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La prise en compte de ressources se fait-elle de la même manière dans le cadre du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale ?

Commentaire de C. trav. Liège, 14 décembre 2012, R.G. 2012/AL/6

Mis en ligne le mardi 14 mai 2013


Cour du travail de Liège, 14 décembre 2012, R.G. n° 2012/AL/6

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 décembre 2012, la Cour du travail de Liège rappelle les règles spécifiques à chacun des deux régimes, l’appréciation de l’état de besoin permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine exigeant toujours un examen individualisé.

Les faits

Le Tribunal du travail de Liège ayant reconnu, pour une citoyenne rwandaise, l’impossibilité absolue de retour, celle-ci bénéficie d’une aide sociale fixée à l’équivalent du revenu d’intégration sociale, majorée d’une aide correspondant aux prestations familiales garanties pour ses deux enfants mineurs.

Elle conclut, en janvier 2010, un contrat d’insertion professionnelle et perçoit dans le cadre de celui-ci une indemnité forfaitaire d’un euro l’heure. Lui est ainsi payé, pour une période de deux mois et demi, un montant global de l’ordre de 267€, avec la référence « indemnités et couverture de frais ».

Pour le CPAS, il s’agit d’une ressource devant être prise en compte, à concurrence d’un montant de l’ordre de 190€, soit 70% (le CPAS ayant tenu compte d’une immunisation forfaitaire telle qu’admise par l’article 22, § 2 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 dans le régime du revenu d‘intégration sociale).

Un recours est introduit devant le tribunal du travail en ce qui concerne le principe de cette retenue.

Le tribunal confirme la position du CPAS. L’intéressée concluant à une discrimination, il considère que les régimes d’aide sociale et d’intégration sociale poursuivent des finalités distinctes. Les droits ou avantages conférés dans l’un et dans l’autre sont dès lors différents et il ne peut y avoir de discrimination, dans la mesure où les bénéficiaires ne se trouvent pas dans des situations comparables. La retenue pouvait dès lors être opérée.

Appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La cour va dans un premier temps longuement examiner le test de comparabilité.

Elle rappelle que les objectifs poursuivis par les deux régimes répondent à des finalités différentes, même s’il s’agit de régimes à caractère résiduaire requérant une enquête préliminaire sur les ressources. La différence dans les objectifs a des répercussions tant sur le calcul des prestations que sur la prise en considération des ressources elles-mêmes.

Examinant d’abord la question dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 et de son arrêté royal d’exécution du 11 juillet 2002, la cour y constate une logique catégorielle (les bénéficiaires étant répartis en cohabitants, isolés, et personnes vivant au moins avec un enfant mineur à charge). Le droit à l’intégration est dès lors assuré aux personnes qui ne peuvent disposer (ou être en mesure de se procurer) de ressources suffisantes, celles-ci étant définies exclusivement par rapport au montant légal de la catégorie à laquelle ils appartiennent. Dans ce système, il est prévu de garantir une exonération partielle des ressources, celle-ci ayant pour objet de constituer un incitant à l’intégration professionnelle.

Quant au régime de l’aide sociale, dont la cour rappelle qu’il est l’ultime filet de secours, il a une vocation qualifiée de « infiniment plus large », ceci étant d’ailleurs confirmé par la diversité des formes que l’aide sociale peut revêtir (sociale, matérielle, médicale ou psychologique) et le critère de référence est le droit pour une personne de mener une vie conforme à la dignité humaine, ainsi que fixé à l’article 23 de la Constitution. Ici, le niveau des ressources est déterminé discrétionnairement par le législateur et la cour rappelle qu’il est inférieur à la notion économique de seuil de pauvreté. Il ne s’agit pas d’un calcul arithmétique, les CPAS devant au cas par cas prendre une décision.

