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Poursuite d’un mastère complémentaire : s’agit-il d’études de plein exercice par rapport aux conditions du stage d’attente ?

Commentaire de C. trav. Liège, 8 février 2013, R.G. 2012/AL/223

Mis en ligne le mardi 16 avril 2013


Cour du travail de Liège, 8 février 2013, R.G. n° 2012/AL/223

Terra Laboris asbl

La Cour du travail de Liège examine dans un arrêt particulièrement fouillé du 8 février 2013 le sort à réserver à un mastère complémentaire eu égard à la notion d’études de plein exercice visée à l’article 36, § 1er, alinéa 1er, 3° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, dans l’hypothèse où celles-ci permettent à l’intéressé de conserver une pleine disponibilité sur le marché du travail.

Les faits

Une dame F., âgée de 26 ans, s’est vue notifier un refus d’admission au bénéfice des allocations d’attente, au motif de l’absence de stage d’attente suffisant. Se pose en effet la question de savoir si la condition d’admissibilité aux allocations d’attente (article 36, § 1er, alinéa 1er, 3° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) est remplie lorsque l’intéressé suit un mastère complémentaire dans le cadre d’un horaire décalé (avec en sus possibilité d’étalement du cursus sur deux ans). Il s’agit en l’occurrence d’un mastère complémentaire en droits de l’homme. La question est dès lors de savoir s’il s’agit d’études de plein exercice au sens de la réglementation du chômage.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal considère que l’article 68 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (qui autorise un chômeur à suivre des études de plein exercice) vise des cours dispensés principalement le samedi ou après 17hrs, ce qui permet de respecter l’obligation de disponibilité. En l’occurrence, les cours - suivis après 17hrs, soit au total 75 heures pendant l’année académique visée - ne pouvaient dès lors être assimilés à de telles études. Le tribunal retient que la stricte assistance aux cours a occupé l’intéressée de 17hrs30 à 20hrs30 généralement ainsi que le samedi durant 6 heures.

L’ONEm interjette appel de cette décision, qui l’a condamné au paiement des allocations.

Position de parties en appel

L’ONEm considère que l’on ne peut faire référence par analogie à l’article 68 de l’arrêté royal. Celui-ci vise d’ailleurs une condition d’octroi et non d’admissibilité et vise le droit pour les chômeurs indemnisés (et non les demandeurs d’allocations d’attente) de ne pas perdre le droit aux allocations au cas où des études sont suivies après 17hrs. Pour l’ONEm, cette distinction entre des cours suivis pendant la journée ou le soir ne figure pas dans l’article 36, § 1er, alinéa 1er, 3° de l’arrêté royal, qui est seul applicable.

L’intimée considère, pour sa part, que la notion d’études de plein exercice n’est pas définie et qu’il appartient au juge d’apprécier au cas par cas. A titre subsidiaire, elle fait valoir que l’arrêté royal est discriminatoire et donc contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en son article 36, § 1, 3°. Elle plaide à la fois une discrimination active et une discrimination passive.

Avis du ministère public

Le ministère public estime qu’il s’agit d’études de plein exercice mais qu’il y a discrimination. Il renvoie à la définition donnée de la notion (pour un cycle secondaire) dans un arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 1966, étant celles que suivent les élèves réguliers pendant 40 semaines par an à raison d’au moins 28 heures de cours et d’exercices par semaine. Les modalités pratiques d’organisation des cours (journée ou soirée) sont indifférentes. La rédaction d’une thèse de doctorat ou des cours d’agrégation ne sont dès lors pas considérés comme des études de plein exercice.

Le ministère public renvoie également au décret du 31 mars 2004 de la Communauté française (article 26, § 1er et 18, § 1er), en vertu duquel une année d’études correspond à 60 crédits, qui peuvent être suivis en une année académique, cette règle étant également applicable au mastère complémentaire.

Sur la discrimination, le ministère public considère que celle-ci est présente, dans la mesure où l’intéressée établit sa disponibilité sur le marché de l’emploi pendant la période en cause. L’absence de prise en considération du travail qu’elle a presté pendant ses études n’apparaît pas justifiée.

