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Statut d’ouvrier ou d’employé : contrôle du juge en cas de qualification conventionnelle

Mis en ligne le lundi 22 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 18 avril 2013, R.G. n° 2011/AB/615

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 avril 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en cas de désignation (contractuelle ou par convention collective) d’une fonction comme relevant du statut d’employé, la convention va primer pour ce qui concerne les avantages à appliquer au travailleur. Le juge doit néanmoins vérifier en quoi consistent concrètement les fonctions exercées.

Les faits

En juin 2006, un travailleur est engagé pour des fonctions de magasinier-livreur dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il s’agit d’un contrat pour employé avec une clause d’essai de six mois.

En octobre 2007, un nouveau contrat de travail pour employé visant une fonction de magasinier est signé et une période d’essai de six mois est encore prévue. L’intéressé est rapidement licencié, avec préavis de sept jours, au motif que sa période d’essai ne serait pas concluante. Le motif du chômage sur le document C4 est une suppression de poste. Suite à l’intervention de l’organisation syndicale, le C4 est rectifié, stipulant un changement de statut dans la société, étant le passage d’ouvrier à employé.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, réclamant les avantages contractuels liés au statut d’employé, à savoir une prime de fin d’année et les pécules de vacances pour la durée de l’occupation et ce en sus d’une indemnité de rupture complémentaire à celle correspondant au sept jours alloués.

Position du tribunal du travail

Le tribunal ordonne la comparution des parties dans un premier jugement et va, ensuite, considérer qu’il y a lieu de faire droit à l’intégralité des demandes du travailleur, les explications données par le gérant de la société relatives à une modification des fonctions ne pouvant être suivies.

Position des parties en appel

Pour la société, s’il y a eu une qualification conventionnelle du contrat comme contrat de travail d’employé, en juin 2006, nonobstant les fonctions de magasinier-livreur, il faut rechercher la nature des fonctions réellement exercées et celles-ci étaient d’ordre principalement manuelles. En conséquence, faisant également valoir qu’il y aurait eu rupture du contrat de travail d’ouvrier d’un commun accord, le second contrat, contrat d’employé, est valable et justifiait une période d’essai de six mois, à laquelle il pouvait être mis fin moyennant indemnité de sept jours.

Le travailleur considère que les fonctions visées, étant de magasinier-livreur dans un premier temps et de magasinier ensuite, sont des fonctions d’employé et il précise qu’il avait d’ailleurs avant son engagement suivi un écolage pour celles-ci dans un des magasins de la société. Outre qu’il conteste la rupture d’un commun accord du premier contrat - rupture non établie -, il expose avoir accepté de signer un second contrat parce que son employeur lui avait fait valoir le changement de siège social de la société.

Position de la Cour du travail

La cour rappelle très clairement les principes dégagées des articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail, étant qu’il appartient au juge de déterminer la nature réelle des fonctions exercées, la preuve pouvant être apportée par présomptions. Ce contrôle s’exerce nonobstant la qualification donnée au contrat par les parties. Si le statut d’employé a été octroyé, que ce soit par convention collective ou par contrat, la convention va primer pour ce qui concerne les avantages auxquels peut prétendre le travailleur. S’il s’avère que le travailleur effectue un travail principalement d’ordre manuel, il se verra cependant accorder le statut d’ouvrier.

La société exposant que la qualification contractuelle découle d’une erreur, la cour analyse les éléments qu’elle avance à cet égard. Elle signale cependant ne pas pouvoir requalifier un contrat d’employé en contrat d’ouvrier sur la base des affirmations unilatérales de l’employeur, qui en l’espèce ne sont nullement établies. Si le statut d’ouvrier a été repris sur les documents sociaux, ceux-ci ont été établis par l’appelante et si la déclaration a été faite à l’ONSS conformément à ce statut, ceci importe peu : le contrôle judiciaire doit porter sur la nature du travail effectué et à défaut pour la société de prouver le caractère principalement manuel des tâches effectuées, la qualification conventionnelle est retenue.

Cette conclusion va avoir une incidence sur la clause d’essai qui figure dans le second contrat signé par les parties. La cour relève qu’en vertu de l’article 67, § 1er de la loi du 3 juillet 1978, cette clause doit à peine de nullité être constatée par écrit pour chaque employé individuellement au plus tard au moment de l’entrée en service et que la condition litigieuse ici est celle de l’entrée en service du travailleur. Imposer une clause d’essai en cours de contrat n’est pas autorisé mais, en cas de modification de fonction, ceci peut être le cas et la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 1993 sur la question (Cass., 6 décembre 1993, S.93.0092.N) : la clause d’essai peut se justifier afin de permettre à l’employeur de vérifier si le travailleur a les capacités requises pour les nouvelles fonctions qu’il va exercer.

Or, en l’espèce, cette condition d’entrée en service n’est pas remplie, puisqu’il a été considéré que les fonctions étaient des fonctions d’employé et que la société n’établit pas une modification de celles-ci en cours de contrat.

Il y a dès lors nullité de la clause d’essai insérée dans le second contrat de travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail rappelle le principe dégagé dans un arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 1980, en la matière, étant que la nature des fonctions exercées par un travailleur est déterminée par celles qu’il exerce réellement et non par la dénomination qui leur est donnée. La Cour suprême avait précisé dans cette décision que la nature des fonctions peut être établie par présomptions, étant les présomptions de fait sur lesquelles, repose la dénomination donnée par les parties aux fonctions.


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