Terralaboris asbl

Bons de réduction accordés à une catégorie déterminée de personnel. Absence de caractère rémunératoire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2008, R.G. 49.878

Mis en ligne le mardi 18 juin 2013


Cour du travail de Bruxelles, 4 septembre 2008, R .G. n° 49.878

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 4 septembre 2008, la Cour du travail de Bruxelles déboute l’ONSS de son action en vue de faire reconnaître le caractère rémunératoire de bons de réduction offerts par une société de parfumerie à son personnel de vente.

Les faits

La société est spécialisée dans la vente au détail d’articles de parfumerie et de beauté. Elle exploite plus de 100 magasins sur le territoire de la Belgique.

Elle accorde à l’ensemble de son personnel des réductions d’un montant de 30% sur ses produits. Ceux-ci sont considérés comme visés par l’article 19, § 2, 19° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, c’est-à-dire qu’ils sont exonérés de cotisations de sécurité sociale. Un litige surgit, toutefois, entre la société et l’ONSS, à propos d’un autre avantage. La société accorde, en effet, au personnel de vente, après la fin de la période d’essai, un bon d’une valeur mensuelle de 50€ pour un temps plein (25€ pour un temps partiel), bon non cumulable avec la réduction ci-dessus et qui peut uniquement être négocié dans le magasin où le membre du personnel est occupé. Selon les explications données par la société, ces bons doivent permettre au personnel de se tenir au courant des nouveaux produits afin de pouvoir mieux conseiller la clientèle et mieux effectuer leurs tâches de personnel de vente. Ces bons, en outre, sont strictement personnels et ne peuvent pas être échangés contre des espèces.

Un échange de correspondance intervient entre l’Office et l’entreprise, échange aux termes duquel l’Office va, en fin de compte, rester sur sa position, étant que lesdits bons ont un caractère rémunératoire. L’Office va citer en paiement de montants très élevés, vu le nombre de membres du personnel concerné. La société paie les montants réclamés, mais sous réserve.

Elle introduit un recours devant le tribunal du travail.

La position du tribunal

Le tribunal du travail est d’avis que les bons donnés au personnel de vente représentent des montants couvrant des frais à charge de l’employeur. Le tribunal souligne en outre que l’ONSS n’apporte pas la preuve du non fondement de la thèse de l’employeur, puisqu’il a la charge de la preuve du caractère rémunératoire.

La position des parties en appel

L’ONSS interjette appel, maintenant sa position originaire.

La société réclame le remboursement des sommes qu’elle a payées, vu que, à son estime, l’ONSS ne rapporte pas la preuve légale exigée. Elle demande, en outre, la capitalisation des intérêts.

La position de la Cour

Sur la question de fond (des difficultés procédurales étant également intervenues) les principes sont repris aux articles 14, § 2 de la loi du 27 juin 1969 et 23 de celle du 29 juin 1981. Tous deux renvoient à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération. L’arrêté royal du 28 novembre 1969 a prévu, en exécution de l’article 14, § 2 de al loi du 27 juin 1969, les exclusions légales autorisées. Il s’agit notamment du remboursement de frais qui sont à charge de l’employeur. Pour que ceux-ci puissent entrer dans la cause d’exclusion légale, il est exigé que

  • il s’agisse d’indemnités de frais réels qui n’entraînent pas d’enrichissement du travailleur étant notamment que les remboursements intervenus sont calculés soit sur la base des frais réels soit sur la base d’un forfait qui soit en relation étroite avec la hauteur des dépenses ;
  • il s’agisse de frais qui sont la conséquence de l’exercice de l’emploi, sans qu’il soit exigé qu’ils soient inhérents à celui-ci ;
  • que les frais en cause soient visés par la loi, une convention collective de travail, le contrat de travail, un règlement de travail, un usage ou un engagement unilatéral de l’employeur.

