), la preuve de la cessation effective de son activité indépendante quelques trimestres après avoir entrepris celle-ci, la cour limite la période d’assujettissement.

L’intéressé faisant également valoir le dépassement du délai raisonnable, au sens de l’article 6 de la CEDH, la cour rappelle que cet article est applicable aux contestations en matière de sécurité sociale. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme tant sur le principe que sur l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure, celle-ci devant intervenir en fonction des circonstances de la cause (complexité de l’affaire, comportement du requérant, comportement des autorités compétentes et enjeu du litige).

S’il y a dépassement du délai raisonnable, la cour du travail rappelle l’examen auquel il faut procéder en ce qui concerne les effets de celui-ci : y a-t-il atteinte irrémédiable au droit de défense qui a fait perdre à l’assujetti la possibilité de démontrer de manière effective que les cotisations réclamées n’étaient pas dues ou se trouve-t-on dans une autre hypothèse ? Dans la première, en effet, le dépassement du délai peut avoir pour effet la dispense de paiement de la partie des cotisations sociales qui auraient en principe pu être contestées – ce qui n’est plus possible vu l’écoulement du temps -, alors que dans la seconde les effets du dépassement du délai raisonnable sont d’entraîner la suspension du cours des intérêts judiciaires.

Renvoyant à sa propre jurisprudence sur la question, la cour du travail conclut qu’il est abusif de la part de l’organisme qui se trouve à l’origine de ce dépassement de réclamer les intérêts judiciaires pendant la période de carence dans son chef.

La cour constate que, en l’espèce, l’opposition formée en 1988 est tranchée quatorze ans plus tard alors que l’objet du litige est relativement simple. Il y a dès lors dépassement du délai raisonnable, dont les effets portent sur le cours des intérêts. Constatant que ce dépassement est imputable à la Caisse, la cour recherche la période pendant laquelle il y a eu carence dans le chef de cette dernière, qui aurait pu faire fixer en application de l’article 747 du Code judiciaire. N’ayant pris aucune initiative efficace à cet égard, elle doit dès lors être pénalisée et ne peut se retrancher derrière la circonstance qu’elle avait la qualité de défenderesse sur opposition. La cour rappelle encore que la Caisse remplit une mission de service public et doit dès lors faire preuve de diligence. Elle va en conséquence accorder la suspension du cours des intérêts entre la date de l’introduction de l’opposition et la date de demande de fixation. Il s’agit d’une période de près de douze ans.

Intérêt de la décision

Cet arrêt confirme, selon une jurisprudence constante de la Cour du travail de Bruxelles, qu’en cas de retard anormal pris par une demande de paiement de cotisations au statut social des travailleurs indépendants, il peut être fait appel à l’article 6 de la CEDH aux fins de faire sanctionner le dépassement du délai raisonnable. Les effets de celui-ci sont à apprécier en fonction des circonstances de la cause (déperdition des preuves ou accumulation indue d’intérêts judicaires).


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