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Harcèlement moral et action en cessation : exigence de précision des faits dont la cessation est demandée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 décembre 2012, R.G. 2012/CB/12

Mis en ligne le mardi 16 avril 2013


Cour du travail de Bruxelles, 6 décembre 2012, R.G. n° 2012/CB/12

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 décembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le juge saisi d’une action en cessation dans le cadre de la loi du 4 août 1996 peut donner une injonction de cessation. Celle-ci suppose cependant qu’il ait constaté des faits de violence ou de harcèlement au travail. Il ne peut par ailleurs dans le cadre de cette action prendre des mesures excédant les pouvoirs conférés par l’article 32decies, § 2 de la loi du 4 août 1996.

Les faits

Une enseignante dans un institut d’enseignement libre voit, après plusieurs années, ses relations professionnelles se dégrader avec sa direction. Progressivement, les critiques qui lui sont faites passent du plan strictement pédagogique à l’aspect relationnel et des manquements lui sont reprochés. Une procédure est en fin de compte envisagée devant la pouvoir organisateur. Elle dépose à ce moment plainte en harcèlement contre la directrice. La procédure disciplinaire est alors arrêtée, après une audition au cours de laquelle divers points sont constatés, une mise au point étant également envisagée dans un délai déterminé.

Les difficultés se poursuivent cependant et, suite à la plainte déposée, le conseiller en prévention psychosociale retient, dans un rapport de juin 2012 non des faits de harcèlement mais une situation hautement conflictuelle, dans laquelle certains éléments ont été très mal vécus de part et d’autre. Des recommandations (apparemment vagues) sont émises. Il est alors décidé que le P.O. ne renouvellera pas pour l’année académique à venir le détachement de l’intéressée dans sa fonction de professeur de français et qu’elle réintégrera l’emploi d’éducatrice économe qu’elle occupait précédemment.

La situation devient dès lors immédiatement plus conflictuelle encore, le conseil de l’intéressée signalant qu’il introduira une procédure en référé et l’institut considérant que l’intéressée n’a aucune priorité à une nouvelle désignation temporaire à partir du moment où le détachement – pour lequel elle ne bénéficie d’aucun droit au renouvellement – n’est plus octroyé. Pour le conseil de l’intéressée, qui se fonde sur l’article 32tredecies, § 3 de la loi du 4 août 1996, il y a lieu de rétablir l’intéressée dans la situation qui précédait la modification décidée, étant qu’il faut prolonger le détachement dont elle faisait l’objet.

Une procédure est dès lors introduite.

L’ordonnance du tribunal du travail

Par ordonnance du 4 septembre 2012, le président du Tribunal du travail de Bruxelles considère l’action formée sur pied de l’article 32decies, § 2 de la loi recevable et fondée. Il ordonne la suspension de la décision de refuser la prolongation du détachement et condamne l’institut à faire droit à la demande de prolongation du détachement de l’intéressée de sa fonction d’éducatrice économe à celle de professeur sous peine d’astreinte. Il condamne également celui-ci à attribuer à l’intéressée le poste de professeur sous peine d’astreinte.

Appel est interjeté par l’établissement.

Décision de la cour du travail

La cour examine, dans un premier temps, la recevabilité de l’action originaire, ainsi que la demande en référé. Elle clôture son examen par l’action en cessation.

Sur la recevabilité de l’action originaire, l’établissement d’enseignement fait valoir qu’il y a deux procédures, qui sont mélangées en l’espèce, d’une part un référé sur pied de l’article 584, § 2 du Code judiciaire (mesures provisoires) et l’autre conformément à l’article 32decies, § 2 de la loi du 4 août 1996 (mesures de cessation). Ces deux procédures sont exclusives l’une de l’autre. La cour du travail relève que, s’agissant de deux actions distinctes avec des fondements juridiques différents, elles peuvent cependant être recevables, en application de l’article 701 du Code judiciaire, qui dispose que diverses demandes entre deux ou plusieurs parties peuvent, si elles sont connexes, être introduites par le même acte. Il s’agit d’une exception au principe suivant lequel une citation ne peut introduire qu’une seule action. En l’occurrence, la cour conclut qu’il a connexité, les faits invoqués à l’appui des deux demandes étant identiques et l’objet étant le même. La cour relève encore que si elles n’avaient pas été introduites ensemble, il y aurait eu lieu à jonction.

