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Annonce d’une rétrogradation et accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 26 avril 2013, R.G. 2012/AL/333

Mis en ligne le mardi 2 juillet 2013


Cour du travail de Liège, section de Liège, 26 avril 2013, R.G. n° 2012/AL/333

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 26 avril 2013, la Cour du travail de Liège admet que peut constituer l’événement soudain requis par la loi sur les accidents du travail l’annonce abrupte d’une rétrogradation injustifiée, celle-ci ayant entraîné un choc psychologique.

Les faits

Une infirmière, au service d’un centre hospitalier depuis près de 30 ans, exerce au moment des faits des fonctions d’infirmière d’unité. Lors de la mise à la retraite du médecin chef de service, une mission de coaching et de réflexion est mise en route en vue de l’amélioration du service. Elle est exercée par le supérieur direct de l’intéressée. Le lendemain du départ à la retraite du médecin chef de service, elle est appelée chez la directrice du département infirmier. Il lui est annoncé son transfert dès le lendemain vers une unité de revalidation externe, à une vingtaine de kilomètres de là, cette unité étant dirigée par un chef de service du même grade que le sien. Ceci lui est confirmé par écrit. Le jour de l’entretien, l’intéressée va consulter son médecin-traitant. Elle est admise en incapacité de travail pour 5 semaines. Le psychiatre qui est ensuite consulté va conclure à une névrose post-traumatique PTSD. Elle introduit alors une déclaration d’accident du travail et celui-ci est refusé.

Ayant demandé, parallèlement, l’annulation de la mutation devant le Conseil d’Etat, l’intéressée se voit à cet égard confirmée dans son bon droit, le Conseil d’Etat rendant un arrêt le 2 mai 2011, par lequel il annule la mutation pour deux motifs : violation du principe « audi alteram partem » et violation de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs.

Dans le cadre de la demande relative à la reconnaissance et à l’indemnisation de l’accident du travail, le Tribunal du travail de Liège statue le 29 mars 2012 et déboute l’intéressée.

Appel est dès lors interjeté par cette dernière.

Position de l’appelante devant la cour du travail

L’intéressée rappelle longuement sa carrière, outre l’importance au sein de l’hôpital du service dans lequel elle a évolué.

Elle pointe particulièrement que la mutation dans une position d’adjointe d’une personne du même grade est constitutive d’illégalité. Elle fait divers griefs au tribunal, dont le fait de ne pas avoir tenu compte du harcèlement dont elle était l’objet et d’avoir négligé également la réaction des collègues suite aux faits, faisant valoir que, si ceux-ci ont été choqués, a fortiori en était-il de même pour elle. Elle demande dès lors que soit reconnu un événement soudain.

Position de la cour

La cour rappelle longuement les principes en la matière et particulièrement l’arrêt de la Cour de cassation du 15 avril 2002 (Cass., 15 avril 2002, S.01.0079.F), dans lequel elle a admis que l’événement soudain pouvait consister dans l’émotion liée à la vision de collègues, ainsi que du désordre consécutif à un hold-up survenu quelques heures auparavant (en cause La Poste). La cour constate que, en l’espèce, pour l’intéressée, l’événement soudain réside dans la notification brutale d’une mesure de mutation avec effet immédiat pour un poste moins attractif et sous le contrôle d’un collègue de même grade.

Tout en relevant qu’une simple instruction donnée par l’employeur à un travailleur – ou même l’exercice de l’autorité patronale dans des conditions normales – n’est pas constitutive d’événement soudain, la cour affirme que tel n’est pas le cas lorsque l’autorité est exercée de manière peu respectueuse, voire même humiliante. Pour la cour, la manière dont l’autorité est exercée peut engendrer une situation de stress, le travailleur étant amoindri et effondré par le caractère incompréhensible de la décision prise à son égard.

Elle considère, en conséquence, devoir examiner les circonstances dans lesquelles l’entretien en cause s’est déroulé et l’impact que celui-ci a pu avoir sur son organisme, tout en relevant qu’il faut qu’il y ait des éléments objectifs.

Elle va conclure à l’absence de loyauté dans le chef de la représentante de la hiérarchie. Même si des explications sont données relatives au bon fonctionnement du service, il n’empêche que l’intéressée a subi une situation violente (absence de préparation de l’entretien, absence d’assistance syndicale, absence d’audition préalable) et la cour du travail renvoie à l’arrêt du Conseil d’Etat, ce dernier ayant relevé qu’aucune pièce n’était produite, qui soit concrètement en rapport avec la décision en cause, non plus qu’aux changements apportés dans le service et aux raisons pour lesquelles l’intéressée aurait été jugée incapable de faire face à ceux-ci.

Pour la cour, il y a déloyauté et indélicatesse dans le chef de l’hôpital, l’autorité ayant été exercée sans respecter les principes les plus élémentaires des droits de défense. Elle puise encore dans la manière dont la décision de mutation a été communiquée des éléments renforçant la conviction de l’intéressée qu’elle était rétrogradée dans le cadre d’une sanction qu’elle ne méritait pas.

C’est dès lors à la fois la brutalité de la communication, l’absence de respect des droits de défense et les autres éléments constitutifs de la décision, auxquels il faut ajouter l’obligation faite de vider instantanément le bureau et de ne plus y revenir dès le lendemain, qui sont pointés au titre de déloyauté. Pour la cour, cette situation stressante a pu susciter un choc psychologique.

La lésion étant par ailleurs établie, la cour désigne un expert, qui pourra, dans le cadre de sa mission, vérifier si, avec le plus haut degré de vraisemblance que permet l’état des connaissances médicales, l’événement soudain en cause n’a, même partiellement, joué aucun rôle dans la survenance de la lésion dont se plaint la victime.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est rendu dans une hypothèse de choc psychologique encouru au travail suite à un incident révélant l’exercice anormal de l’autorité patronale. La cour admet à juste titre, vu les éléments produits, que celui-ci remplit les conditions de l’événement soudain au sens de la loi du 10 avril 1971.

La cour confie à un expert une mission dont un point est relatif au renversement de la présomption légale de causalité. La victime bénéficie en effet de celle-ci et le caractère réfragable de la présomption permet en effet au débiteur des indemnités d’établir que l’événement soudain n’a joué aucun rôle dans la survenance de la lésion. La mission confiée par la cour à l’expert judiciaire est à cet égard particulièrement adéquate, puisqu’il y a lieu, conformément au mécanisme légal, de dire, avec le plus haut degré de vraisemblance qu’autorise l’état actuel des connaissances médicales, si l’événement n’a joué aucun rôle dans la lésion, et ce même partiellement. Il faudrait donc que, en l’absence de l’événement soudain, la lésion soit survenue de la même manière et à ce même moment pour que la présomption soit renversée.


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