Décision de la cour

La cour reprend les textes, étant essentiellement l’article 36, § 1er, alinéa 1er, 3° et § 2, 2°, c) de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et constate qu’il n’y a aucune définition de la notion d’études de plein exercice. Il y a dès lors lieu de se tourner vers le droit de l’enseignement pour voir si une définition peut y être trouvée. Elle examine longuement la loi du 7 juillet 1970 relative à la structure générale de l’enseignement supérieur ainsi que le décret du 31 mars 2004 de la Communauté Française définissant l’enseignement supérieur, favorisant son intégration à l’espace européen de l’enseignement supérieur et refinançant les universités.

Elle aborde ensuite la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de notion d’études de plein exercice dans l’assurance chômage, signalant notamment un arrêt du 10 avril 2000 (Cass., 10 avril 2000, J.T.T., 2000, p. 355), en vertu duquel des études de kinésithérapie s’étaient vu reconnaître le caractère d’études de plein exercice. Elle constate que l’article 36, § 1er, alinéa 1er, 3° de l’arrêté royal n’a pas été adapté aux fins de tenir compte des modifications apportées par le décret de la Communauté Française et que rien ne permet d’indiquer que les études visées en l’espèce devraient être assimilées à des études de plein exercice. En outre, se pose un problème relatif au nombre de crédits que comporte l’enseignement en cause, problème perçu par L’ONEm puisqu’il entend appliquer une règle proportionnelle en divisant par deux le total des crédits que comporte le mastère complémentaire pour déterminer le seuil permettant l’assimilation à des études de plein exercice.

Elle va en conclure que, s’il faut prendre en compte parmi d’autres les dispositions du décret, l’appréciation qui doit être faite par le juge doit quant à elle porter sur l’ensemble des modalités concrètes d’aménagement du cursus en fonction de son incidence sur la disponibilité pour le marché de l’emploi. Elle souligne à cet égard qu’une distinction doit certainement être faite entre le bachelor (180 crédits) et le mastère (120 crédits) ou encore avec un mastère complémentaire (60 crédits pouvant être répartis sur deux ans).

Examinant, concrètement, les heures de cours suivis, la cour rappelle que celles-ci laissaient intacte la disponibilité de l’intéressée pour le marché du travail même s’il faut prendre en considération également qu’il y a d’autres exigences annexes (travaux, etc.) ; elle aboutit en effet à un chiffre de l’ordre de 16,8 heures par semaine (ou même 14 en tenant compte des vacances) et constate qu’il ne peut dès lors être question d’assimilation à des études de plein exercice.

Elle va réserver les derniers développements de sa décision à la question des discriminations alléguées et considérer que retenir la qualification d’études de plein exercice faisant obstacle à l’admissibilité de l’intéressée aux allocations d’attente dans le cas d’espèce aboutit à traiter l’intéressée de manière différente d’un jeune travailleur qui ne poursuit pas d’études complémentaires alors que sur le plan de leur disponibilité pour le marché de l’emploi ils se trouvent des situations comparables. Il n’y a aucune justification raisonnable à cette différence de traitement. Le premier se voit avantagé par l’écoulement du temps, qui lui permet de comptabiliser des journées au titre de stage d’attente alors que le second se voit refuser la valorisation de cette période alors que les études poursuivies n’entament en rien sa disponibilité sur le marché de l’emploi. Il n’y a pas de rapport de proportionnalité entre la décision prise à l’égard de celui-ci et l’objectif légitime poursuivi par le texte appliqué.

La cour va conclure, sur la base notamment de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2011 (Cass., 10 octobre 2011, S.10.0112.F) que, s’agissant d’une lacune extrinsèque que seul le Roi peut corriger, le juge ne peut confirmer la décision administrative prise sur la base de la disposition dont il a constaté l’inconstitutionnalité, celle-ci fût-elle imputable à l’absence de disposition qui l’eût évitée.

En conséquence, quel que soit – selon la cour – l’angle sous lequel la décision litigieuse est envisagée, elle est illégale et doit être annulée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège a le mérite de faire la clarté sur la notion d’études de plein exercice par rapport au droit aux allocations d’attente. La cour conclut également, à partir du constat d’inconstitutionnalité eu égard à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution que, s’agissant d’une lacune extrinsèque, le juge ne peut appliquer la disposition en cause, qui a servi de fondement à la décision administrative individuelle.


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