Sur le référé, la cour reprend les pouvoirs du juge des référés et rappelle les principes qui guident la matière. Le juge des référés peut intervenir pour ordonner des mesures urgentes et provisoires lorsqu’un acte administratif parait porter fautivement atteinte à des droits civils subjectifs. C’est l’enseignement de la Cour de cassation et la cour du travail rappelle notamment un arrêt du 27 novembre 1992 (Cass., 27 novembre 1992, Pas. 1992, p. 1315).

En l’occurrence, examinant prima facie les éléments de la cause, la cour constate que la priorité alléguée ne semble s’appliquer qu’aux membres du personnel ne bénéficiant pas déjà d’une charge complète et que, a priori le refus de l’institution ne porte pas atteinte à un droit subjectif de l’intéressée.

En ce qui concerne l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996, la cour rappelle que celle-ci a été engagée et nommée à titre définitif et pour une charge complète pour des fonctions d’éducatrice économe. Les décisions prises auraient pour conséquence de la réintégrer dans cette fonction, la cour constatant en outre que les congés-détachement accordés par le passé l’ont toujours été à titre temporaire. Aucun droit subjectif ou aucune apparence de droit n’est établie et les mesures sollicitées ne sont dès lors pas considérées comme des mesures provisoires. La cour considère ne pas devoir y faire droit.

Enfin, sur la demande en cessation, fondée sur l’article 32decies, § 2, qui permet au président du tribunal du travail de constater l’existence de faits de violence ou de harcèlement et d’en ordonner la cessation dans le délai qu’il fixe, la cour constate que ce texte permet au président du tribunal du travail d’imposer à l’employeur des mesures provisoires ayant pour but de faire cesser de tels faits. Les mesures en cause doivent donc être de nature à contribuer à la cessation de l’acte ou de ses effets.

La cour constate cependant que les mesures sollicitées n’ont pas ce caractère. Il s’agit au contraire d’injonctions adressées au pouvoir organisateur de l’institution d’attribuer un poste de professeur et de faire droit à une demande de congé-détachement. Pour la cour, le refus de l’établissement d’accorder ce congé-détachement et de permettre à l’intéressée d’être désignée une nouvelle fois à titre temporaire comme professeur n’apparait pas abusif en soi.

À l’intimée, qui conclut cependant à ce caractère abusif du fait que le refus s’inscrit dans un contexte de harcèlement, la cour reproche alors de ne pas postuler la cessation des différents actes de harcèlement qu’elle impute à la directrice mais de viser uniquement sa non désignation. La cour se déclare dès lors non saisie de l’examen des faits visés, et ce d’autant que dans le cadre de l’acte en cassation l’article 32decies invite le président du tribunal du travail à constater l’existence des faits dont il lui est demandé d’ordonner la cessation. Elle rappelle encore le rapport du conseiller en prévention, qui a conclu à l’existence d’un conflit mais à l’absence de harcèlement.

Enfin, l’intéressée n’ayant pas de droit subjectif à être détachée temporairement, le refus de renouvellement en lui-même n’est pas davantage constitutif d’un abus dès lors qu’il a à sa base un rapport d’inspection et d’autres manifestations d’insatisfaction.

Surabondamment la cour relève encore que les mesures sollicitées auraient pour effet d’ôter au pouvoir organisateur sa liberté d’appréciation dans l’engagement d’un enseignant et que de telles mesures – demandées pour une année académique – dépassent les pouvoirs du président du tribunal dans le cadre de l’action en cessation.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt très motivé, la Cour du travail de Bruxelles rappelle dans un premier temps que dans le cadre de l’action en cessation, le juge doit constater des faits de harcèlement pour pouvoir en ordonner la cessation. Il appartient dès lors au demandeur d’établir l’existence de ceux-ci afin de pouvoir alléguer utilement qu’il y est porté atteinte.

Par ailleurs, le juge des référés ne peut intervenir, dans ce type de litige que s’il est porté fautivement atteinte à des droits civils subjectifs.


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