Terralaboris asbl

Chômage : nature de la sanction d’exclusion en cas de non présentation à une convocation (article 52bis, § 1er, A.R.)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. 2010/AB/975

Mis en ligne le jeudi 28 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. n° 2010/AB/975

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 janvier 2013, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les mesures d’exclusion prises en application de l’article 52bis, § 2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne sont pas considérées comme des sanctions pénales au regard de l’article 6, § 3 de la C.E.D.H.

Les faits

Bénéficiaire d’allocations d’attente depuis 1995, Monsieur A. est convoqué par ACTIRIS en 2008 et ne donne pas suite à la convocation. Il lui est alors notifié qu’il est radié de la liste des demandeurs d’emploi. Il se réinscrit quelques jours plus tard. L’ONEm prend une décision d’exclusion temporaire. Il est alors reconvoqué et ne donne une nouvelle fois pas suite à cette convocation. La décision prise alors est une exclusion pour une durée indéterminée (la première décision portant sur une période de quinze semaines uniquement) et une exclusion du bénéfice des allocations (vu qu’il n’était plus inscrit come demandeur d’emploi).

Deux recours sont introduits par l’intéressé devant le tribunal du travail, qui le déboute.

Il interjette dès lors appel.

Position des parties devant la cour

L’ONEm plaide que l’exclusion pour chômage volontaire n’est pas une sanction. Il s’agit de constater que le comportement du chômeur crée ou aggrave le risque de chômage et qu’il n’a pas droit aux allocations pendant un certain temps. Il plaide également que, s’il fallait considérer les exclusions comme des sanctions, celles-ci n’ont pas un caractère pénal au sens de l’article 6 de la C.E.D.H.

L’intéressé rappelle par contre les éléments permettant de qualifier une mesure de sanction à caractère pénal : il s’agit de la qualification en droit interne, de la nature de la sanction ainsi que de sa gravité. Même si ces mesures ne sont pas expressément qualifiées de sanctions, les deux autres critères sont remplis. Il y a en effet obligation générale de répondre aux convocations et l’exclusion a une portée dissuasive, la sanction étant par ailleurs particulièrement lourde. En conséquence, il demande à la cour de tenir compte de circonstances atténuantes et du caractère véniel des manquements. Il postule ainsi, vu le caractère disproportionné de la sanction, qu’elle soit remplacée par un avertissement ou assortie d’un sursis ou encore qu’elle soit réduite à un minimum de quatre semaines.

Positon du Ministère public

Le Ministère public renvoie à l’arrêt du 5 mai 2011 de la Cour constitutionnelle (C. Const., 5 mai 2011, arrêt n° 66/2011), qui a rappelé que les garanties contenues à l’article 6 de la C.E.D.H. n’exigent pas que, en outre, toute personne à qui est infligée une sanction administrative qualifiée de pénale au sens de cet article puisse se voir appliquer les mêmes mesures d’adoucissement de la peine que celles dont bénéficie la personne à laquelle est infligée une sanction qualifiée de pénale au sens du droit interne. En conséquence, même si le caractère de sanction à titre répressif était reconnu, la juridiction du travail n’est pas pour autant autorisée à remplacer les exclusions par un avertissement ou à les assortir d’un sursis.

Il précise en outre qu’en droit pénal également en cas de récidive le sursis n’est pas toujours possible.

Les arrêts de la cour

L’arrêt du 14 mars 2012

La cour rend un premier arrêt en date du 14 mars 2012. Dans celui-ci, elle constate un comportement - à deux reprises pendant une période d’un an - justifiant une exclusion en application de l’article 52bis, § 1er. Le chômeur peut dès lors être sanctionné conformément au même article, § 2, alinéa 2, qui dispose que le travailleur perd le droit aux allocations s’il est ou s’il devient à nouveau chômeur au sens du § 1er dans l’année qui suit l’événement qui a donné lieu à une décision prise en application de ce paragraphe avant la date du nouvel événement.

L’intéressé sollicitant le remplacement de la sanction par un avertissement ou sa réduction avec l’octroi d’un sursis, la cour ordonne la réouverture des débats sur cette question.

L’arrêt du 9 janvier 2013

Celui-ci commence par rappeler l’objet de la réouverture des débats, qui est de voir si les exclusions ne sont pas des sanctions à caractère répressif prédominant, permettant ainsi un pouvoir de modulation. En effet, lorsque le chômeur ne donne pas suite à une convocation d’ACTIRIS, il peut être exclu temporairement du bénéfice des allocations de chômage pendant une période de 4 à 52 semaines. L’exclusion peut faire l’objet d’un sursis ou être remplacée par un avertissement mais en cas de récidive elle est toutefois définitive et l’article 53bis, § 3 exclut le remplacement de l’exclusion par un avertissement ou par l’octroi d’un sursis.

Décision de la Cour

La cour rappelle la jurisprudence constante de la Cour de cassation à propos des articles 51 à 53bis de l’arrêté royal : ceux-ci ne contiennent pas des sanctions mais des mesures prises à l’égard des travailleurs qui ne remplissent pas les conditions d’octroi des allocations de chômage. Les seules sanctions existant dans la réglementation chômage sont ainsi les articles 153 et suivants.

La cour revient ensuite de manière très approfondie sur les conclusions du Procureur général LENAERTS avant l’arrêt de la Cour de cassation du 26 septembre 1977 (Cass., 26 septembre 1977, J.T.T., 1978, p. 192) ainsi que avant celui du 18 juin 1984 (Cass., 18 juin 1984, Arr. Cass., 1983-1984, p. 1369). Elle rappelle également une importante doctrine, qui a judicieusement posé la question de savoir si l’on se trouve effectivement dans le cadre d’une condition d’octroi, puisqu’il y a ici comportement fautif du chômeur et que, en conséquence de celui-ci, son chômage se prolonge (ou risque de le faire). Mais la cour du travail doit bien relever que, malgré ces critiques, la Cour de cassation vient de confirmer sa jurisprudence dans un arrêt du 5 novembre 2012, selon lequel l’exclusion d’un jeune travailleur qui n’a pas respecté l’engagement souscrit dans le cadre du contrat d’activation (article 59quinquies, §§ 5, alinéa 5 et 6) ne constitue pas une sanction mais une mesure prise à l’égard d’un jeune qui ne remplit pas les conditions d’octroi, à savoir rechercher activement un emploi. Il n’est dès lors pas privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté et partant il n’a pas droit à ces allocations. La Cour de cassation précise également dans cet arrêt que l’article 6, § 3 de la C.E.D.H. ne s’applique pas à une telle mesure.

En conclusion, la cour du travail constate que l’exclusion définitive est une mesure fort lourde eu égard aux manquements reprochés mais qu’elle ne peut faire droit à la demande de réduction.

Intérêt de la décision

Cet arrêt conclut à l’impossibilité de moduler la sanction prévue à l’article 52bis, § 2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il reprend très judicieusement les critiques faites à la solution retenue par la Cour de cassation quant à la qualification de la mesure prise. La Cour suprême ayant récemment confirmé qu’il s’agit d’un problème de condition d’octroi, la cour du travail déboute en conséquence l’intéressé de sa demande de modulation. Rappelons que l’arrêt de la Cour de cassation a été commenté sur SocialEye le 28 décembre 2012.


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