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Aide sociale et condition de disposition au travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2013, R.G. 2011/AB/525

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2013


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2013, R.G. n° 2011/AB/525

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 mars 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’on peut attendre d’une personne qui fait appel à l’aide sociale – comme de toute personne qui demande le revenu d’intégration – qu’elle soit disposée au travail.

Les faits

Un étudiant, inscrit en baccalauréat (kinésithérapie) après ses études secondaires échoue dans sa première année. Il en va de même l’année suivante, où il redouble celle-ci. A la fin de cette seconde année académique, il demande au CPAS une aide sociale équivalente au revenu d’intégration au taux cohabitant. Celle-ci lui est accordée, un plan de suivi d’études étant arrêté. A la rentrée académique suivante, l’intéressé s’inscrit dans une autre filière (éducation physique). Il est convoqué par le CPAS mais ne se présente pas. Une décision est dès lors prise de ne plus soutenir financièrement l’intéressé. Le paiement de l’aide sociale est arrêté à partir du 1er novembre.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui va ordonner le rétablissement de l’intéressé dans son droit à l’aide sociale.

Position du tribunal du travail

Pour le tribunal, le CPAS a excédé ses compétences. Il a en effet décidé de ne pas autoriser l’intéressé à s’inscrire en premier bac d‘éducation physique et le tribunal rappelle que le choix pour un individu de mener ou non des études relève de son droit au respect de la vie privée et de son droit à l’enseignement.

Pour le tribunal, il y a également non-respect des formes prescrites par l’article 62bis de la loi du 8 juillet 1976. Cette disposition prévoit en effet que la décision du Conseil de l’action sociale (ou de l’un des organes auquel il aurait délégué des attributions) est communiquée par lettre recommandée à la poste ou contre accusé de réception, et ce en respectant des modalités qui peuvent être déterminées par le Roi. La décision doit être motivée et contenir diverses mentions (possibilité de former un recours, délais, etc.).

Le premier juge en déduit que, à défaut, il s’agit d’une voie de fait administrative et qu’il peut dès lors statuer à la place du Centre et rétablir l’intéressé dans son droit à l’aide qui lui avait été reconnue précédemment.

Le CPAS interjette appel.

Position des parties en appel

Pour le CPAS, le tribunal n’a pas examiné si l’intéressé réunissait les conditions pour bénéficier de l’aide sociale. Tel n’était pas le cas, les études reprises ne pouvant constituer un motif d’équité permettant d’être dispensé de la condition de disposition au travail.

Pour l’intéressé, il y a excès de pouvoir, le CPAS lui interdisant de poursuivre ses études. Par ailleurs, il y a nullité de la décision vu le non-respect d’une formalité substantielle (absence d’audition et d’information sur son droit à être entendu), argument puisé dans le mécanisme mis en place par la loi sur le droit à l’intégration sociale.

Décision de la cour du travail

La cour entame son examen en soulignant que l’intéressé ne remplit pas les conditions pour bénéficier du revenu d’intégration sociale et que la loi du 26 mai 2002 ne lui est pas applicable, et ce vu qu’il ne fait pas partie d’une des catégories de bénéficiaires visés par celle-ci. L’obligation d’audition prévue à l’article 20 de cette loi n’a pas son pendant dans la loi du 8 juillet 1976. Par ailleurs, s’il fallait se référer au principe de bonne administration, la sanction en serait non pas le droit automatique à l’aide sociale mais celui de voir réexaminer son droit par les juridictions, après constat de nullité.

Il faut dès lors examiner si les études entreprises permettaient de constituer un motif d’équité. Les éléments du dossier indiquent que des conditions avaient été mises et qu’il avait notamment été demandé à l’intéressé de prouver sa disposition au travail. La cour recentre dès lors l’objet du débat, qui porte sur la reconnaissance du droit subjectif à l’aide sociale. Elle rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2005 (Cass., 27 juin 2005, S.04.0187.N), qui a rappelé que, en ce qui concerne les décisions des CPAS, le juge exerce un contrôle de pleine juridiction. Il peut ainsi apprécier les faits et statuer sur le droit demandé. Le constat de nullité d’une décision pour non-respect de motivation formelle est sans incidence, vu l’étendue du contrôle judiciaire. Le droit ne peut être reconnu que s’il est constaté que le demandeur satisfait à toutes les conditions requises.

Pour la cour du travail, le droit à l’aide sociale, qui doit permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, doit s’interpréter dans le sens qu’est visée la personne qui ne dispose pas des moyens pour mener une vie conforme à celle-ci. En conséquence, si une personne fait appel à l’aide sociale, tout comme pour ce qui est du revenu d’intégration, elle doit être disposée au travail.

Si aucune disposition expresse ne figure à cet égard dans la loi du 8 juillet 1976, la cour rappelle qu’il est de coutume tant au niveau des CPAS qu’en jurisprudence d’appliquer les dispositions des articles 3 et 11 de la loi du 26 mai 2002 par analogie. Dès lors, des raisons de santé ou d’équité peuvent être invoquées et, parmi ces dernières, la reprise ou la continuation d’études de plein exercice peut se justifier, si elle permet d’augmenter les possibilités d’insertion professionnelle. Ceci suppose, par ailleurs, que l’étudiant établisse son aptitude à ses études.

La cour examine les raisons pour lesquelles l’intéressé persiste dans ce projet et constate qu’aucune preuve n’est apportée de ce qu’il permettrait une meilleure intégration professionnelle. Elle suit dès lors la position du CPAS.

Intérêt de la décision

Le raisonnement de la cour du travail, dans cet arrêt sur la condition de disposition au travail dans le cadre d’une demande d’aide sociale, est de constater qu’existe dans la loi du 8 juillet 1976 un fondement à cette condition. Pour la cour, l’article 1er de la loi, selon lequel toute personne a droit à l’aide sociale - celle-ci ayant pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine - doit s’interpréter dans le sens où est visée la personne qui ne dispose pas de moyens lui permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine. Il y a dès lors lieu d’examiner si elle en dispose ou non, c’est-à-dire si elle pourrait en disposer autrement, d’où l’examen de sa disposition à travailler.


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