Terralaboris asbl

Licenciement pour motif grave et abus de droit

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2013, R.G. 2011/AB/653

Mis en ligne le mercredi 22 mai 2013


Cour du travail de Bruxelles, 8 janvier 2013, R.G. n° 2011/AB/653

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 janvier 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle très justement les conditions dans lesquelles un motif grave de licenciement non retenu par le juge peut donner lieu à un abus de droit.

Les faits

Un employé est engagé par une société qui fait partie d’un groupe actif dans le domaine des technologies de la communication, en 1999. Son contrat va faire l’objet de plusieurs avenants, reflétant l’évolution de sa position à l’intérieur du groupe. Il exerce début 2008 les fonctions de Directeur Général Belux/France. Suite à des décisions internes impliquant un remaniement notamment du volet commercial, un autre membre du personnel cadre l’informe fin décembre 2008 d’un contrôle qui sera exercé sur ses fonctions.

L’intéressé tombe alors en incapacité de travail et conteste, par la voie de son conseil, les immixtions dans sa gestion, les critiques et humiliations incessantes, ainsi que la modification de fonctions et de responsabilités.

Un échange de correspondance s’en suit entre les parties et leurs conseils. L’intéressé ayant repris le travail après sa (courte) période d’incapacité, de nouvelles dispositions sont annoncées, de contrôle de la société belge à partir de la France, vu des craintes sur le plan financier.

Le directeur réagit à l’annonce de ce contrôle. Il est alors licencié pour motif grave, par un long courrier lui reprochant à la fois une absence de prise de responsabilités, une violence verbale vis-à-vis de certains employés, ainsi qu’une insubordination par rapport à ses supérieurs hiérarchiques.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles. Par jugement du 11 avril 2011, celui-ci condamne la société au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, primes de fin d’année et pécules de vacances ainsi qu’à un montant de 1.500€ de dommages et intérêts pour réparation de préjudice moral.

La société interjette appel et l’intéressé introduit un appel incident en ce qui concerne essentiellement les dommages et intérêts, que le premier juge a limités à 1.500€.

Décision de la cour du travail

La cour examine, d’abord, minutieusement le motif grave, en rappelant les principes et les critères d’appréciation.

Elle souligne – ce que le tribunal avait déjà relevé par ailleurs – que l’article 17, 1° LCT contient une obligation de moyen et qu’en conséquence à supposer des insuffisances sur le plan de la compétence, ceci ne constitue pas nécessairement une faute et a priori une faute grave. Par contre l’insubordination peut justifier le licenciement dans ces conditions.

La cour expose ensuite qu’il faut faire une appréciation nuancée de l’insubordination et que, si le travailleur a l’obligation d’obtempérer aux ordres, ceci ne vaut pas pour les ordres à caractère illégitime. Par ailleurs, en vertu notamment de l’article 10 CEDH et de l’article 19 de la Constitution, le travailleur a un droit de critique à l’égard de son employeur et qu’il faut rechercher un juste équilibre d’une part entre la liberté du travailleur de s’exprimer et d’autre part ses obligations légales (article 17, 3° LCT et article 1134, alinéa 3 du Code civil).

Il est notamment reproché, à l’employé, en l’espèce d’avoir exprimé une opposition au transfert de certaines tâches et la cour relève, après analyse, qu’il s’agissait en fait là de porter atteinte au contenu de ses fonctions et responsabilités.

Tout en soulignant la nécessaire flexibilité que doit montrer le personnel dirigeant d’une entreprise quant au contenu de sa fonction, qui peut notamment évoluer vu les affaires de l’entreprise, la cour voit ici non pas une telle évolution de fonction mais un retrait pur et simple d’une partie importante des responsabilités de l’intéressé. En conséquence, son opposition n’était pas fautive.

Par ailleurs, sur les critiques exprimées, elle retient que la manière dont celles-ci ont été faites n’est pas disproportionnée, l’intéressé s’étant adressé exclusivement à ses supérieurs hiérarchiques et n’ayant donné aucune publicité à son opinion défavorable. En outre, la critique ne comporte aucun excès.

Il en découle qu’il ne peut y avoir de motif grave.

En ce qui concerne l’indemnité pour abus de droit pour licencier et le comportement fautif de l’employeur dans l’exécution du contrat, la cour procède également à un rappel des principes en matière d’abus de droit, particulièrement, en cas de licenciement pour motif grave. Si l’erreur d’appréciation de l’employeur, en présence d’une faute, ne rend pas en elle-même le licenciement abusif, la cour retient deux hypothèses d’abus de droit en cas de recours du motif grave, étant d’une part le choix pour l’employeur de ce mode de rupture alors que le comportement du travailleur ne peut être considéré comme fautif et d’autre part le licenciement (et ici même sans motif grave) décidé en représailles à l’exercice non excessif d’un droit ou d’une liberté.

En l’espèce, les faits à la base du motif grave ne sont pas fautifs.

Par ailleurs, la cour rappelle la modification unilatérale décidée par la société des conditions essentielles du contrat de travail de l’intéressé et la décision de rupture, intervenue en représailles à sa résistance – qualifiée de légitime – et à ses critiques – qualifiées, elles, de non excessives.

Le droit pour l’employeur de licencier pour motif grave a dès lors été exercé de manière déraisonnable, un employeur normalement prudent et diligent n’ayant pas agi de la sorte.

La cour relève également le comportement fautif de l’employeur dans les derniers temps de l’exécution du contrat.

Elle conclut ainsi à l’existence d’un préjudice moral distinct de celui résultant de la perte de l’emploi, préjudice découlant également des fautes commises en cours d’exécution du contrat de travail.

En ce qui concerne le montant, la cour considère l’évaluation du tribunal correcte et rejette toute autre mode proposé par l’intéressé, étant, par analogie avec certaines indemnités de protection, un montant de six mois, considérant que ce raisonnement manque de base légale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle à très juste titre l’articulation entre le licenciement pour motif grave et l’existence d’un abus de droit : en cas de rejet du motif grave le licenciement n’est pas de ce fait abusif. Il peut cependant revêtir ce caractère si l’employeur a sciemment recouru à ce mode de rupture en l’absence de faute du travailleur ou s’il a été décidé en représailles à des revendications légitimes.

Il est également intéressant de souligner que la cour retient dans la définition de la faute à la base du dommage réparable l’attitude de l’employeur dans les derniers temps de l’exécution du contrat.


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