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En cas de travail « au noir », exigence de la preuve d’un lien de subordination

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 9 novembre 2012, R.G. 2011/AL/453

Mis en ligne le lundi 7 janvier 2013


Cour du travail de Liège, section de Liège, 9 novembre 2012 , R.G. n° 2011/AL/453

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 novembre 2012, la Cour du travail de Liège rappelle que le travail au noir est couvert par la loi du 10 avril 1971, mais qu’il y a lieu, avant toute chose, de prouver l’existence d’un lien de subordination.

Les faits

Un travailleur fait une chute grave du toit d’un hangar. Il travaillait avec une deuxième personne, chargée d’effectuer les travaux pour le compte du propriétaire.

L’Inspection sociale effectue une enquête, au terme de laquelle elle constate des infractions dans le chef du deuxième travailleur, qualifié d’« employeur ».

La Cour d’appel de Liège va condamner, en correctionnelle, celui-ci pour les infractions constatées et elle considère qu’il y a lieu d’assujettir le travailleur victime de l’accident à la sécurité sociale des travailleurs salariés.

Celui-ci introduit dès lors une action contre le Fonds des Accidents du Travail et contre le travailleur condamné. Il demande le bénéfice de la réparation légale. Le F.A.T. cite alors le deuxième travailleur en intervention forcée, en vue de le garantir de toute condamnation si les faits devaient être reconnus par les juridictions du travail comme étant constitutifs d’accident du travail.

Le tribunal du travail va rendre divers jugements et, en fin de compte, considérer que les conditions d’existence d’un contrat de travail liant les parties sont rencontrées.

Le F.A.T. interjette dès lors appel.

Position des parties devant la cour du travail

Le F.A.T. considère que la preuve de l’existence d’un lien de subordination n’est pas rapportée, condition qui n’a pas été examinée par le Tribunal correctionnel. Il n’y a pas davantage d’accord sur la rémunération. En outre, le F.A.T. va également contester la preuve de l’événement soudain (effondrement du toit, perte d’équilibre).

Quant à l’intimé, il sollicite la confirmation du jugement. Il signale cependant qu’il n’entend nullement opposer devant la cour du travail les décisions pénales.

La décision de la cour

La cour du travail rappelle, dans un premier temps, l’inopposabilité à son égard des décisions pénales, vu la relativité de la chose jugée. La question a été tranchée dans plusieurs arrêts de la Cour de cassation (et la cour relève notamment Cass., 18 mai 1994, Pas., 1994, I, p. 841). Les juridictions du travail sont en effet les seules compétentes pour se prononcer sur l’existence ou non d’un contrat de travail. Elle constate qu’elle doit dès lors examiner l’existence d’un contrat de travail entre les deux parties et, le cas échéant, la preuve d’un évènement soudain.

La cour examine dès lors, sur la base des principes habituels, l’existence d’une subordination juridique entre parties. Le contrat de travail suppose en effet qu’un travailleur s’engage à fournir un travail contre rémunération et sous l’autorité d’un employeur. L’état de subordination résultant de cette autorité en est l’élément caractéristique. La cour relève qu’il n’y a pas lieu de négliger la question de la rémunération, dans la mesure où la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 25 mai 1998 (Cass., 25 mai 1998, J.T.T., 1998, p. 393) que l’existence d’un contrat de travail suppose un accord des parties sur les montants de la rémunération ou sur les éléments permettant de la déterminer.

En l’espèce, elle constate qu’aucun élément ne permet de retenir que les parties étaient liées par un contrat de travail. Les prestations avaient en effet débuté début d’après-midi et, suite à l’accident, la victime fut admise aux soins intensifs d’un hôpital proche aux environs de 14h30. L’intéressé n’a dès lors travaillé que 30 minutes. En ce qui concerne l’existence de prestations antérieures, la cour constate qu’il y a au dossier des déclarations contradictoires. Les intéressés s’étaient rencontrés dans un café et les clients de cet établissement ayant été interrogés, ils confirmèrent que les deux hommes avaient déjà travaillé occasionnellement ensemble, circonstance que la cour retient comme impliquant la liberté pour le travailleur d’accepter la proposition de travail ou non. Elle en conclut qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’un travailleur avait un pouvoir d’autorité sur l’autre. Celui-ci pourrait ressortir du contenu du travail ou de l’organisation de l’exécution de la prestation, mais aucun élément n’est produit permettant d’asseoir un pouvoir d’un travailleur sur l’autre à cet égard.

Au contraire, rejoignant la position du F.A.T., elle constate que des éléments sont produits qui permettraient de douter de l’existence d’un lien de subordination, étant que le travailleur en charge du chantier avait l’habitude de faire appel à un indépendant, qu’il n’avait jamais occupé d’ouvrier et que le travailleur (victime de l’accident) avait pu s’absenter la matinée du jour de l’accident. Ce sont les règles en matière de preuve qui vont aboutir à la conclusion qui s’impose, étant que le demandeur n’établit pas le lien de subordination.

La cour relève également que la rémunération n’avait pas été convenue entre les parties, ainsi que ceci ressort du dossier, l’intéressé ayant à cet égard fait des déclarations tout à fait contradictoires, prétendant parfois ne pas avoir été payé, parfois ne pas avoir discuté des conditions de son occupation, ou encore autres versions, qui enlèvent aux diverses explications données toute crédibilité.

En conclusion, vu l’absence de preuve de l’existence d’un contrat de travail, la cour ne peut retenir qu’une chose, c’est que les deux intéressés ont occasionnellement travaillé ensemble et qu’il s’agissait d’un travail au noir, dont la cour relève qu’il peut se rencontrer aussi bien dans le cadre d’un contrat de travail que dans le cadre d’une collaboration indépendante. Elle rejette donc l’accident du travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège est certes intéressant, puisqu’il rappelle d’une part l’inopposabilité des décisions pénales en la matière en vertu de la relativité de la chose jugée et, d’autre part, l’application de la loi au travail au noir… à condition bien entendu que celui-ci se fasse dans le cadre d’un lien de subordination.


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