Terralaboris asbl

Aggravation des séquelles d’un accident du travail, dans un contexte de survenance d’un nouvel accident

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 octobre 2012, R.G. 2010/AB/904

Mis en ligne le lundi 14 janvier 2013


Cour du travail de Bruxelles, 22 octobre 2012, R.G. n° 2010/AB/904

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 octobre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les contours du critère d’imprévisibilité, dans le cadre de l’aggravation des séquelles d’un accident du travail. Cet arrêt intervient dans un contexte où, par ailleurs, un nouvel accident du travail similaire au premier est intervenu mais n’a pas laissé d’incapacité permanente.

Les faits

Un contrôleur d’une société de transport urbain est agressé par un voyageur sans ticket, agression entraînant des lésions sévères (commotion cérébrale, contusions du genou et de la mastoïde droite, ainsi qu’une entorse cervicale).

Dans les suites de l’accident, l’intéressé va développer d’autres symptômes étant des céphalées, des vertiges, ainsi qu’une anxiété importante et de la photophobie. L’accident est reconnu ainsi que l’incapacité temporaire et une rechute ultérieure.

Les séquelles de l’accident font l’objet d’un accord-indemnité qui sera entériné par le Fonds des accidents du travail, l’IPP étant fixée à 3%.

L’année suivante, il subit une altercation avec une passagère. A la suite de cet incident, l’intéressé est reconnu en incapacité de travail. Selon ses propres termes, l’incident aurait peut-être été banal pour un autre contrôleur, mais pas pour lui vu son état dépressif.

Le tribunal du travail est dès lors saisi et suite à un imbroglio de procédure (dû à un changement d’assureur-loi et à l’introduction d’une action en revision des séquelles du premier accident), le tribunal du travail finit par désigner un expert aux fins de l’éclairer sur les séquelles de l’accident.

Suite à l’appel de l’assureur-loi resté à la cause, la cour du travail, statuant sur le second accident, admet par arrêt du 13 octobre 2003 qu’il y a eu un nouvel accident du travail, lors du second incident, étant la discussion avec une voyageuse lors d’un contrôle de billets, qui avait provoqué un nouvel épisode majeur d’une dépression nerveuse préexistante avec incapacité de travail.

Dans le cadre de la procédure de revision des séquelles du premier accident, le même expert est entendu par le tribunal saisi de l’action en aggravation. Il déclare que l’incident avec la voyageuse a fait resurgir l’angoisse du premier accident, un deuxième phénomène faisant en effet revivre des événements traumatiques antérieurs. Il fixe les séquelles du second accident, étant une incapacité temporaire mais aucune incapacité permanente. Pour l’expert, la situation constatée est la conséquence uniquement du premier accident, combinée avec les événements vécus ultérieurement en rapport avec cet accident et l’effet amplificateur du second accident.

La discussion qui intervient alors dans le cadre de la revision des séquelles du premier accident concerne le côté imprévisible de l’évolution, et ce sur la base du fait que le rapport rédigé dans le cadre du dossier d’indemnisation des séquelles du premier accident ne mentionnait pas de caractère évolutif ou d’instabilité dans le chef de l’intéressé.

Pour l’assureur, les deux phénomènes sont distincts puisque après le premier accident, l’intéressé a repris le travail pendant une période appréciable et que l’incapacité de travail est survenue suite au second. L’assureur considère qu’il y a lieu de retenir la notion de prévisibilité et que si les troubles psychiques étaient déjà prévus dans l’accord-indemnité du premier accident, celui-ci incluait l’évolution prévisible de ces troubles. En conséquence, l’aggravation de l’état de stress post-traumatique était prévisible et dès lors a été prise en compte.

Le jugement du tribunal du travail du 15 juillet 2010

Dans ce jugement (dont appel), le tribunal a entériné l’avis de l’expert, d’autant que ce dernier a été entendu et a donné des explications tout à fait circonstanciées. Il admet l’imprévisibilité de l’évolution de la situation de l’intéressé et fixe la nouvelle incapacité permanente à 35%. Cette évaluation correspond à l’avis de l’expert selon lequel l’intéressé avait perdu un tiers de sa capacité économique.

