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Personnes handicapées : revision médicale planifiée – date de prise de cours des allocations en cas d’aggravation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 février 2013, R.G. 2011/AB/295

Mis en ligne le lundi 8 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 4 février 2013, R.G. n° 2011/AB/295

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 4 février 2013, la Cour du travail de Bruxelles écarte pour inconstitutionnalité l’article 23, § 2, alinéa 5 de l’arrêté royal du 22 mai 2003, qui fixe la date de prise d’effet de la décision d’office au premier jour du mois qui suit la notification, et ce dans le cas d’une aggravation de la situation médicale de la personne handicapée.

Les faits

A l’âge de 20 ans, Monsieur B. sollicite pour la première fois les allocations pour personnes handicapées. Une réduction d’autonomie est admise à raison de 13 points et une allocation d’intégration de catégorie 3 est dès lors allouée. Dans le cadre d’une revision médicale, la réduction d’autonomie est fixée par le médecin traitant à 16 points. L’Etat belge considère pour sa part qu’elle est de 11 points.

La contestation est dès lors portée devant le tribunal du travail et dans le même temps l’intéressé introduit une nouvelle demande d’allocations, dans le cadre de laquelle son médecin traitant fixe la réduction d’autonomie à 15 points. Le SPF notifie alors une nouvelle décision ramenant l’allocation d’intégration à la 2e catégorie, sur la base des 11 points retenus. Le tribunal du travail est également saisi.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 17 mars 2010, le tribunal fixe la réduction d’autonomie à 15 points et condamne dès lors le SPF au paiement d’une allocation d’intégration de catégorie 4. Cette décision n’est pas frappée d’appel.

L’Appel

La cour est saisie d’un appel du recours introduit contre l’attestation générale. Dans le cadre de cette procédure, le tribunal du travail a considéré que l’Etat belge a commis une faute et, celle-ci ayant entraîné un préjudice pour l’intéressé, l’a condamné au paiement d’une somme de l’ordre de 2.200€.

Le tribunal a en effet considéré que l’arrêté royal traite de la même manière des personnes se trouvant dans des situations différentes : d’une part celles pour lesquelles la revision médicale planifiée aboutit à une majoration de leur allocation et d’autre part celles pour qui ceci entraîne une diminution. Pour le tribunal, il n’y a pas de justification raisonnable à ce traitement identique.

Position de la cour du travail

La cour constate que le SPF admet la catégorie 4 à partir du 1er mars 2009 et que le litige est circonscrit à une période antérieure, étant celle visée dans l’attestation générale et débutant le 1er septembre 2007.

Elle reprend la réglementation en la matière, étant la procédure à suivre en cas de revision. C’est l’article 23 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées qui est le siège de la question. Il prévoit notamment la date à laquelle la décision de revision d’office prendra effet. La cour constate que l’article 23, § 2, alinéa 5, qui dispose que la nouvelle décision prise dans le cadre de la revision médicale planifiée produit ses effets le premier jour du mois qui suit la date de la notification, ne fait pas de distinction selon que la revision s’opère en faveur ou en défaveur de la personne handicapée, c’est-à-dire en cas d’aggravation ou d’amélioration de sa situation médicale.

La partie demanderesse (qui agit par son administrateur provisoire) fait valoir que cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle rappelle également l’article 159 de celle-ci, qui confère au juge le pouvoir et le devoir de vérifier la conformité des dispositions de l’arrêté royal aux normes qui lui sont supérieures et notamment à la Constitution elle-même. Le contrôle est à la fois de légalité externe et de légalité interne des dispositions de l’arrêté royal. Elle rappelle également l’arrêt de la Cour de cassation (Cass., 4 décembre 2006, S.06.0066.F), selon lequel le contrôle judiciaire n’est pas limité aux irrégularités manifestes.

