Terralaboris asbl

Chômage : notion de travailleur ayant charge de famille

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 31 janvier 2013, R.G. 2012/AB/383

Mis en ligne le mardi 2 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 31 janvier 2013, R.G. n° 2012/AB/383

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 31 janvier 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la qualité de travailleur ayant charge de famille, au sens de la réglementation chômage, doit répondre à des conditions strictes fixées par la réglementation, et ce particulièrement s’il s’agit de faire valoir l’exécution d’obligations alimentaires. L’arrêt rappelle également le principe non bis in idem en cas de poursuites pénales pour une infraction à la réglementation.

Les faits

Lors de sa demande d’allocations de chômage, un travailleur signale habiter seul mais payer une pension alimentaire à sa fille en exécution d’une convention conclue dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel.

Il s’avère que, deux ans plus tard, l’intéressée travaille à temps partiel et est par ailleurs mariée. Le père a, pour sa part, cohabité pendant deux courtes périodes.

Il est exclu à raison de la différence entre le taux légalement applicable et celui retenu initialement, et une décision est prise en vue de récupération. Elle contient également une sanction pour une période de 9 semaines.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Louvain, qui le rejette par jugement du 12 mars 2012, au motif que la contribution versée par le père à sa fille ne découlait pas d’une décision judiciaire, la fille étant majeure, mariée et travaillant à temps partiel. Le tribunal confirme également la cohabitation pendant la période retenue par l’ONEm.

La position des parties devant la cour

L’appelant fait valoir que les montants versés à sa fille le sont en exécution des conventions de divorce et que celle-ci, atteinte d’un handicap, n’était par ailleurs pas indemnisable dans le secteur des soins de santé et indemnités, ce handicap existant avant son entrée sur le marché du travail.

Sur la cohabitation, il admet une période (limitée) tout en contestant une autre.

Il fait en tout cas valoir sa bonne foi au sens de l’article 169, alinéa 3 de l’arrêté royal.

Quant à l’ONEm, qui sollicite la confirmation du jugement, il considère que le mariage fait obstacle à ce que la contribution alimentaire puisse être considérée comme obligatoire à partir de cette modification de la situation de l’intéressée.

Il considère par ailleurs la cohabitation établie et estime qu’il n’y a pas bonne foi.

La décision de la cour

La cour statue en premier lieu sur la notion de travailleur avec charge de famille au sens de l’article 110, § 1er, 3° de l’arrêté royal. La disposition prévoit que peut avoir cette qualité le travailleur qui habite seul et paye de manière effective une pension alimentaire, (i) soit sur la base d’une décision judiciaire, (ii) soit sur la base d’un acte notarié dans le cadre d’une procédure de divorce par consentement mutuel ou d’une séparation de corps (iii) soit encore sur la base d’un acte notarié au profit de son enfant, à la personne qui exerce l’autorité parentale, ou à l’enfant majeur si l’état de besoin subsiste.

La cour se pose la question de savoir si l’engagement pris est bien conforme aux exigences de cette disposition. Elle considère cependant que, lors de sa demande d’allocations, l’intéressé a remis une copie de l’acte d’engagement et que l’ONEm l’a accepté. S’il fallait dès lors considérer actuellement que les conditions réglementaires ne sont pas réunies, il y aurait erreur de l’institution de sécurité sociale et, au sens de la Charte de l’assuré social, aucun remboursement ne pourrait être exigé pour le passé.

La cour rappelle, avec le tribunal, qu’il ne suffit pas qu’une convention ou un jugement fasse référence à l’obligation de payer une pension alimentaire pour que ceci soit admis dans le cadre de la réglementation chômage comme entraînant la qualité de travailleur ayant charge de famille. Il faut encore que cette obligation subsiste pendant toute la durée où l’intéressé est inscrit au chômage avec cette qualité.

L’obligation alimentaire cesse en principe lorsque l’enfant est majeur ou s’il poursuit des études à la fin de celle-ci. Un autre paramètre est que la contribution alimentaire doit permettre de maintenir le même « standing » de vie et qu’à l’époque litigieuse, la fille avait arrêté ses études, qu’elle était mariée et qu’elle travaillait. L’obligation légale avait donc cessé.

Reste cependant l’obligation d’aliments entre ascendants au sens de l’article 205 du Code civil, mais la cour relève que cette obligation a un contenu beaucoup plus limité. En outre, l’état de besoin de la fille n’est pas démontré, et, du fait du mariage, c’est le conjoint qui avait une obligation alimentaire prioritaire.

La cour confirme dès lors la décision administrative sur ce point.

En ce qui concerne la qualité d’isolé, elle rappelle que l’article 110, § 4 de l’arrêté royal fait obligation au chômeur de communiquer une fois par an la preuve de sa composition de ménage. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 septembre 1998, S.970.161.F), selon laquelle c’est au chômeur qui revendique le statut d’isolé d’apporter la preuve qu’il répond aux conditions pour en bénéficier.

La cour va dès lors examiner les éléments de fait et confirmer que, vu la présence de tiers au domicile de l’intéressé, pendant deux périodes distinctes, celui-ci n’établit pas qu’il avait la qualité d’isolé. Le jugement est également confirmé sur ce point.

En ce qui concerne la limitation de la récupération aux 150 dernières allocations, la cour retient que la bonne foi n’est pas établie pour ce qui est de la cohabitation. Il en va de même pour la qualité de travailleur ayant famille à charge, du fait qu’il n’est pas avéré à suffisance de droit que les paiements ont été effectués régulièrement – l’attestation de la fille ne suffisant pas sur le plan de la preuve.

Enfin, sur la sanction, la cour relève que le dossier a été transmis par l’ONEm à l’Auditeur du travail de Louvain aux fins de poursuites pénales éventuelles et que, dans le cadre de celles-ci, une transaction a été acceptée et une amende de 200 € a été payée. Il faut dès lors examiner si une autre sanction peut être prise dans le cadre de cette procédure-ci.

La cour renvoie à l’arrêt ZOLOTHOUKINE de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (C.E.D.H., 10 février 2009, Affaire ZOLOTHOUKINE c/ RUSSIE), concernant le principe non bis in idem. Ce principe est applicable aux sanctions administratives en matière de chômage, les sanctions ayant un caractère pénal au sens de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La cour renvoie ici la jurisprudence de la Cour de cassation également (Cass., 14 mars 2005, J.T.T., 2005, p. 224). Il s’agit des mêmes infractions et la cour cite également un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 11 février 2003 (C-187/01 et C-385/01, Aff. GÖZÜTOK et BRÜGGE – affaires jointes), où la Cour de Justice a jugé que, si l’action publique est définitivement éteinte, la personne concernée doit être considérée comme ayant été « définitivement jugée » pour les faits qui lui sont reprochés (considérant 30) et que le fait qu’aucune juridiction n’intervient dans le cadre d’une telle procédure et que la décision prise à l’issue de celle-ci ne prend pas la forme d’un jugement n’est pas de nature à infirmer cette interprétation (considérant 31).

La cour va dès lors appliquer cette jurisprudence et relever qu’en vertu du principe non bis in idem, l’intéressé a subi sa « peine ». Elle accueille l’appel sur ce point.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle très judicieusement les limites de l’obligation alimentaire, dans le cadre de la réglementation chômage. Il rappelle également l’évolution de la règle non bis in idem, et ce à la lumière de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de la Cour de Justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation.


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