Terralaboris asbl

Dans quelle mesure l’exercice d’un mandat politique ou d’une activité au sein d’une institution publique est-il compatible avec le bénéfice des allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Mons, 8 novembre 2012, R.G. 2011/AM/1

Mis en ligne le mardi 23 avril 2013


Cour du travail de Mons, 8 novembre 2012, R.G. n° 2011/AM/1

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 novembre 2012, la Cour du travail de Mons rappelle les règles de cumul entre un mandat politique (en l’occurrence celui de bourgmestre) et les allocations de chômage, ainsi que le sort à réserver, au sens de la réglementation, à des mandats exercés au sein d’organismes publiques.

Les faits

À l’issue de son préavis, un employé sollicite le bénéfice des allocations de chômage. Il remplit un formulaire C1 dans lequel il déclare exercer un mandat politique en tant que bourgmestre. Ce mandat lui procure un revenu annuel net imposable de l’ordre de 31.000€ et l’intéressé joint une fiche de rémunération au document C1. Trois semaines plus tard, la CAPAC lui signale que son droit aux allocations est établi et celui-ci les perçoit effectivement. En 2009, soit 4 ans plus tard, il est convoqué au motif qu’il bénéficie d’allocations en cumul avec les revenus issus de son mandat de bourgmestre. L’ONEm signale qu’il y a une limite aux revenus (fixée par l’article 130, § 2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) et que ses indemnités de chômage doivent être revues sur la base des revenus du mandat, un éventuel trop perçu devant être récupéré. L’ONEm précise qu’en vertu du même article 130, l’allocation ne peut être inférieure à 0,12€ par jour. Il lui est demandé de fournir l’ensemble des fiches fiscales 281.50 pour les quatre dernières années écoulées ainsi que des fiches mensuelles de rémunération pour l’année en cours.

Lors de son audition, l’intéressé déclare qu’il lui avait été affirmé lors de son inscription au chômage que son mandat de bourgmestre n’aurait pas d’influence sur le montant des allocations. Il déclare exercer deux mandats supplémentaires dans des organismes publics, mandats rémunérés. Il dit apprendre lors de cet entretien que les revenus perçus comme bourgmestre ne sont pas cumulables avec les allocations de chômage au-dessus des montants maxima prévus par l’article 130, § 2.

Une décision est prise, suite à ce réexamen du dossier, revoyant le montant journalier des allocations depuis l’admission au chômage et fixant celui-ci au minimum, soit 0,12€ par jour.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Charleroi, dans laquelle l’intéressé conteste le caractère rétroactif de la récupération.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 26 novembre 2010, le tribunal du travail déboute l’intéressé au motif que le montant journalier qui avait été accordé n’était que provisoire et que ce n’est que en 2009 que l’ONEm a été mis en possession des documents utiles, étant les documents fiscaux, permettant de fixer les droits de l’intéressé aux allocations.

Celui-ci interjette appel.

Décisions de la cour du travail

Arrêt de la cour du 12 janvier 2012

La cour rend un premier arrêt, le 12 janvier 2012, dans lequel, en application de l’article 149, § 1er, 2° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, l’ONEm n’est en principe pas autorisé à assortir sa décision d’un effet rétroactif. Celui-ci prévoit en effet, en application de la Charte (articles 17, 18 et 19) que, lorsque le directeur revoit de sa propre initiative le droit aux allocations, la revision porte effet le premier jour du mois qui suit le troisième jour ouvrable après sa notification recommandée. L’hypothèse visée concerne la décision entachée d’une erreur juridique ou matérielle dans le chef du bureau de chômage, par laquelle des allocations ont été octroyées indûment en tout ou en partie.

Dans cet arrêt, la cour ordonne cependant la réouverture des débats aux fins d’être davantage éclairée sur les autres mandats exercés ainsi que sur les revenus perçus dans le cadre de ceux-ci. Elle s’interroge également sur le sort juridique de ces activités et mandats, étant de savoir s’ils doivent être considérés comme mandats politiques ou comme une activité accessoire ordinaire, ainsi que les conséquences de cette situation sur les allocations de chômage. La cour demande également à vérifier si des mentions relatives à l’exercice de ces activités ont été apportées sur les cartes de contrôle et si, enfin, l’intéressé avait ou non l’obligation de communiquer à l’ONEm le montant exact de ses revenus dès qu’il a été en possession de ses avertissements extraits de rôle.

