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Indication des délais et modalités de recours dans l’acte de notification (ou signification) d’un jugement : la cour Constitutionnelle interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 janvier 2013, R.G. 2011/AB/778 et 2012/AB/69

Mis en ligne le lundi 27 mai 2013


Cour du travail de Bruxelles, 24 janvier 2013, R.G. n° 2011/AB/778 et 2012/AB/69

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 janvier 2013, la Cour du travail de Bruxelles, s’étant livrée à une longue analyse de la question, décide d’interroger la Cour constitutionnelle eu égard à la notion de procès équitable au sens de l’article 6, § 1er de la C.E.D.H.

Les faits

Un couple de médiés, admis à la procédure de règlement collectif de dettes en 2002, ne respecte pas les obligations fixées dans le plan de remboursement et, en 2004, le médiateur (ainsi qu’un créancier) demande la révocation du plan.

Diverses décisions interviennent, le Tribunal du travail de Nivelles décidant, par jugement du 28 juillet 2011, la clôture immédiate de la procédure avec remise totale des dettes, en capital, intérêts et frais, pour la partie non remboursée.

Un créancier interjette appel.

Position des parties devant la cour

Le créancier conteste avoir été informé de la demande de remise des dettes en capital. Il souligne également qu’il y aurait lieu de réaliser les biens saisissables, ce qui n’a pas été fait. Pour lui, la remise totale des dettes enfreint l’article 1675/13 du Code judiciaire, la remise de dettes en capital n’ayant pas été considérée par le tribunal subsidiairement à une autre mesure, étant la vente de l’immeuble des médiés.

Ceux-ci font valoir pour leur part que l’appel est irrecevable au motif que toutes les parties n’ont pas été mises à la cause dans le délai d’appel et que la question de la vente a fait l’objet d’un jugement en 2006, qui est ainsi coulé en force de chose jugée.

La décision de la cour

La cour entame un long examen de l’article 1053 du Code judiciaire, vu l’argument d’irrecevabilité soulevé par les médiés, selon qui toutes les parties n’ont pas été mises à la cause dans le délai d’appel, alors que le litige est indivisible.

La cour rappelle dès lors qu’en vertu de la disposition visée, l’appel doit est dirigé contre toutes les parties dont l’intérêt est opposé à celui de l’appelant et que ce dernier doit, dans les délais ordinaires de l’appel et au plus tard avant la clôture des débats, mettre en cause les autres parties non appelantes ni déjà intimées ou appelées.

La cour rappelle le caractère d’ordre public de cette disposition, unanimement admis en doctrine.

Pour la cour, il y a indivisibilité. La cour constate que l’ensemble des autres créanciers (27) auraient dû être mis à la cause. Ceci a certes été fait, mais en dehors du délai d’appel. La cour va dès lors rappeler les difficultés de lecture de l’article 1053 du Code judiciaire et, à cet égard, l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2011 (Cass., 10 octobre 2011, J.T., 2012, p. 55) donnant l’interprétation à faire de l’article 1084, alinéas 2 et 3 du Code judiciaire, qui règle la question en ce qui concerne le pourvoi. Celui-ci doit être dirigé contre toutes les parties à la décision attaquée, dont l’intérêt est opposé au demandeur en cassation et, en outre, dans les délais ordinaires des pourvois, celui-ci doit mettre à la cause les autres parties qui sont déjà défenderesses ou appelées.

C’est le sens de l’article 1053, qui distingue donc deux catégories de parties.

Revenant sur l’élaboration de l’article 1053, avant la réforme judiciaire, et reprenant l’apport de celle-ci, la cour souligne que l’appel doit donc être dirigé dans le délai d’appel contre toutes les autres parties qui ont un intérêt opposé à celui de l’appelant, mais que cette mise en cause des autres parties peut avoir lieu dans le délai d’appel et au plus tard jusqu’à la clôture des débats. La partie cointéressée, ainsi appelée à l’instance, ne pourra faire valoir des droits distincts de ceux de l’appelant – sauf pour elle à interjeter appel incident.

Ce mécanisme est particulièrement délicat dans la question du règlement collectif de dettes, où une multitude de parties et de personnes sont intéressées. En l’espèce, il y a dérogation au principe général, selon lequel le délai d’appel court à partir de la signification de la décision entreprise et où la signification d’une décision à l’égard d’une partie ne fait pas courir le délai d’appel à l’encontre des autres. En effet, en matière de règlement collectif, les décisions sont portées à la connaissance des parties par une notification du greffe et c’est celle-ci qui fait courir le délai. Celui-ci peut dès lors être écoulé à l’égard de toutes les parties avant que l’on ne se rende compte de l’erreur de l’acte d’appel et que la procédure puisse être régularisée. La cour ajoute qu’en la matière, les jugements rendus par défaut ne sont pas susceptibles d’opposition (article 1675/16, § 4, alinéa 3 C.J.). Les conséquences de cet état de chose peuvent dès lors être importantes.

La cour va dès lors relever l’intérêt d’une information à donner au justiciable dans la notification de la décision, en ce qui concerne les conditions de l’article 1053 du Code judiciaire. Elle rappelle qu’existe depuis près de 20 ans une proposition de loi d’insérer un article 46bis dans le Code judiciaire et reprend également la suggestion faite par la doctrine (F. ERDMAN et G. DE LEVAL, « Dialogues Justice », p. 245 et 246 – note 15, feuillet 11) d’imposer une obligation d’information, sanctionnée par l’absence de prise de cours du délai de recours. Cette obligation est inexistante à l’heure actuelle en droit judiciaire (tout en existant dans la Charte de l’assuré social – article 14).

Il faut dès lors, pour la cour, renforcer les garanties de procès équitable, d’autant qu’en l’occurrence, il y a dérogation à l’article 1053 C.J.

Elle invoque, ainsi, l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 31 janvier 2012 (C.E.D.H., 31 janvier 2012, req. 61226/08), rendu en matière d’autorité parentale, qui impose d’éviter tout formalisme excessif lorsque le manquement reproché aux formalités de procédure ne cause pas grief et que le but assigné à celles-ci est atteint.

Or, en l’occurrence, l’inadmissibilité de l’appel (sanction du non-respect de l’article 1053, alinéa 2) prive le justiciable d’un droit de recours.

La cour va dès lors poser la question de savoir s’il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution, le cas échéant combinés avec l’article 6.1 C.E.D.H., du fait de l’absence d’information du justiciable eu égard au fait que le manquement reproché aux formalités de la procédure ne cause pas grief, dès lors que la mise en cause intervient avant la clôture des débats et que le but assigné aux formalités est in fine atteint.

Plus précisément, la violation peut, pour la cour, porter sur le traitement différent sans justification raisonnable des parties à l’appel, selon que celui-ci porte sur un litige divisible (où l’appelant, de même que toute autre partie à l’appel, peut agir en déclaration de jugement commun jusqu’à la clôture des débats) ou indivisible (où cette action doit nécessairement intervenir dans le délai d’appel). De même, il peut y avoir atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal alors que le manquement reproché ne cause pas grief et que le but assigné à la formalité a été atteint.

Intérêt de la décision

La cour du travail saisit la Cour constitutionnelle d’une question litigieuse depuis de nombreuses années et elle en rappelle d’ailleurs les contours, ainsi que l’abandon manifeste d’une proposition de loi faite en 1994 de régler la question. Espérons qu’elle sera entendue…


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