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AMI : pour une évaluation concrète de la réduction de capacité de gain

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 23 octobre 2012, R.G. 2006/AN/8.018

Mis en ligne le vendredi 8 février 2013


Cour du travail de Liège, Section de Namur, 23 octobre 2012, R.G. n° 2006/AN/8.018

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 octobre 2012, la Cour du travail de Liège, sect. Namur, rappelle, de manière très nuancée, les critères à prendre en compte dans l’appréciation de la réduction de capacité de gain et souligne qu’il ne faut pas se fonder sur une possibilité de reprise du travail illusoire ou chimérique.

Les faits

Une Dame B., qui a toujours travaillé comme employée de bureau, tombe en incapacité de travail à l’âge de 55 ans, en avril 2002. L’INAMI considère, par décision du 17 décembre 2003, qu’elle est apte à reprendre le travail. Celle-ci introduit une procédure judiciaire, en contestation.

Ayant été déboutée par le tribunal (qui avait recouru à une mesure d’expertise), elle a formé un recours et dans le cadre de celui-ci, une nouvelle expertise a été ordonnée par arrêt du 5 août 2008.

Le rapport d’expertise

Dans ses préliminaires, l’expert note un ensemble de symptômes qu’il qualifie de relativement disparates et essentiellement subjectifs. Il note un repli sur soi et une importante asthénie physique ainsi qu’une altération de l’humeur. Pour l’expert, l’intéressée s’est installée dans un mode de vie régressif. Face aux difficultés exposées par elle par rapport au travail de dactylo, l’expert conclut plutôt à un burn-out qu’à une réelle incapacité physique.

Constatant qu’elle a un diplôme d’humanités secondaires et qu’elle a travaillé 30 ans comme employée, la capacité de gain est à examiner eu égard au travail administratif et d’employée de bureau.

Tout en constatant qu’à la date de la décision de l’INAMI l’employée était apte à exercer des tâches de travail de bureau, elle présente cependant une réduction de capacité de gain, étant que, au moment où l’expertise a été faite, l’état de santé, dans sa globalité (sur le plan psychique et psycho-thymique) l’empêcherait en pratique d’être engagée à temps plein.

Répondant aux préliminaires de l’expert, le médecin-conseil de l’INAMI souligne que le burn-out ne serait pas de type professionnel car il ne se limite pas à la sphère professionnelle et que le marché de l’emploi ne doit pas être pris en compte.

Dans ses conclusions, l’expert insiste sur l’individualisation de l’évaluation, retenant en outre qu’il faut se référer à la possibilité pour l’intéressée de reprendre un travail à temps plein et non un emploi à temps partiel ou comportant des limitations ou réserves. En présence de symptômes aussi subjectifs que la douleur, la fatigue et le manque de motivation, même si leur mesure concrète est difficile à donner, la globalité de l’état de santé conduit à admettre une réduction de capacité de gain de plus de 66%. L’expert retient dans son évaluation le fonctionnement général de l’intéressée, en ce compris à domicile et dans sa vie privée.

L’expert précise cependant qu’il est partagé entre deux positions, étant d’admettre la réduction de capacité sur les bases dégagées ci-dessus ou de retenir dans le cadre strict de l’article 100 les éléments objectifs du dossier, selon lesquels il n’y aurait pas une telle réduction, rien d’objectif n’empêchant concrètement l’intéressée de reprendre un travail de bureau.

Décision de la cour du travail

Lisant les préliminaires, la cour retient qu’ils sont très nuancés et que l’expert est lui-même conscient du caractère subjectif de son appréciation, qui résulte d’une évaluation de l’état physique, physiologique et mental. Elle constate également que se pose un problème de temps. Une première expertise avait été ordonnée en première instance et le premier expert (dont la qualité du travail n’est pas déniée) n’avait pas conclu à une réduction de capacité de gain de plus de 66% à l’époque. Se pose alors la question de savoir à partir de quand celle-ci doit être reconnue.

En ce qui concerne l’évaluation, elle reprend la doctrine de Ph. GOSSERIES (Ph. GOSSERIES, « Assurance maladie-invalidité obligatoire – La réduction de la capacité de gain de 66% au moins – Sa portée, ses limites, ses exigences », J.T.T., 1992, 140. Vu l’objectif de la loi, l’on ne peut considérer qu’est capable de travailler une personne dont l’aptitude restante rend la reprise du travail illusoire ou chimérique. Si l’aptitude au travail à un poste de travail concret et convenable n’est pas réelle, il n’y a pas de capacité de gain. La cour rappelle que la notion d’aptitude ne doit pas être confondue avec celle de capacité de gain, dont elle n’est qu’une composante. Le critère d’appréciation de la capacité de travail est la détermination des affections subies et de leurs répercussions sur l’accomplissement d’une activité professionnelle à temps plein. Ces affections peuvent être clairement objectivées mais également avoir un caractère subjectif, pourvu qu’elles soient reconnues.

En l’espèce, la cour retient une question qu’avait posée l’expert dans ses préliminaires, à savoir quel employeur accepterait d’engager l’intéressée à temps plein et pendant combien de temps celle-ci parviendrait-elle à remplir sa tâche. C’est en effet compte tenu de ses douleurs que l’intéressée ne peut manifestement travailler à temps plein. Elle ajoute qu’il faut également tenir compte des difficultés de déplacement, même si l’intéressée pourrait trouver un travail plus proche de son domicile. Celles-ci sont de nature à occasionner des douleurs, tout comme le travail lui-même. C’est dès lors la conception « élargie » (qualifiée ainsi par la cour) qui est retenue, celle-ci précisant expressément qu’il faut « cesser de culpabiliser les assurés sociaux qui, aux yeux des médecins-conseil ou inspecteurs, ne démontrent pas leur volonté de s’en sortir en suivant des traitements ou en se prenant énergiquement en charge ». L’assuré social n’a pas d’obligation d’effectuer une démarche proactive pour récupérer dans les délais les plus brefs son aptitude professionnelle. Il y a incapacité de travail si les critères légaux sont remplis et il ne peut être reproché à l’assuré social de ne pas suivre des traitements susceptibles de l’aider à recouvrer sa capacité de gain. Ce qu’il faut apprécier est la mesure de celle-ci en fonction de la situation réelle - et non théorique (la cour renvoyant ici à sa propre jurisprudence, étant C. trav. Liège, section Namur, 19 juin 2012, R.G. n° 2007/AN/8422).

Quant à savoir si cet état de santé était tel en décembre 2003, la cour retient qu’à cinq ans de distance celui-ci a nécessairement pu évoluer. Reprenant des éléments du dossier médical, elle va retenir que même s’il n’est pas possible d’avoir une coïncidence parfaite dans les constatations qui ont été faites, l’on peut considérer qu’il n’y a pas eu d’interruption dans l’état d’invalidité, l’intéressée s’étant plainte depuis le début des travaux d’expertise des difficultés à accomplir son travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt très nuancé de la Cour du travail de Liège, sect. Namur, pose, comme l’avait déjà fait l’expert judiciaire, un double constat étant que l’appréciation de l’aptitude au travail restante ne peut se fonder sur une reprise du travail illusoire ou chimérique et que l’évaluation de la capacité de gain restante doit se faire eu égard aux critères légaux, aucune obligation ne pesant sur l’assuré social d’entreprendre des démarches proactives afin de suivre des traitements susceptibles de l’aider à recouvrer sa capacité complète.


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