Terralaboris asbl

Obligation de reclassement d’un travailleur présentant une limitation de sa capacité à effectuer son travail habituel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. 2011/AB/668

Mis en ligne le jeudi 4 avril 2013


Cour du travail de Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. n° 2011/AB/668

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 janvier 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la notion de handicap au sens du droit européen et les contours de l’obligation pour l’employeur de reclasser un membre du personnel présentant une telle limitation de sa capacité.

Les faits

Une Dame M. a été engagée comme réassortisseuse par une grande surface en 1989. Suite à des problèmes de santé, elle a été opérée en 2006 et en 2008 (opérations aux mains).

En janvier 2009, suite à cette seconde opération, elle demande à son employeur de la reprendre dans un travail qui ne soit plus un travail de manutentionnaire. Vu l’inertie de son employeur, elle adresse différents courriers, demandant que soit respectée l’obligation de reclassement. Elle fait état d’une décision du médecin de sa mutuelle, considérant qu’elle était définitivement inapte à la reprise de ses anciennes fonctions, mais qu’elle pouvait exercer une fonction plus légère. Elle se vit dès lors exclure des indemnités de mutuelle.

L’employeur entame la procédure prévue par l’article 60 de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs, et ce suite à la remise par l’intéressée d’une attestation de son médecin-traitant, selon laquelle elle ne pouvait plus effectuer un travail de réassortiment de rayons ni aucune activité sollicitant de façon prolongée et/ou répétitive les membres supérieurs.

Dans sa fiche d’évaluation de santé, le médecin du travail recommande une mutation définitive. La société l’informe alors de ce qu’elle ne doit plus reprendre le travail, mais qu’elle peut introduire un recours contre la décision du médecin du travail. Lui est alors envoyé un formulaire C4, actant une date de fin d’occupation. La société, interpellée, signale avoir cherché un travail de remplacement adapté, mais devoir constater qu’aucune fonction disponible n’existait. Vu l’absence de recours introduit par l’intéressée contre la décision du médecin du travail, la société constate l’incapacité de travail médicale définitive et met fin au contrat pour force majeure.

Ceci est contesté par l’intéressée, qui introduit un recours devant le tribunal du travail, demandant essentiellement une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité pour abus de droit de licencier, ainsi que l’indemnité forfaitaire prévue par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

La décision de la cour du travail

La cour du travail va longuement examiner la question de la force majeure, dont elle rappelle qu’elle doit constituer un obstacle insurmontable à la poursuite de l’exécution du contrat. La cour rappelle que la procédure prévue par la loi du 27 avril 2007 portant des dispositions diverses, qui introduit un nouvel article 34 à la loi du 3 juillet 1978, ne peut encore être mise en œuvre, aucune mesure d’exécution n’étant intervenue à ce jour.

Il y a dès lors lieu de rester dans le cadre de l’arrêté royal du 28 mai 2003.

Après avoir constaté que l’intéressée ne pouvait plus être réassortisseuse (rayon épicerie, manutention lourde – étant les fonctions occupées précédemment), elle relève que rien n’indique qu’elle n’aurait pas pu occuper un autre poste comportant des manutentions plus légères et permettant de varier les mouvements des membres supérieurs. Elle fait dès lors droit à l’indemnité de rupture.

Elle va cependant également accueillir l’indemnité pour discrimination. L’intéressée fait en effet valoir que l’employeur dispose des capacités économiques et logistiques pour proposer un aménagement du poste de travail.

La cour entreprend dès lors de définir la notion de handicap, la société déclarant ne pas voir en quoi son comportement serait discriminatoire.

Elle revient à la volonté du législateur de 2003 de ne pas limiter la notion de handicap et examine ensuite le droit européen, étant la Directive 2000/78 (Directive du Conseil portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail). La cour souligne que la Directive ne renvoie pas à la législation les états membres en matière de définition de handicap et que, dans un arrêt du 11 juillet 2006 (C.J.U.E., 11 juillet 2006, affaire C-13/05), la Cour de Justice de l’Union européenne a considéré qu’il fallait donner à ce terme une interprétation autonome et uniforme : il faut entendre par là une limitation résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle. Il ne s’agit pas de la référence à une maladie, la Cour de Justice ayant, dans le même arrêt, refusé d’assimiler purement et simplement les deux notions.

La cour du travail en conclut qu’il faut dès lors retenir la limitation subie par la personne, qui se voit ainsi entravée dans sa participation au monde du travail.

Rappelant par ailleurs que la Directive 2008/78 concerne notamment les conditions de licenciement, elle doit trouver à s’appliquer en l’espèce.

Il ne reste plus à la cour que d’examiner la notion d’aménagements raisonnables, que la société a refusé de mettre en place, et elle renvoie encore ici à la Directive (article 5), qui impose à l’employeur de prendre des mesures efficaces et pratiques en ce sens, sauf si ces mesures vont entraîner une charge disproportionnée.

En application de l’ensemble de ces principes, la cour considère que, n’étant pas inapte à tout travail mais subissant une limitation physique de sa capacité, l’employée était en droit de se prévaloir de l’obligation patronale de mettre en place des aménagements raisonnables, d’autant qu’elle avait marqué sa disposition à accepter tout travail adapté. Pour la cour, l’employeur était dès lors obligé d’envisager les mesures appropriées dans la situation concrète, sauf à établir que celles-ci lui imposaient une charge disproportionnée. La cour relève encore l’absence de la moindre démarche concrète accomplie par l’employeur avant la rupture du contrat en vue d’adapter le poste de travail.

Le handicap étant avéré, la demande d’adaptation ayant été formulée et l’employeur n’établissant pas l’impossibilité raisonnable de procéder à un aménagement du poste de travail, l’indemnité est due.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est clair et servira très vraisemblablement de référence. Nombreux sont en effet les cas où la force majeure est invoquée, non seulement au mépris du respect de toute la procédure de l’arrêté royal du 28 mai 2003, mais également sans aucun égard pour le dispositif de la loi anti-discrimination : le handicap étant une limitation à la capacité de travail, il requiert, en application de cette loi, que l’employeur procède à l’aménagement raisonnable du poste de travail.


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