La cour reprend la conclusion du premier juge, sur le traitement identique réservé à des personnes se trouvant dans des situations différentes. Elle relève que, pour ces deux catégories de personnes, la revision médicale va produire ses effets le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la décision est prise, disposition favorable aux personnes qui ont vu leur allocation diminuée puisqu’elles ne subissent pas de réduction rétroactive. Par contre, elle est défavorable aux personnes du second groupe puisque l’augmentation des allocations ne sera enregistrée qu’après que l’administration aura pris une décision en ce sens. Elle rappelle qu’en l’espèce la décision date du 10 février 2009 et que l’application de l’arrêté royal aboutirait à l’octroi de l’allocation majorée à partir du 1er mars 2009 alors que l’aggravation de la situation médicale est reconnue dix-huit mois auparavant.

L’Etat belge faisant valoir que la disposition en cause est en réalité favorable à la personne handicapée dans la majorité des cas (la revision médicale aboutissant le plus souvent à une réduction des allocations), la cour considère que ceci ne justifie pas pour autant de traiter de la même manière les personnes dont la situation s’est aggravée.

Par ailleurs, la possibilité pour la personne en cause d’introduire une nouvelle demande d’allocations et qui permettrait de ne pas appliquer la disposition en cause (puisque l’octroi prendrait effet le premier jour suivant la date de la nouvelle demande) ne permet pas, pour la cour, de justifier le mécanisme prévu par l’article 23, § 2, alinéa 5. La cour conclut dès lors à l’absence de justification raisonnable de ce traitement identique de personnes se trouvant dans des situations différentes. La disposition est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La cour en vient alors aux conséquences de l’inconstitutionnalité, puisque l’article 159 de la Constitution empêche l’application en l’espèce de la disposition litigieuse vu son caractère discriminatoire. Elle pose dès lors la question de savoir sur quelle base fixer la date à laquelle l’intéressé a droit à l’allocation revue.

La cour reprend ici l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2011 (Cass., 10 octobre 2011, R.G. n° S.10.001.142.F), selon lequel si le juge constate l’illégalité ou de l’inconstitutionnalité d’une disposition, il ne peut en faire application même lorsque la discrimination relevée résulte d’une lacune extrinsèque à celle-ci. Il ne peut, pour la cour du travail, dès lors être fait application de la disposition en cause mais l’existence de la lacune ne dispense pas le juge de trancher le litige dont il est saisi en mettant fin aux conséquences de l’inconstitutionnalité lorsque le constat est posé de manière précise et complète. C’est l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 11 janvier 2012 (C. const., 11 janvier 2012, arrêt 1/2012 et obs. P. MARTENS, « Le juge légiférant », JLMB, 2012, p. 557).

La cour constate dès lors qu’il lui appartient de déterminer la date en se fondant dans la mesure du possible sur l’ensemble de la réglementation, l’article 23, § 2, alinéa 5 excepté.

Elle examine dès lors les articles 14, alinéa 1er et 23, § 1, 5° de l’arrêté royal. La première de ces deux dispositions prévoit que le droit à l’allocation prend cours le premier jour du mois qui suit celui où le demandeur remplit les conditions fixées par la loi et au plus tôt le premier jour du mois qui suit la date d’introduction de la demande. La cour constate que la revision médicale planifiée opère d’office et ne nécessite pas de demande.

L’article 23, § 1er, 5° peut, cependant, permettre de combler la lacune, puisqu’il dispose qu’il est procédé d’office à une revision du droit à l’allocation à la date fixée par une décision antérieure lorsque celle-ci a été prise sur la base d’éléments à caractère provisoire ou évolutif. C’est cette date que la cour va retenir, dans la mesure où aucune autre disposition de l’arrêté royal ne précise la date de prise de cours de la décision de revision en cas de revision médicale planifiée aboutissant à une majoration des allocations. Ayant admis cette solution, elle constate qu’il n’y a pas lieu d’examiner une éventuelle responsabilité de l’Etat belge pour faute, l’intéressé étant rétabli dans ses droits, vu la date fixée par l’arrêt.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles statue dans une très épineuse question. La décision rendue règle très judicieusement la question de l’inconstitutionnalité de la disposition visée et comble la lacune du texte, permettant ainsi d’aboutir à une solution logique, qui ne fait pas dépendre le point de départ de l’allocation majorée d’éléments d’ordre administratif ou procédural.


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