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Cotisation d’affiliation d’office de l’employeur en défaut d’assurance en matière d’accident du travail : la Cour constitutionnelle interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 novembre 2012, R.G. 2009/AB/51.921

Mis en ligne le mardi 23 avril 2013


Cour du travail de Bruxelles, 27 novembre 2012, R.G. n° 2009/AB/51.921

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 27 novembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle, vu le caractère pénal de la sanction que constitue la cotisation d’affiliation d’office, sur l’application à celle-ci des principes généraux du droit pénal et notamment les circonstances atténuantes et le sursis.

Les faits

Une ASBL est interpellée en 2003 par le Fonds des accidents du travail, qui lui demande les coordonnées de son assureur accident du travail. L’année suivante, le FAT demande des renseignements complémentaires et la demande de renseignements est renvoyée. L’association, qui n’avait pas contracté d’assurance précédemment, confirme que ceci vient d’être fait.

Une décision d’affiliation d’office est alors prise par le FAT, qui fixe à plus de 10.000€ le montant à payer.

L’ASBL invoque sa bonne foi et fait choix d’un conseil. Une discussion s’engage en ce qui concerne la question de la rupture de l’égalité entre un employeur poursuivi pénalement et celui poursuivi administrativement, et ce eu égard aux mesures d’individualisation de la peine. Est également en cause la hauteur de l’amende, alors que les primes qui auraient dû être versées étaient à peine supérieures à 330€.

Le FAT considère que la cotisation d’affiliation d’office est une sanction administrative et qu’elle a un caractère purement civil.

Une procédure est introduite, par comparution volontaire, devant le Tribunal du travail de Nivelles, section de Wavre.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 20 janvier 2009, le tribunal du travail condamne l’ASBL à l’ensemble de la cotisation (dont le montant aura cependant été ajusté eu égard à une rectification du nombre de travailleurs et de la période visée) à une majoration de 10%, ainsi qu’aux intérêts de retard.

Appel est interjeté.

Position des parties en appel

L’ASBL fait valoir plusieurs arguments, dont le fait que, tout en admettant qu’il s’agit d’une sanction pénale, le premier juge a refusé d’appliquer les règles de droit pénal. Elle prend appui dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme (article 6) et également dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’ASBL demande, dès lors, de poser une question à la Cour constitutionnelle, au regard de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que l’article 50 de la loi du 10 avril 1971 ne permet pas à la juridiction du travail d’appliquer les principes généraux du droit pénal (notamment les circonstances atténuantes et le sursis) alors que, pour une même infraction, ces principes pourraient valoir devant le juge pénal.

Quant au Fonds des accidents du travail, il plaide que la sanction est de nature civile. A titre subsidiaire, s’il s’agit d’une sanction pénale, il considère que son montant est fixé dans la loi et que ni le juge ni l’administration n’ont un pouvoir d’appréciation. En ce qui concerne la référence à la CEDH, il estime que les circonstances atténuantes et le sursis ne peuvent être pris en compte, la peine n’étant par contre pas considérée comme telle au sens de l’article 1er du Code pénal et n’entrant pas davantage dans le concept d’infraction visé à l’article 94 de la loi du 10 avril 1971. Sur la discrimination, il renvoie à la compétence exclusive des juridictions du travail, qui empêchent la comparaison avec les pouvoirs du tribunal correctionnel.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les dispositions légales, étant les articles 49, 50 et 59 de la loi du 10 avril 1971. Se référant, ensuite dans une motivation très fouillée, à la jurisprudence en matière de cotisation d’affiliation d’office, elle rappelle qu’il y a trois critères – non cumulatifs – pour qualifier une sanction de répressive, étant (i) l’éventuelle qualification de sanction de nature pénale en droit interne, (ii) le caractère général de la norme et son objectif dissuasif et répressif et (iii) la nature et la gravité de la sanction. Elle en conclut qu’il s’agit bien d’une sanction de nature pénale au sens de l’article 6 de la CEDH.

Quant aux conséquences à tirer de cette qualification sur les pouvoirs du juge, la cour renvoie au Code pénal social, qui vise l’infraction de non assurance en son article 184, pour conclure que, tant avant l’entrée en vigueur de celui-ci qu’après, le défaut d’assurance constitue une infraction pénale que le juge pénal peut en principe moduler, étant qu’il peut tenir compte éventuellement de circonstances atténuantes. La cour passe alors en revue diverses décisions rendues dans d’autres domaines de la sécurité sociale relatives aux pouvoirs du juge appelé à contrôler une sanction administrative de nature pénale.

Elle aborde également l’enseignement de l’arrêt de la Cour d’arbitrage (aujourd’hui Cour constitutionnelle), du 14 juillet 1997 (C. Const. 14 juillet 1997, arrêt n° 45/97) rendu à propos de la loi du 30 juin 1971 relative aux amendes administratives applicables en cas d’infraction à certaines lois sociales. Cet arrêt avait conclu à l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution du fait de l’absence de mesures de sursis mais à cette violation dans l’hypothèse où pour une même infraction le contrevenant aurait pu bénéficier devant le tribunal correctionnel de l’application de l’article 85 du Code pénal. La cour du travail relève que cet enseignement n’est pas transposable tel quel, essentiellement eu égard au fait que la cotisation est fixée forfaitairement, contrairement aux amendes administratives.

Abordant, enfin, la question de la discrimination, elle constate une différence de traitement entre l’employeur cité devant le tribunal correctionnel pour infraction à l’obligation d’assurer son personnel contre les accidents du travail et celui qui exerce un recours devant le tribunal du travail contre une décision d’affiliation d’office, ce dernier ne pouvant bénéficier ni d’une réduction de la sanction en raison de circonstances atténuantes ni d’une mesure de sursis. Elle considère dès lors devoir poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle formulée par l’ASBL, étant : Considérant que la cotisation d’affiliation d’office visée à l’article 50 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail est une sanction de nature pénale et est liée à l’existence d’une infraction pénale, cet article viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permettrait pas à une juridiction du travail, saisie d’un recours contre l’affiliation d’office infligée par le FAT, d’appliquer les principes généraux du droit pénal que sont, notamment, les circonstances atténuantes et le sursis, alors que pour une même infraction, ces personnes pourraient bénéficier de l’application de ces principes devant le juge pénal ?

Intérêt de la décision

Cet arrêt pose une question essentielle, non seulement pour ce qui est de la question des accidents du travail mais également pour la réglementation chômage, notamment, où le caractère pénal de la sanction pose également débat.

Affaire à suivre …


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