La Cour rappelle les discussions qui sont intervenues en jurisprudence et en doctrine en ce qui concerne la question de la preuve. La Cour de cassation a en effet considéré dans un arrêt du 14 janvier 2002 (Pas., 2002, I, p. 123) que, en cas de contestation sur le caractère rémunératoire ou non de ces frais, la charge de la preuve incombe à l’ONSS, qui doit établir, qu’il ne s’agit pas d’un remboursement de frais à charge de l’employeur.

La Cour du travail conclut de cet arrêt que l’on peut considérer que la charge de la preuve non seulement en ce qui concerne le principe mais également le montant, repose en principe sur l’ONSS.

La Cour du travail rappelle que, pour le Premier Avocat général Leclercq dans l’arrêt ci-dessus, l’article 19, § 2 de l’arrêté royal d’exécution n’est pas une exception à l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération mais les exclusions qui y sont reprises constituent un ensemble par rapport à la notion de rémunération telle que reprise à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 et doivent être lues conjointement, de la sorte que la charge de la preuve, ainsi que le risque de preuve, reposent sur l’ONSS. Il ne s’agit dès lors pas d’une preuve négative dans son chef. Au niveau de l’administration de la preuve, l’employeur doit également collaborer. Cette jurisprudence a été confirmée par l’arrêt du 2 février 2004 de la Cour suprême (S.03.0095.N/2).

La Cour va reprendre assez longuement la doctrine et rappeler les principes sur cette question d’administration de la preuve et de l’obligation de parties à collaborer.

S’agissant de paiements effectués par l’employeur, il y a une question de fait, importante, qui doit être tranchée avant de pouvoir faire jouer les règles de preuve.

La Cour rappelle que l’ONSS présente des faits établis qui sont de nature à faire présumer qu’il s’agit de rémunérations, il appartient alors à l’employeur de réfuter le caractère rémunératoire de ceux-ci.

Reprenant la doctrine de Van Eeckhoutte (W. Van Eeckhoutte “Begrip loon in de bijdrageregeling van de sociale zekerheid voor werknemers in Het Loonbegrip”, p. 111), la Cour rappelle que l’on peut très bien opter pour un remboursement de frais forfaitaire pour des raisons pratiques, par exemple pour éviter des moyens de preuve fastidieux ou des prestations administratives disproportionnées, dans le seul but d’établir le caractère raisonnable des montants payés.

Le forfait peut être admis, dans la mesure où il existe un rapport raisonnable entre le montant versé et les dépenses réellement exposées.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour suit le premier juge, qui a considéré qu’il s’agissait, par l’octroi des bons en cause, de frais qui auraient normalement été à charge de l’employeur.

La Cour constate que la société a souhaité la plus grande transparence sur la question litigieuse ; elle a exposé que ces bons n’étaient pas accordés pendant la période d’essai et qu’en outre ils n’étaient attribués qu’au personnel de vente vu leur obligation de se tenir au courant des évolutions des produits de parfumerie et de beauté.

Revenant aux conditions du texte légal, la Cour considère qu’il s’agit de frais qui constituent la conséquence de l’occupation de la fonction en cause et qu’en outre il est normal que des vendeurs puissent accorder une attention plus grande à leur présentation, tous motifs non sérieusement contredits par l’ONSS.

La Cour va encore relever que, de l’enquête menée à l’intérieur de l’entreprise, les membres du personnel confirment les conditions d’octroi desdits bons (le personnel cadre n’en bénéficiant pas, etc.).

Le jugement est donc confirmé.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est double :

  • d’une part, elle rappelle que l’ONSS a l’obligation de prouver que des remboursements de frais constituent, en fait, de la rémunération ;
  • dans le cas d’une catégorie particulière de personnel exposé de par l’exercice des fonctions à certaines nécessités commerciales, il peut leur être attribué un montant destiné à acheter les produits de l’entreprise, leur permettant de mieux remplir leur mission contractuelle.

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