Arrêt du 8 novembre 2012

La cour rappelle les dispositions des articles 44, 46, 48 et 49 de l’arrêté royal, ce dernier (qui déroge aux articles précédents) permettant en cas d’exercice d’un mandat politique ou d’un mandat de président de CPAS de bénéficier des allocations de chômage dans les limites de l’article 130. La cour examine ensuite les différentes hypothèses de l’article 149, § 1er, et ce eu égard à l’effet rétroactif ou non de la décision. Elle constate que cet effet rétroactif peut exister dans deux cas, étant que (i) la décision erronée a donné lieu à un paiement d’allocations auquel l’assuré social n’avait pas droit et qu’il a conservé de mauvaise foi alors qu’il savait ou devait savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à l’intégralité de l’allocation et (ii) si la revision a lieu dans les trois mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit celui où la décision a été envoyée à l’organisme de paiement.

En l’espèce, la cour constate que dès le départ, le montant des revenus nets a été communiqué et que l’ONEm a attribué un code définitif, sur la base d’un taux plein et non un montant journalier provisoire. La cour expose que c’est sur cette base que, en principe, l’ONEm ne pouvait faire rétroagir sa décision. Elle relève cependant que l’intéressé n’a pas déclaré deux autres mandats, l’un auprès d’une intercommunale et l’autre auprès d’une ASBL (gérant des intérêts publics dans le domaine du tourisme) et que ce n’est que lors du réexamen de son dossier quatre ans plus tard qu’il en fait état. Pour ces activités, il n’y a pas davantage eu d’information quant aux revenus perçus.

La cour considère, vu ces éléments, qu’elle doit examiner au-delà de la motivation de l’acte administratif si l’intéressé remplit le conditions pour bénéficier des allocations, et ce sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 13 mars 2000, RG S.99.0051.F) qui a considéré que le juge saisi d’un litige relatif au droit aux allocations de chômage ne peut rétablir le chômeur dans ses droits que dans le respect des dispositions règlementaires sur le chômage. Il faut dès lors voir clair dans la nature des mandats en cause, eu égard essentiellement aux dispositions à appliquer, étant l’article 49 ou au contraire les articles 44 et 45.

La cour du travail rappelle encore que, dans un arrêt du 10 septembre 2007 (Cass., 10 septembre 2007, RG S.07.0009.F), la Cour suprême a indiqué que chaque mandat exercé par un chômeur doit être examiné séparément quant à son éventuel cumul avec les allocations de chômage. La réglementation distingue d’ailleurs le mandat politique de celui de président d’un CPAS. L’intéressé plaidant que les mandats qu’il exerce en sus de sa qualité de bourgmestre lui ont précisément été conférés en raison de celle-ci, la cour conclut que ceci ne permet pas de les qualifier de mandats politiques mais au contraire qu’il s’agit d’activités accessoires. Elle rappelle dès lors les obligations de tout chômeur qui exerce une activité accessoire, obligations contenues dans l’article 48 (déclaration, conditions d’exercice avant la mise au chômage et limitation des plages horaires), relevant encore que l’ensemble de ces conditions sont cumulatives. En l’occurrence il n’y a pas eu de déclaration au moment de la demande des allocations. Ceci justifie, pour la cour, l’exclusion du droit aux allocations et la récupération avec effet rétroactif.

Reste encore à examiner la question de la bonne foi, qui en vertu de l’article 169 de l’arrêté royal permettrait de limiter la récupération au 150 derniers jours d’indemnisation indue. La cour rappelle que le texte de cette disposition fait du caractère illimité le principe et de la limitation l’exception. Le chômeur doit dès lors prouver sa bonne foi et, vu les circonstances de l’espèce, la cour considère que l’intéressé ne pouvait raisonnablement penser que ce cumul était autorisé. La bonne foi n’est dès lors pas établie à suffisance.

Par contre, les manœuvres frauduleuses ne le sont pas davantage, la preuve de celles-ci incombant à l’ONEm et n’étant pas rapportée en l’espèce.

La cour va dès lors retenir un délai de prescription de trois ans.

Intérêt de la décision

Cet arrêt traite d’un cas de cumul particulier, étant à la fois un cumul avec des revenus (déclarés) d’un mandat politique et avec d’autres mandats (non déclarés). La cour confirme que la notion de mandat politique (qui va permettre dans certaines conditions le cumul avec les allocations de chômage) doit connaître une interprétation restrictive et qu’elle ne peut être retenue pour d’autres activités exercées, au sein d’intercommunales, etc. Celles-ci se voient conférer le caractère d’activité accessoire soumise, à ce titre, aux obligations de l’article 48 de l’arrêté royal.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be