Tenant compte des décisions déjà intervenues, le tribunal confirme que les séquelles du second accident portent uniquement sur une période d’incapacité temporaire mais sans incapacité permanente. En ce qui concerne le premier accident, il admet une aggravation survenue dans le délai de revision, portant le taux initial (3%) à 35%.

L’assureur-loi interjette appel de cette décision, demandant à la cour de dire pour droit qu’il n’y a pas eu d’aggravation dans le délai de revision.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle d’abord la notion de prévisibilité. Elle constate que pour l’assureur-loi il était prévisible que l’intéressé (qui exerce le métier de contrôleur dans ladite société de transport urbain et qui présentait déjà un trouble psychologique ainsi qu’une légère attitude de surcharge anxieuse) allait encore être confronté non seulement à des tensions mais également à des incidents voire même des menaces de la part des passagers. La cour fustige cette argumentation, précisant que l’assureur assimile ici la prévisibilité d’un événement susceptible de se produire à celle d’une pathologie qui peut être la conséquence éventuelle de celui-ci. Ce n’est pas parce que l’intéressé était susceptible de se retrouver dans une telle situation que celle-ci allait nécessairement entraîner les mêmes lésions ou pathologies que celles causées par le premier accident. La cour rappelle donc que la prévisibilité d’un événement ne peut être ni assimilé ni confondu avec celle d’une lésion ou de son aggravation.

Lorsque l’assureur soutient également qu’il était donc tout à fait prévisible que l’état post-traumatique s’aggrave, la cour rappelle que, lorsque l’accord-indemnité a été conclu, les parties ne pouvaient pas prévoir une telle aggravation de la pathologie psychique et, dans la mesure où aucune incapacité permanente n’a été retenue pour le deuxième accident, la notion d’état antérieur est inopérante. Les séquelles de ce deuxième accident ont été, par un effet qualifié de « amplificateur », d’entraîner une incapacité temporaire mais aucune incapacité permanente, de telle sorte que la prise en compte d’un état antérieur ne se justifie pas. Par conséquence, vu l’absence de séquelles du second accident, l’état constaté ne pouvait relever que du premier et, en ce qui concerne le taux, la cour constate encore que divers avis de spécialistes reconnus ont été donnés. Elle renvoie dès lors au principe habituel dans ce type de situation, étant que, si une expertise est ordonnée c’est pour permettre de trancher en s’appuyant sur un avis d’un homme de l’art, indépendant des parties. Elle relève encore qu’au risque de ruiner le principe de l’expertise judiciaire, l’avis donné par l’expert ne peut être suspecté par le seul fait qu’il ne concorde pas avec celui d’un médecin d’une des parties (elle renvoie ici à l’arrêt rendu par la même cour le 26 mars 2012, R.G. n° 2007/AB/49387).

Intérêt de la décision

C’est dans un contexte compliqué par un second accident (faits identiques) ayant entraîné uniquement une incapacité temporaire de travail que la présente décision est rendue. L’état constaté est imputé par l’expert au premier accident, au motif que le fait de revivre une situation angoissante fait resurgir et amplifie une angoisse préexistante. L’augmentation des séquelles de 3 à 35% est dès lors admise et mise à charge de l’assureur-loi qui assurait la société à l’époque du premier accident, exonérant ainsi l’assureur-loi actuel de toute obligation.

La solution dégagée par la cour du travail vaut dans la mesure où aucune incapacité permanente n’a été retenue en ce qui concerne le second accident. Il y a lieu cependant de relever qu’en cas d’accidents dits successifs, entraînant tous deux une incapacité permanente, le taux du second accident doit être globalisé, c’est-à-dire fixé globalement dans le cadre de l’évaluation des séquelles de cet accident, peu importe si un taux a déjà été accordé précédemment. Les deux taux seront dès lors additionnés, pour ce qui est du paiement de l’allocation.


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