Terralaboris asbl

Appréciation de l’incapacité de travail pendant l’invalidité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 février 2008, R.G. 49.737

Mis en ligne le mardi 11 juin 2013


Cour du travail du Bruxelles, 4 février 2008, R.G. n° 49.737

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 février 2008, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les critères permettant d’apprécier l’incapacité de travail du travailleur indépendant pendant une période d’invalidité et insiste sur la nécessité pour l’expert de préciser les professions toujours accessibles.

Les faits

Le litige porte sur l’appréciation de la capacité de travail d’un travailleur manuel, qui a suivi un enseignement professionnel, section carrosserie, et a travaillé 20 ans comme salarié dans une carrosserie.

Il a dû se réorienter, alors, suite à des problèmes de dos et de genoux et a exploité une librairie à partir de 1999. En 2001, il a du suspendre ses activités vu des problèmes de dos. Il a été reconnu incapable de travailler à partir du 16 octobre 2000. Cette incapacité a été admise jusqu’à une visite de contrôle du médecin conseil de sa mutualité, en date du 11 février 2005, refusant à partir du 21 février l’incapacité de travail au sens de l’article 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971.

Un recours a été introduit contre cette décision

La position du tribunal

Le tribunal du travail a désigné un expert afin de donner un avis sur la réalité de l’incapacité de travail. Suite à son rapport, concluant que l’intéressé ne présentait plus l’incapacité de travail requise, le tribunal du travail débouta le demandeur, constatant en outre qu’il n’avait pas formulé de remarques au moment des préliminaires et que le rapport était clair et dûment motivé.

La position des parties en appel

Pour l’appelant, l’expert aurait considéré à tort que l’incapacité de travail n’était pas de 100% et celui-ci aurait négligé d’indiquer les professions encore accessibles. Du fait des problèmes de dos et de genoux, toutes les professions sollicitant ces parties du corps sont de ce fait exclues de facto. Vu sa formation, ce sont, en fin de compte, toutes les professions qui lui sont inaccessibles.

Pour la mutualité, le tribunal du travail a, à raison, considéré que les critiques du demandeur sur le rapport d’expertise devaient être écartées, les discussions sur le plan médical devant prendre fin au moment où le rapport est clôturé. Vu l’absence d’éléments nouveaux dans l’argumentation de l’appelant, la mutualité considère que la Cour doit, également, rejeter les observations faites.

La positon de la Cour

La Cour va constater que la mission de l’expert consistait à déterminer si l’incapacité de travail présentée par la personne concernée correspondait aux critères de l’article 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités et une assurance maternité en faveur des travailleurs indépendants et des conjoints aidants et qu’il lui était demandé de préciser les professions qui ne pouvaient plus être exercées.

L’expert avait relevé des problèmes au niveau du genou gauche, qui avaient nécessité trois arthroscopies ; il retenait des difficultés à monter les escaliers, ainsi que d’autres séquelles limitant l’autonomie de déplacement. Il y ajoutait des problèmes de dos, ayant laissé des séquelles postopératoires, le tout empêchant l’intéressé de rester longtemps dans la même position, notamment assise …

La Cour va rejeter l’argumentation de la mutuelle, considérant que ce ne sont pas les constatations médicales contenues dans les préliminaires qui font l’objet de contestation, mais les conclusions du rapport elles-mêmes, de telle sorte que les griefs de l’appelant doivent être examinés, même s’il n’avait pas fait de commentaires sur les préliminaires.

Elle retient que l’on se trouve dans une période d’invalidité et non d’incapacité primaire et que l’évaluation de l’incapacité de travail est différente. Pendant la première année, la Cour rappelle que l’incapacité de travail est évaluée par rapport à la profession que l’intéressé exerçait au moment où il a été reconnu incapable de travailler, ou par rapport à la dernière profession exercée (article 19 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971). En ce qui concerne l’évaluation de l’incapacité elle-même, le rapport au Roi précédant l’arrêté royal prévoit que celle-ci doit intervenir en tenant compte des tâches concrètement effectuées par le travailleur indépendant.

Si celui-ci devient incapable de travailler pendant la période d’invalidité, il doit répondre aux conditions de l’article 19 et, en outre, il doit être reconnu incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle dont il pourrait être chargé équitablement, tenant compte notamment de sa condition, de son état de santé et de sa formation professionnelle. La Cour retient que ces conditions sont plus sévères.

Quant au pourcentage exigé par la loi, il n’y a pas de minimum légal auquel l’incapacité de travail devrait correspondre parce que, dans le cas d’un indépendant, il est difficile d’apprécier la capacité de gain par rapport à une personne comparable.

Le critère d’équité fait que le marché général du travail est en réalité un marché du travail relatif et il permet de prendre en compte en dehors des critères professionnels stricts d’autres aspects. Le rapport au Roi précité (M.B., 7 août 1971, p. 9309) insiste sur le fait que, lors de l’évaluation de l’incapacité de travail, il faut éviter une approche purement théorique, surtout lorsqu’il s’agit de déterminer la possibilité de reclassement dans une autre profession indépendante. En conséquence, l’incapacité de travail ne doit pas être appréciée uniquement eu égard aux possibilités de travail dans l’entreprise de l’intéressé mais il faut prendre en compte un éventail plus large d’activités professionnelles et même non uniquement en tant qu’indépendant mais également comme salarié. La Cour rappelle à cet égard l’arrêt de la Cour de cassation du 5 septembre 1988 (J.T.T., 1989, p. 279).

Le critère d’équité exige en outre une approche réaliste, tenant compte de la situation de l’intéressé eu égard à la réalité qui l’entoure. La Cour du travail rappelle ici la doctrine à ce sujet (L. Maroy, Algemene Arbeidsmarkt en sociale zekerheid, die Keure, 1991, p. 45). Il en découle qu’un reclassement ne peut pas impliquer une dégradation ou une déqualification professionnelle.

En outre, dans cette appréciation il faut tenir compte du fait qu’une occupation professionnelle suppose une activité qui peut être exercée de manière ininterrompue et qui peut produire des revenus suffisants pour permettre d’en vivre.

Aussi, pour la Cour, faut-il tenir compte du passé professionnel, de l’expérience acquise sur le terrain, de l’éducation, de l’état de santé, de l’âge, des possibilités de rééducation professionnelle, …

Il ne faut, par contre, pas tenir compte de la circonstance que l’intéressé ne s’est pas recyclé ou refuse de subir une intervention chirurgicale, circonstances présentes en l’espèce, où il est reproché à l’intéressé un « immobilisme thérapeutique ».

Pour la Cour, c’est précisément parce qu’il y a lieu de procéder à une approche théorique des possibilités de reclassement que l’expert était chargé, en l’espèce, de donner son avis sur les professions toujours accessibles – ce qu’il n’a pas fait. La Cour considère dès lors indispensable de renvoyer le dossier à l’expert judiciaire désigné afin qu’il réponde à cette partie de la mission confiée.

Intérêt de la décision

La décision contient des développements et rappels théoriques sur l’appréciation de l’incapacité de travail du travailleur indépendant pendant la période d’invalidité. Elle dégage les critères qui doivent être retenus et ceux qu’il convient d’écarter. Elle contient également un intéressant rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que cette appréciation de l’incapacité de travail doit se faire non seulement par rapport aux professions indépendantes mais également aux professions salariées.


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