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Revenu d’intégration sociale : notion d’enfant à charge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 mai 2008, R.G. 50.241

Mis en ligne le jeudi 13 juin 2013


Cour du travail de Bruxelles, 15 mai 2008, R.G. n° 50.241

Terra Laboris Asbl

Dans un arrêt du 15 mai 2008, la Cour du travail de Bruxelles définit la notion d’enfant à charge en matière de revenu d’intégration, la loi du 26 mai 2002 étant muette sur la question.

Les faits

Un étranger (d’origine turque) est installé en Belgique où il est inscrit comme isolé. Il reçoit le revenu d’intégration du CPAS de sa commune jusqu’au 31 janvier 2006. Il formule alors une première demande d’aide sociale, signalant s’installer avec sa femme et ses enfants. Cette demande fera l’objet d’un refus, au motif de l’absence de volonté d’insertion socioprofessionnelle.

Dans une deuxième décision, du 29 mai 2006, le CPAS octroie, toutefois, le revenu d’intégration, et ce au taux cohabitant. La décision est assortie d’autres avantages, aux fins de stabiliser l’intéressé dans un logement en vue de sa réinsertion.

L’intéressé trouve un logement et demande alors le revenu d’intégration au taux avec charge de famille, faisant état d’une cohabitation avec une personne (en séjour illégal) ayant deux enfants en bas âge. Le père de l’aîné serait inconnu et le demandeur déclare être le père du second.

Après avoir dans un premier temps maintenu la décision d’octroyer le revenu d’intégration au taux cohabitant (décision contre laquelle un recours est introduit), le CPAS rectifiera celle-ci et permettra au demandeur de bénéficier du taux isolé.

Position du tribunal

Par jugement du 2 août 2007, le tribunal du travail de Bruxelles a considéré que le recours formé par le demandeur était fondé et qu’il y avait lieu de lui octroyer le revenu d’intégration sociale au taux attribué aux personnes ayant charge de famille, et ce à dater du 31 juillet 2006. Le CPAS a été condamné aux arriérés, déduction faite des montants versés au taux isolé.

Moyens des parties en appel

Le CPAS interjette appel de la décision, faisant valoir de nombreux motifs, dont la condition d’enfant à charge, seule question que nous examinerons ici (les autres points d’intérêt, soit la question du mineur en séjour illégal ne sont pas repris).

C’est en effet la notion de « prise en charge » qui va être investigué par la Cour, le CPAS faisant valoir qu’il s’agit d’une notion de fait, n’exigeant pas un lien juridique ou biologique, mais que cette prise en charge doit être examinée dans sa réalité. Le CPAS insiste sur le fait que le second enfant n’a pas été reconnu par le demandeur et que celui-ci n’a fait aucune démarche en ce sens. Aucune pièce ne démontre par ailleurs des dépenses effectuées par le demandeur pour les enfants.

Dans la foulée du point précédent, le CPAS conteste la position du premier juge qui a admis que la simple présence d’enfants mineurs au sein du ménage suffit à établir qu’il y a charge de famille. Il rappelle la question de la légalité du séjour à cet égard.

En ce qui concerne l’intimé, son argumentation repose d’abord sur l’article 14, § 1er, 3° de la loi du 26 mai 2002 qui, selon lui, n’exige pas la preuve effective de la prise en charge mais uniquement la présence des enfants au sein du ménage.

En outre, il fait valoir que l’on ne peut appliquer conjointement l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS et la loi du 26 mai 2002. Il fait valoir qu’il ne tombe pas sous le champ de la loi du 8 juillet 1976 et que les deux régimes sont exclusifs l’un de l’autre. Exiger que les enfants soient en séjour légal est un ajout que la loi ne contient pas. Pour lui, la condition de légalité de séjour ne concerne que le demandeur lui-même et il relève encore que les enfants ne demandent pas le revenu d’intégration à titre personnel.

Position de la Cour

Dans un arrêt particulièrement motivé, la Cour du travail rappelle que le droit au taux majoré existe lorsque le bénéficiaire du revenu d’intégration sociale vit exclusivement avec une famille à sa charge. Elle pose notamment la question de savoir si la simple présence d’un enfant dans le ménage du bénéficiaire suffit pour qu’il soit considéré à charge.

Dès lors, la Cour s’attache à définir cette notion de « famille à charge » au sens de l’article 14, § 1er, 3° de la loi du 26 mai 2002. Relevant que figure également la notion de « enfant à charge » dans la même loi, la Cour doit bien constater qu’il n’est nulle part, ni dans la loi ni dans les arrêtés d’exécution, précisé ce qu’il faut entendre par l’expression « à charge ».

Elle va dès lors se tourner vers la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (convention de New-York du 20 novembre 1989 – article 27). Cette disposition vise la notion socio-économique que constitue la charge d’enfants, à savoir la responsabilité d’une personne d’assurer, dans la limite de ses possibilités, en particulier dans les limites de ses possibilités financières, les besoins de l’enfant qui doivent être rencontrés pour son développement à tous égards. Ceci se retrouve dans l’article 203, § 1er du Code civil, étant que les père et mère sont tenus d’assurer, à proportion de leurs facultés, l’hébergement, l’entretien, la surveillance, l’éducation et la formation de leurs enfants. En droit interne, la notion d’enfant à charge traduit la préoccupation du législateur de tenir compte de la charge économique supplémentaire résultant de la responsabilité assumée d’un enfant et cette préoccupation se retrouve également dans l’article 14, § 1er, 3° de la loi du 26 mai 2002.

Ceci existe également dans d’autres réglementations et la Cour balaie la législation fiscale, la réglementation du chômage, la réglementation relative aux allocations familiales pour salariés, ainsi que le Code judiciaire (en ce qu’il vise les quotités saisissables et cessibles) et conclut que, trait commun de ces réglementations, c’est la charge financière qui justifie l’avantage accordé par la collectivité à la personne qui assume effectivement cette charge de l’enfant. L’enfant est donc à sa charge lorsque la personne assume les frais d’hébergement, l’entretien et l’éducation de celui-ci.

La simple présence d’un enfant dans le ménage du bénéficiaire ne suffit dès lors pas pour que l’enfant soit considéré comme à charge de celui-ci. Il appartient dès lors à ce dernier d’établir la réalité de la responsabilité qu’il assume à l’égard des critères ci-dessus étant l’hébergement, l’entretien et l’éducation de l’enfant, cette responsabilité se traduisant en particulier par une prise en charge financière. Ceci est une notion de fait et l’absence de lien biologique ou juridique est sans incidence.

Intérêt de la décision

La question d’ « enfant à charge » revient régulièrement dans les diverses réglementations en sécurité sociale et il faut bien reconnaître que l’on débat rarement des contours de la notion. La Cour opte, dans cet arrêt, pour une vision réaliste des conditions d’obtention du revenu d’intégration sociale au taux majoré, étant qu’il implique la réalité de dépenses supplémentaires en vue de l’hébergement, l’entretien et l’éducation de l’enfant.


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