Terralaboris asbl

Règle de la sanction la plus forte

Commentaire de C. trav. Mons, 17 octobre 2012, R.G. 2006/AM/20.457

Mis en ligne le lundi 14 janvier 2013


Cour du travail de Mons, 17 octobre 2012, R.G. n° 2006/AM/20.457

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 17 octobre 2012, la Cour du travail de Mons rappelle que le principe de l’unité d’intention s’applique en matière des sanctions administratives dans le cadre de la réglementation chômage et que doit, dès lors, être retenue la sanction la plus lourde.

Les faits

Lors d’un contrôle effectué sur un chantier (Berlaymont), il apparaît qu’un travailleur, indemnisé dans le cadre du chômage temporaire pour raisons économiques, est au travail. Une enquête est effectuée, aux fins de vérifier la période de présence effective et, suite à diverses auditions, l’ONEm prend une décision d’exclusion des allocations de chômage temporaire, avec récupération des allocations perçues indûment et frauduleusement. La décision comporte également deux sanctions d’exclusion, l’une de huit semaines (non biffure de la carte de contrôle – article 154 de l’arrêté royal) et l’autre de même durée pour usage d’une fausse marque de pointage (article 155). L’ONEm conclut en effet que les certificats de chômage temporaire comportent de fausses déclarations de chômage et ne peuvent attester du chômage effectif. Il est rappelé à l’intéressé qu’il peut établir l’existence de journées pour lesquelles il aurait réellement subi du chômage temporaire, l’enquête menée par le service d’inspection ayant fait apparaître une fraude organisée à la sécurité sociale au sein de l’entreprise.

L’ONEm motive également chacune des mesures prises et le même jour il notifie la décision de récupération d’indu, correspondant à 106,5 allocations perçues. Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Charleroi.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 10 novembre 2006, le tribunal limite l’exclusion à certaines journées (5). Il accord un sursis total pour la sanction d’exclusion sur pied de l’article 154 de l’arrêté royal pendant une période de trois ans et supprime la sanction d’exclusion sur pied de l’article 155. Le tribunal considère en effet qu’il n’est pas établi qu’il y aurait d’autres journées d’occupation que celles faisant l’objet des constatations matérielles des services d’inspection et qu’il y a eu imprécision dans les contrôles. Le tribunal rejette également la fraude, faisant grief à l’ONEm de ne pas avoir eu égard à la situation personnelle de l’intéressé (d’où l’absence de sanction sur pied de l’article 155 – usage de fausses marques de pointage). Le sursis relatif à la sanction sur pied de l’article 154 est justifié par des circonstances particulières relatives aux contrôles d’entrée et de sortie des ouvriers sur le chantier.

Position des parties devant la cour

L’ONEm interjette appel sur le rétablissement des sanctions uniquement.

Il fait valoir, à propos de la sanction sur pied de l’article 154, que l’intention frauduleuse est établie, l’ensemble des travailleurs ayant participé à cette fraude et la reconnaissant (120 travailleurs). L’ONEm fait également grief à l’intimé d’avoir à diverses reprises pendant une période de quatre mois rentré une carte de contrôle incorrecte et d’avoir travaillé « au noir ». L’Office rappelle que ce type de travail perturbe le système économique, créant une concurrence déloyale, et qu’il porte, par ailleurs, atteinte à l’assurance chômage. Les mêmes motifs sont invoqués pour l’article 155.

Quant à l’intéressé, il conteste l’intention frauduleuse, précisant que ce n’est pas parce qu’il y a fraude massive que l’intention de fraude est nécessairement rapportée dans son chef. Il ne conteste cependant pas sa présence sur le chantier pendant les journées retenues par le tribunal.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle, en premier lieu, les dispositions réglementaires concernées étant essentiellement l’article 155 et l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La cour va ensuite reprendre divers éléments (connaissance par l’intéressé du système de chômage économique ainsi que de ses obligations dans ce cadre) pour conclure que la sanction de huit semaines fondée sur l’article 155 est justifiée. Pour la cour, il y a intention frauduleuse, étant la participation à une activité criminelle de grande envergure. Celle-ci suppose en effet le concours à la fois des travailleurs et des employeurs pour aboutir. L’appel de l’ONEm est dès lors considéré fondé sur ce point.

C’est, ensuite, sur l’application cumulative des articles 154 et 155 de l’arrêté royal que la cour se penche. La cour rappelle que ces deux dispositions renferment des sanctions de nature administrative. L’article 154 (tel qu’en vigueur à l’époque) prévoit en effet la possibilité d’exclusion pour une période de 1 à 26 semaines en cas de perception d’allocations indues vu le non respect de l’article 71, alinéa 1er, 3° ou 4° du même arrêté royal (étant l’obligation de biffer sa carte de contrôle avant le début d’un activité). Le chômeur a également des obligations correspondantes, étant d’apposer les mentions requises sur le document C3.2. Pour la cour, les manquements visés constituent des faits matériels distincts puisque l’article 155 prévoit également la possibilité d’exclusion dans l’hypothèse où le chômeur fait usage de documents inexacts afin de se faire octroyer de mauvaise foi des allocations auxquelles il n’a pas droit ou s’il fait usage d’une fausse marque de pointage.

Dans la mesure où les faits matériels sont distincts, il n’y a pas concours intellectuel d’infractions. Cependant, malgré la nature civile de ces sanctions, la cour examine la question à partir des articles 58 à 65 du Code pénal, étant de savoir si ces faits matériels distincts sont unis ou non par une seule intention délictueuse, comme le délit collectif ou continué.

Elle retient, vu les éléments de fait, que les deux comportements infractionnels sont distincts mais unis par une seule et même intention et que, si l’article 155 de l’arrêté royal requiert la mauvaise foi (ce que ne fait pas l’article 154), cette question est indifférente.

L’article 65 du Code pénal dispose que, lorsqu’un même fait constitue plusieurs infractions ou lorsque différentes infractions soumises simultanément au même juge du fond constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, la peine la plus forte sera seule prononcée et la cour rappelle que cette disposition déborde largement les frontières du droit pénal et doit trouver à s’appliquer ici (la cour citant divers arrêts rendus par elle, dont C. trav. Mons, 16 février 2011, R.G. n° 20.313 inédit).

En conséquence, seule la sanction la plus lourde doit être prise. En l’occurrence elles sont de même importance et la cour confirme celle en application de l’article 155, qui requiert l’intention frauduleuse.

Intérêt de la décision

Cet arrêt statue dans une hypothèse de fraude apparemment massive au régime de chômage temporaire. L’on constatera que la récupération des allocations est limitée aux journées dont il s’avère qu’elles ont effectivement été prestées. En ce qui concerne les sanctions, cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle la portée de l’article 65 du Code pénal, applicable en cas d’unité d’intention aboutissant à des comportements infractionnels distincts.


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