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Chômage et bonne foi : conditions de la limitation de la récupération aux 150 derniers jours

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 février 2013, R.G. 2011/AB/833

Mis en ligne le lundi 17 juin 2013


Cour du travail de Bruxelles, 6 février 2013, R.G. n° 2011/AB/833

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 février 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions dans lesquelles un chômeur peut faire valoir sa bonne foi, s’agissant en l’espèce de l’exercice d’une activité accessoire.

Les faits

Un travailleur salarié est parallèlement gérant d’une SPRLU. Lorsqu’il sollicite les allocations de chômage suite à la perte de son emploi, il ne déclare pas ce mandat. Deux ans plus tard, il introduit une demande de dispense en vue de préparer son installation comme travailleur indépendant. Il expose alors les conditions dans lesquelles il avait été amené, avant la perte de son emploi, à créer une SPRLU, suite au décès de son père, actif avec lui auparavant, dans l’installation d’un haras. Il reprend l’évolution de cette activité, dont l’essentiel était dans un premier temps consacré à l’aménagement des lieux, ainsi qu’à l’installation de l’eau, de l’électricité, …

Il expose demander sa dispense au motif que l’activité peut à ce moment réellement démarrer. Il justifie le choix de la SPRLU pour le passé dans l’optique de l’assujettissement à la T.V.A. et de l’accomplissement des démarches administratives.

Il est alors exclu des allocations de chômage, l’ONEm fixant un indu à rembourser de l’ordre de 21.000€.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Décision du tribunal

Par jugement du 24 août 2011, le tribunal considère l’activité incompatible avec l’octroi d’allocations de chômage mais fait droit à la demande de limiter la récupération aux 150 derniers jours d’indemnisation. Il réduit la sanction d’exclusion, la portant de 8 à 4 semaines.

L’ONEm interjette appel.

Décision de la cour

La cour va dans un premier temps reprendre les principes repris aux articles 44 et 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, les appliquant à l’exercice d’un mandat au sein d’une société commerciale. Celle-ci est généralement considérée comme activité exercée pour compte propre. La cour reprend l’évolution des règles dans le régime des travailleurs indépendants, pour lesquels la présomption d’exercice d’activité indépendante est réfragable. Tout en considérant que la notion d’activité pour compte propre en matière de chômage est spécifique à cette réglementation, elle considère que sur la base des évolutions intervenues en matière de statut social, la désignation en tant que mandataire dans une société commerciale n’est pas nécessairement incompatible avec l’octroi des allocations de chômage. Elle rappelle la doctrine (J.-Fr. FUNCK, note sous Cour Const., 3 novembre 2004, Chron. D.S., 2005, p. 71) selon laquelle, vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004, considérant disproportionné le caractère irréfragable de la présomption d’exercice d’activité indépendante, la réglementation du chômage doit être appliquée dans ce sens également.

Il appartient cependant au chômeur d’apporter la preuve de l’absence d’exercice de cette activité.

La cour rappelle encore la position de l’ONEm depuis juin 2010, admettant également cette preuve contraire (elle renvoie au site www.onemtech.be pp. 3-4).

En l’espèce, vu l’importance des investissements et l’ampleur du projet, la cour conclut que la société était pleinement active pendant la période litigieuse et que l’activité exercée n’était pas uniquement une activité préparatoire.

S’agissant d’apprécier l’activité ainsi exercée à titre accessoire, la cour constate qu’elle avait été entamée plus de trois mois avant le début des allocations de chômage mais que d’une part la déclaration préalable n’a pas été faite et d’autre part l’ampleur du projet n’était pas aisément compatible avec le caractère accessoire de l’activité ainsi exercée.

La cour constate également que celle-ci a dû impliquer des prestations en journée, et non seulement dans la plage horaire située entre 18hrs et 7hrs du matin.

Elle rejette dès lors que l’on puisse être en présence d’une activité accessoire au sens de l’article 48, § 1er, de l’arrêté royal et confirme la position du tribunal, qui a considéré celle-ci incompatible avec l’octroi des allocations.

Se pose cependant la question de la limitation de la récupération aux 150 derniers jours, limitation autorisée par l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Celle-ci suppose la bonne foi du chômeur et celui-ci a la charge la preuve.

La cour rappelle très judicieusement l’arrêt de la Cour de cassation du 16 février 1998 (Cass., 16 février 1998, S.970137.N) selon lequel le juge peut ici tenir compte de l’intention et de la connaissance du chômeur. S’il n’avait pas conscience du caractère indu du paiement au moment où celui-ci a été effectué, la bonne foi peut en effet être retenue. Elle peut cependant être exclue lorsque le chômeur peut prendre conscience du caractère indu. Ceci ne ressort pas nécessairement de l’absence de déclaration préalable (la cour renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 19 avril 2007, R.G. N° 48.743). Elle considère cependant ne pas pouvoir suivre la position du premier juge, dans la mesure où le critère à retenir est celui d’absence de conscience du caractère indu et non d’absence de faute dans le chef du chômeur.

Tout en relevant que les formulaires C1 n’étaient à l’époque pas très clairs en ce qui concerne la question de la déclaration de l’activité accessoire dans le cas de mandataires de société, la cour constate que l’intéressé ne peut pas ne pas avoir eu conscience des difficultés ainsi posées par la situation qu’il avait créée. La cour se réfère à (i) la longueur de la période litigieuse, (ii) l’importance des investissements et des immobilisations, (iii) l’absence de disponibilité sur le marché de l’emploi vu l’ampleur du projet et (iv) la demande tardive d’autorisation introduite en vue de se préparer à l’exercice d’une activité indépendante.

La bonne foi n’est dès lors pas rapportée et la récupération des allocations doit intervenir en totalité.

De même, vu la longueur de la période litigieuse, la cour réforme le jugement en ce qu’il avait réduit la sanction d’exclusion à 4 semaines. Elle considère également pour le même motif que l’octroi d’un sursis ne se justifie pas.

Intérêt de la décision

Cet arrêt statue dans une espèce délicate où, tout en considérant que l’intéressé avait effectué des démarches afin de sortir du chômage, l’ampleur du projet et surtout la durée pendant laquelle il s’était essentiellement consacré à celui-ci – tout en n’étant pas disponible sur le marché de l’emploi – est incompatible avec la réglementation du chômage. L’arrêt rappelle également très judicieusement les conditions de la bonne foi, dont la preuve est à charge du chômeur.


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