Terralaboris asbl

Paiement des cotisations en retard : taux de l’intérêt ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 15 avril 2008, R.G. 35.337/2008

Mis en ligne le jeudi 13 juin 2013


Cour du travail de Liège, Sect. Liège, 15 avril 2008, R.G. n° 35.337/2008

TERRA LABORIS Asbl

Dans un arrêt du 15 avril 2008, la Cour du travail de Liège, Sect. Liège, a rappelé quelques précisions utiles en ce qui concerne le taux d’intérêt légal en la matière.

Position du problème

Le premier juge condamne un employeur à des arriérés de cotisations de sécurité sociale, majorations et intérêts, le taux de celui-ci étant fixé à 6% à partir du 1er janvier 2007.

L’ONSS interjette appel du jugement, au motif essentiel de ne pas avoir appliqué le taux de 7%, étant le taux prévu par l’article 54 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, disposition qui n’a pas été modifiée.

Position de l’ONSS

Pour l’ONSS, les premiers juges auraient dû retenir le taux de 7%, étant le taux fixé pour les matières fiscales. Il relève que le législateur a fixé distinctement deux taux, selon des modalités autonomes, pour fixer l’intérêt légal : par référence au taux Euribor pour les matières civiles et commerciales et par arrêté délibéré en conseil des ministres pour les matières fiscales. Il demande que soient appliquées les règles en vigueur pour les matières fiscales, et ce par application des règles d’interprétation nécessaires pour opérer un rattachement adéquatement motivé à une des deux règles ci-dessus.

Position de la Cour

La Cour rappelle d’abord les normes applicables au taux de l’intérêt. En vertu de la loi du 27 juin 1969 (art. 28, modifié par l’A.R. du 30 décembre 1982), l’intérêt de retard calculé sur les cotisations non versées dans les délais ne peut excéder le taux de l’intérêt légal.

L’arrêté royal du 28 novembre 1969 (art. 54) dispose que les cotisations non payées dans les délais donnent lieu à débition d’une majoration (10% du montant dû) et d’un intérêt de retard de 7% l’an à partir de l’expiration du délai jusqu’au jour du parfait paiement.

La Cour rappelle ensuite l’évolution des dispositions légales fixant le taux de l’intérêt légal, le premier texte étant la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, où l’intérêt légal en matière civile et commerciale était distingué de l’intérêt légal en matière fiscale. Le 1er juillet 1970, le législateur a toutefois rendu uniforme le taux de l’intérêt pour toutes les matières, civiles, commerciales ou fiscales.

Actuellement, la loi programme du 27 décembre 2006 a modifié l’article 2 de la loi du 5 mai 1865 prévoyant ainsi que chaque année calendrier le taux de l’intérêt légal en matière civile et en matière commerciale est fixé à partir de la moyenne du taux d’intérêt Euribor à un an pendant le mois de décembre de l’année précédente, cette moyenne étant arrondie vers le haut au quart de pour cent et le taux d’intérêt ainsi obtenu étant augmenté de 2% (art. 87 § 1). Ainsi, l’administration générale de la trésorerie du SPF finances publie en janvier le taux de l’intérêt général applicable pendant l’année calendrier en cours. Pour les matières fiscales, le taux de l’intérêt légal est fixé à 7% même si les dispositions fiscales renvoient au taux d’intérêt légal en matière civile et pour autant qu’il n’y soit pas explicitement dérogé dans les dispositions fiscales. Ce taux peut être modifié par arrêté royal délibéré en conseil des ministres (art. 27, § 2).

Sur la base de ces règles, la Cour va rencontrer la position de l’ONSS, rappelant tout d’abord que les dispositions en matière sociale renvoient nécessairement à l’une des deux règles fixées par la loi du 27 décembre 2006 en son article 87. Ce qu’il faut déterminer est l’objet de l’intérêt de retard : matière civile ou matière fiscale ?

Pour la Cour, le législateur social n’a jamais adopté un financement fiscal de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Bien qu’un financement alternatif de celle-ci soit nécessaire pour compléter les cotisations, une fiscalisation ne peut être retenue et ne l’a jamais été. Pour la Cour, si le financement était fiscalisé, la sécurité sociale serait encadrée par un système normatif fiscal, ceci aboutissant à lui enlever la légitimité de sa gestion paritaire, alors qu’il ne faut pas favoriser des mécanismes de déconnection entre les droits et les devoirs des bénéficiaires (la Cour rappelle P. VAN DER VORST, « La sécurité sociale. L’O.N.S.S., Soixante ans de jeunesse … de justesse », R.B.S.S., 2005, pp. 16 et 17). La dimension essentiellement paritaire de la sécurité sociale relève, certainement, pour la Cour de l’ordre public.

La cotisation de sécurité sociale demeure une forme de salaire indirect correspondant au coût total du travail, le contrat de travail constituant le fait générateur de la dette de l’employeur qui est tenu au paiement de ces cotisations. C’est donc la règle régissant le calcul des intérêts de retard dans les matières civiles qui doit s’appliquer puisque la cotisation de sécurité sociale concerne le salaire résultant du rapport contractuel entre les parties, pour financer l’ONSS, responsable unique de la perception et de la répartition ultérieure, et ce sur des bases paritaires.

La Cour rappellera encore que les assurances sociales relèvent d’un système qui se développe sur des relations individuelles de travail, qu’il est conçu et géré paritairement pour un groupe déterminé de la population active et en fonction des risques sociaux ainsi spécifiquement garantis. Les cotisations de sécurité sociale et les cotisations fiscales doivent être distinguées, selon leur nature, leur finalité et leur gestion distinctes, s’agissant de deux charges distinctes pesant sur les revenus tirés du travail. Pour la Cour aussi, ceci ressort encore du fait que les cotisations de sécurité sociale ne sont pas progressives, au contraire de l’impôt sur les revenus.

En conséquence, pour la Cour, l’ONSS n’établit nullement que les matières sociales et fiscales seraient des matières d’ordre public qui sont « toujours traitées de pair », et ce dans la mesure où la gestion paritaire de la sécurité sociale, la proportionnalité de la cotisation sociale et le refus d’un financement fiscal utilisé établissent le contraire.

Intérêt de la décision

Très beau rappel, à la fois historique et des principes définissant la nature de la sécurité sociale, que permet cette contestation – apparemment mineure – par l’ONSS du taux d’intérêt appliqué par la juridiction du travail sur les arriérés de cotisations.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be