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Conditions de la mise en cause de la responsabilité d’un secrétariat social : obligation d’établir une faute contractuelle et de déterminer le dommage en lien avec celle-ci

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 décembre 2012, R.G. 2011/AB/430

Mis en ligne le mardi 16 avril 2013


Cour du travail de Bruxelles, 4 décembre 2012, R.G. n° 2011/AB/430

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 4 décembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles statue, dans un arrêt nuancé, sur les conséquences de la faute contractuelle d’un secrétariat social, dans l’hypothèse où la petite structure (maison d’accueil d’enfants) qui y était affiliée a été amenée à fermer ses portes : dans quelle mesure une mauvaise information concernant les barèmes de rémunération donne-t-elle lieu à un dommage réparable ?

Les faits

Un employeur (personne physique) exploite une structure d’accueil d’enfants et s’affilie à un secrétariat social en février 2005. L’activité exercée n’est pas subsidiée. Le secrétariat social informe l’employeur de ce qu’il dépendra de la commission paritaire 305.02. Divers contrats de puéricultrices sont signés, dans lesquels il est fait application des règles de cette sous-commission paritaire. En avril 2007, le secrétariat social informe l’employeur par courrier électronique de la nécessité d’appliquer d’autres barèmes depuis octobre 2006, ceux en cours étant « nettement inférieurs ». Le courrier se termine par une formule d’excuse vu l’application de barèmes inadéquats.

L’employeur prend diverses mesures vis-à-vis de son personnel et notamment, l’ensemble de celui-ci signe un document par lequel il renonce aux arriérés de rémunération. Les barèmes exacts sont dès lors payés mais à partir du mois de mai 2007. Vu la précarité de la situation financière de la crèche, la fermeture définitive interviendra en septembre 2008, après diverses mesures de licenciement.

Deux membres du personnel introduisent une action devant le Tribunal du travail de Nivelles aux fins d’obtenir le paiement des arriérés de salaire en cause.

L’employeur appelle son secrétariat social en garantie de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre lui.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Nivelles statue par jugement du 10 mars 2011, déboutant les travailleuses de leur demande.

Par ailleurs, en ce qui concerne le secrétariat social, le premier juge considère qu’il n’a pas agi en tant que secrétariat social normalement prudent et diligent lors de la gestion du dossier et que sa responsabilité est engagée, le premier juge considérant que la crèche a dû fermer en raison de la correction salariale et que le dommage moral réclamé par l’employeur, à raison de 15.000€, est justifié.

Position de parties en appel

Les travailleuses vont en appel en ce qui concerne les rémunérations.

L’employeur interjette également appel contre la décision du premier juge, qui a déclaré non fondée la demande dirigée contre le secrétariat social relatif à un préjudice matériel, qu’elle fixe à titre principal à 128.000€ environ et à des montants autres, suivant une argumentation articulée à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire.

Quant au secrétariat social, il demande à être libéré de toute condamnation et, notamment, sollicite que l’appel incident concernant le préjudice matériel (considérable) soit déclaré non fondé.

Décision de la cour du travail

La cour va, dans une première partie de son arrêt, se prononcer sur la validité de la renonciation aux arriérés de rémunération. Après avoir rappelé les principes relatifs au caractère impératif du droit à la rémunération, ainsi que la validité d’une renonciation à un droit impératif intervenu après la naissance du droit, elle s’appuie sur l’article 2046 du Code civil pour conclure qu’une sanction pénale attachée à la violation des droits en matière de rémunération ainsi que le caractère d’ordre public attaché à cette sanction ne font pas obstacle à ce que le travailleur puisse transiger sur les conséquences, de cette violation ou renoncer en tout ou en partie à ses conséquences, voire même à renoncer à l’invoquer.

Aucun vice de consentement n’étant établi, non plus que de dol, la cour relève encore que ce sont les circonstances financières de l’entreprise qui ont déterminé l’employeur à demander cette renonciation et que les travailleurs l’ont acceptée. L’appel des travailleuses est dès lors considéré comme non fondé.

En ce qui concerne, par ailleurs, la responsabilité contractuelle du secrétariat social à l’égard de l’employeur, celle-ci est retenue par la cour. L’arrêt se réfère au règlement d’ordre intérieur du secrétariat social, qui prévoit qu’en sa qualité d’entrepreneur, celui-ci s’engage à assurer l’administration salariale conformément aux législations sociales et fiscales en vigueur, de même qu’à effectuer d’autres tâches confiées par écrit par ses affiliés dans le domaine de la gestion et de l’administration du personnel. Le secrétariat social s’engage en outre à fournir à la demande de l’affilié des informations juridiques et administratives qu’il qualifie de fiables, précises et complètes.

Reprenant les rétroactes, la cour conclut qu’il y a eu communication erronée de barèmes minima de la sous-commission paritaire 305.02 au lieu de ceux applicables au secteur des milieux d’accueil d’enfants. Le secrétariat social ne peut, pour la cour, invoquer une exonération de responsabilité, dans la mesure où en l’espèce une information précise a été demandée et que celle-ci entre dans le champ contractuel. Il ne s’agit pas d’informations incomplètes données par le secrétariat social mais d’une information manifestement erronée, aucune considération d’ordre juridique relative à la nature de l’activité ne pouvant induire le secrétariat social en erreur. Pour la cour du travail, il y a manquement aux obligations contractuelles, le secrétariat social n’ayant pas agi ainsi qu’il peut être raisonnablement attendu d’un secrétariat social normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.

En ce qui concerne le dommage, la cour rappelle que le préjudice matériel n’a pas été admis par le premier juge et elle déclare partager sa conclusion. L’employeur reste en effet en défaut d’établir un lien direct entre le caractère tardif de l’information et la fermeture de l’établissement.

Le préjudice matériel étant rejeté en totalité, la cour admet cependant le dommage moral, dont elle relève qu’il ne peut être déterminé de manière précise et doit donc être évalué ex aequo et bono. Elle décide en conséquence, au vu des éléments qui lui sont soumis, de réduire celui-ci à 5.000€.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, en la matière, qu’un lien de causalité doit être établi entre les fautes éventuelles du secrétariat social et le préjudice dont la réparation est demandée devant les juridictions du travail.

L’arrêt est également intéressant sur la question de la validité des renonciations signées par le personnel de l’entreprise.


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