Terralaboris asbl

Un travailleur, à l’origine de violences sur les lieux du travail, et qui se retrouve blessé, est-il exclu du bénéfice de la réparation légale ?

Commentaire de C. trav. Liège, 23 janvier 2006, R.G. 32.728/04

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du Travail de Liège, 23 janvier 2006, R.G. 32.728/04

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 23 janvier 2006, la cour du travail de Liège a eu l’occasion de rappeler les principes applicables. Pour qu’il y ait exclusion, l’intention de causer l’accident doit être établie.

Les faits

L’accident est survenu à l’aéroport de Liège, dans un hall de déchargement de la s.a. T.N.T. Express Worldwide, lors d’une altercation, qui opposait deux travailleurs, dont celui qui fut en fin de compte victime de l’accident. Cette altercation avait surgi entre la victime, manutentionnaire, et un autre ouvrier, cariste. L’intéressé se précipita vers le chariot élévateur où l’ouvrier cariste était installé, manifestement dans l’intention de lui porter un coup. Souhaitant l’esquiver, ce dernier braqua son chariot vers la droite. Dans ce déplacement, la roue arrière gauche heurta et écrasa en partie le pied droit de l’intéressé, provoquant des fractures.

La position du tribunal

Le tribunal fit droit à la demande, considérant qu’il n’y avait pas faute intentionnelle, les conditions légales n’étant pas réunies. Il ordonna la désignation d’un expert.

La position des parties en appel

La victime sollicitait la confirmation du jugement, tandis que l’entreprise d’assurances considérait que si l’intéressé avait été blessé, c’était uniquement en raison du fait « qu’il s’était jeté sur le clark pour frapper le conducteur ».

La position de la cour

La cour rejeta l’argumentation de l’entreprise d’assurances, aux motifs suivants :

  1. Sur le plan des principes, c’est l’article 48 alinéa 1er de la loi qui règle la question, en excluant de la réparation légale l’accident qui a été intentionnellement provoqué par la victime. Cette disposition a été explicitée par un arrêt ancien de la Cour de cassation (Cass., 16 février 1987, Pas., 1987, I, p. 718), qui a tranché entre diverses interprétations et a considéré que l’accident n’est provoqué intentionnellement par la victime que lorsqu’elle l’a causé volontairement, même si elle n’en a pas voulu les conséquences. Pour la cour du travail, ceci signifie que la victime doit avoir voulu l’événement soudain qui l’exposait à une lésion mais qu’il n’est pas requis qu’elle ait également voulu la lésion telle qu’elle s’est présentée ou développée, de même que l’incapacité de travail qui en a découlé ou n’importe quelle autre suite. Dans ce mécanisme, il est par ailleurs indifférent que la victime ait commis une faute, et même une faute lourde, avant ou à l’occasion de la survenance de l’accident, dès lors qu’elle n’a pas eu l’intention de provoquer celui-ci.
  2. En l’espèce, il n’est pas contesté que c’est intentionnellement que la victime a participé à (et a même vraisemblablement été à l’origine de) l’altercation avec son compagnon de travail, puisqu’elle s’est lancée vers le chariot élévateur, d’après les données du dossier, et a tenté de donner un coup de poing. Mais en ce qui concerne la suite, elle ne l’a pas voulue ainsi la manœuvre de braquage du véhicule, due au conducteur seul. En outre, la cour relève qu’elle n’a certainement pas voulu le choc de la roue du chariot élévateur contre son pied, alors que c’est là l’événement soudain qui a causé la lésion. Il faut donc conclure qu’elle n’a pas causé volontairement l’accident, c’est-à-dire qu’elle ne l’a pas intentionnellement provoqué.
  3. Répondant encore à l’argumentation de l’entreprise d’assurances, selon laquelle, si la victime avait été blessée c’était en raison du fait qu’elle s’était jetée sur le clark pour frapper son conducteur, la cour relève que selon le mécanisme légal, si la victime a subi des lésions, c’est en raison d’un événement soudain survenu et qu’en l’occurrence, l’événement soudain a consisté dans le brusque contact de la roue avec son pied, contact qu’elle n’a pas voulu, consécutivement à la manœuvre de braquage du véhicule, manœuvre qu’elle n’a pas voulue non plus. L’entreprise d’assurances identifie, dès lors, mal le fait accidentel, selon la cour.
    Lorsque celle-ci, pour conforter sa thèse, se réfère au cas imaginaire où la victime se serait blessée le poing en frappant un collègue de travail, hypothèse dans laquelle, selon elle, il y aurait intention de provoquer l’accident, la cour relève qu’il y a un vice de raisonnement, étant que, dans cette thèse, un comportement serait qualifié de faute intentionnelle ou non en fonction non pas du comportement lui-même mais des conséquences qu’il aurait entraînées. Pour la cour, il y a comparaison, ici, entre deux situations différentes, d’autant que en l’espèce, la victime n’avait pas frappé son collègue mais seulement tenté de le faire et qu’il n’avait eu aucun contact physique direct susceptible de produire une lésion.
  4. La conclusion de la cour est qu’il faut comprendre l’article 48 comme n’ayant pas égard à l’existence d’une faute intentionnelle mais à l’exigence d’une intention portant sur l’accident lui-même, intention qu’il convient de bien identifier eu égard à l’événement soudain.

Intérêt de la décision

La décision est intéressante à deux titres, étant, d’une part, qu’elle porte sur une situation qui peut être fréquente dans un milieu de travail, à savoir l’hypothèse de violences entre compagnons de travail (ou même avec des tiers) et, d’autre part, en ce qu’elle rappelle, dans ce type de situation, le principe dégagé par la Cour de cassation dans la jurisprudence ancienne reprise dans le corps de l’arrêt. Il faut rappeler que celle-ci a également été rappelée dans un arrêt plus récent du 25 novembre 2002 (Chron. Dr. Soc., 2003, p. 322), qui confirme dès lors bien que l’identification de la personne à l’origine des violences n’est pas un facteur pertinent, puisque – ce faisant – l’on ne ferait qu’identifier celui qui aurait commis une faute contractuelle se situant en amont de l’accident du travail mais qu’il y a lieu d’établir que la victime a voulu l’accident lui-même, c’est-à-dire l’événement soudain qui a été à l’origine de la lésion.


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