La cour renvoie sur cette question à la doctrine de H. Mormont (H. Mormont, « La condition d’octroi de l’aide sociale : le critère de la dignité humaine », in Aide sociale-Intégration sociale. Le droit en pratique. , La Charte, pp. 51 et suivantes, spéc. p. 59 et 60), selon qui le critère de la dignité humaine se distingue très nettement de l’approche objective et catégorielle suivie en matière de revenu d’intégration, s’agissant de prendre en compte un minimum financier vital qui permet d’assurer le logement, la nourriture, les vêtements et les soins sans lesquels il ne peut être question de dignité humaine. Cet auteur critique l’appréciation souvent faite de la référence au revenu d‘intégration, eu égard au fait que celui-ci peut être insuffisant à garantir une vie décente et notamment lorsque les montants qu’il accorde sont eux-mêmes inférieurs au seuil de pauvreté ou à d’autres indicateurs comparables.

Dès lors, pour la cour, il ne peut y avoir une différence de traitement entre les deux régimes, puisque les situations ne sont pas en droit comparables, obéissant à des critères différents en raison de leur nature.

Examinant ensuite si l’on peut procéder à un test de comparabilité entre les bénéficiaires des deux prestations qui souhaitent entamer une formation, elle confirme qu’il faut ici également retenir une approche individualisée de la situation concrète du demandeur d’aide sociale, ce qui n’est pas le cas dans le régime d’intégration où la cour considère que « c’est à la calculette que revient (le) dernier mot ». Les situations ne sont pas comparables sur le plan de la prise en considération des ressources. Cette règle doit dès lors être admise en principe.

Dans le cas d’espèce, cependant, la cour constate que le CPAS – suivi en cela par le premier juge – n’a pas adéquatement jaugé l’état de besoin de l’intéressée et elle se pose la question de savoir si l’indemnité forfaitaire d’un euro de l’heure doit d’ailleurs être considérée comme une ressource. A supposer que tel soit le cas, il conviendrait de se pencher sur la situation concrète de l’intéressée et de sa famille afin de voir si ce montant complémentaire lui était ou non nécessaire pour mener une vie conforme à la dignité humaine et, à supposer encore que l’on conclue qu’il s’agit d’une ressource, la récupération devrait se faire conformément aux articles 98 et 99 de la loi du 8 juillet 1976.

Après ce rappel détaillé des principes et du mécanisme légal, la cour examine ensuite la motivation de la décision administrative et, celle-ci faisant défaut, annule la décision litigieuse. Elle se substitue dès lors au CPAS pour statuer sur les droits de l’intéressée et considère qu’il faut examiner concrètement son état de besoin, ce qui n’a pas été fait par le CPAS.

En effet, si le bénéficiaire d’une aide sociale dispose de ressources en vertu de droits qu’il possédait pendant la période d’octroi, le CPAS doit fixer la contribution du bénéficiaire dans les frais de l’aide sociale dont il a bénéficié, et ce tenant compte à la fois du montant des ressources et du droit de l’intéressée à mener une vie conforme à la dignité humaine. L’exigence posée en ce qui concerne la contribution du bénéficiaire aux frais de l’aide sociale est en effet contenue à l’article 98, § 1er, alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976 qui prévoit qu’il y a lieu de tenir compte des ressources de l’intéressé.

La cour rappelle encore les dispositions de la loi du 8 juillet 1976 relatives aux modalités et conditions de la récupération, étant entendu qu’il y a encore lieu d’examiner l’arrêté royal du 9 mars 1984, qui exécute la loi du 8 juillet 1976 à cet égard et qui prévoit la possibilité de renonciation à l’intervention du bénéficiaire (ou à la poursuite du recouvrement à charge des débiteurs d’aliments) pour des raisons d’équité. Si une telle dérogation est décidée, elle doit également faire l’objet d’une motivation, ce que la cour rappelle in fine. Une réouverture des débats est dès lors ordonnée sur ces questions.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège est intéressant, par l’angle d’approche de la résolution du litige, étant le test de comparabilité entre bénéficiaires de revenus d’intégration et d’aide sociale, la cour rappelant un principe important, étant que la notion de dignité humaine, spécifique à la matière de l’aide sociale, doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas. En matière de revenus d’intégration, lorsque l’intéressé bénéficie de ressources, la cour conclut, dans un piquant raccourci, que le dernier mot revient à la calculette …

L’arrêt rappelle également le lien entre les montants alloués dans le cadre du revenu d’intégration et le seuil de pauvreté.


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