Terralaboris asbl

Droit au revenu d’intégration sociale (ou à l’aide sociale) pour étranger après la durée couverte par une prise en charge

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 mai 2013, R.G. 2011/AB/1.086

Mis en ligne le mardi 6 août 2013


Cour du travail de Bruxelles, 29 mai 2013, R.G. n° 2011/AB/1.086

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 29 mai 2013, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’est incompatible avec l’article 23 de la Constitution le fait de refuser le droit au revenu d’intégration sociale (ou à l’aide sociale) après la fin de la période couverte par une prise en charge.

Les faits

Une citoyenne de nationalité congolaise arrive en Belgique pour rejoindre sa fille en mars 2006. Cette dernière signe un engagement de prise en charge pour deux ans. A l’issue de cette période, la mère est inscrite au registre de la population et dispose d’une carte d’identité d’étranger. Elle introduit, trois ans après, une demande de remboursement de frais médicaux auprès du C.P.A.S., vu l’état de surendettement du ménage de sa fille. Elle forme un peu plus tard une demande de revenu d’intégration. Toutes deux sont rejetées. Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui, par jugement du 24 octobre 2011, fait droit aux deux demandes.

Suite à l’appel du C.P.A.S., la cour du travail est saisie du litige.

La position des parties devant la cour

Pour le C.P.A.S., il y a lieu à réformation du jugement, et ce eu égard à l’esprit de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Conformément à celui-ci, l’étranger qui bénéficie du droit de séjour dans le cadre d’un regroupement familial ne doit jamais être une charge pour les pouvoirs publics belges. Il en découle qu’il doit ainsi être exclu de manière illimitée du bénéfice de l’aide sociale ou du revenu d’intégration.

Quant à l’intéressée, elle sollicite la confirmation du jugement, qui a fait droit à l’ensemble de ses demandes.

La décision de la cour

La cour considère, en premier lieu, que la position du C.P.A.S. est incompatible avec l’article 23 de la Constitution, qui garantit à chacun le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

En ce qui concerne les étrangers qui ne possèdent pas la nationalité d’un Etat membre des communautés européennes, étant ceux visés par la loi du 15 décembre 1980, ils peuvent être refoulés à la frontière s’ils ne disposent pas de moyens de subsistance suffisants. La loi organise dès lors les modalités de respect de cette obligation, via le mécanisme de l’engagement de prise en charge. Celui-ci n’a qu’une durée de deux ans et, au-delà de ce délai, il peut être satisfait à la condition des moyens de subsistance par le biais de l’aide sociale ou du revenu d’intégration.

La cour relève encore que les faits à examiner sont antérieurs à la modification légale insérée par la loi du 8 juillet 2011 (entrée en vigueur le 22 septembre 2011). En l’espèce, le regroupement familial est intervenu en mars 2006.

La cour va ensuite rencontrer une argumentation tirée de la solidarité familiale. Le C.P.A.S. considère en effet que celle-ci prime la solidarité collective.

La cour du travail rappelle que, dans le cadre de la loi du 26 mai 2002, la primauté de la solidarité familiale n’a pas le caractère absolu que lui donne le C.P.A.S. La cour croit en conséquence utile de rappeler l’ensemble des dispositions de ce texte à cet égard et, notamment, celle précisant que le renvoi vers les débiteurs d’aliments n’est qu’une faculté dont il doit être fait usage en fonction de la situation concrète. Elle reprend les travaux préparatoires de la loi (Projet de loi concernant le droit à l’intégration sociale, Ch., Rapport, 50-1603/004, p. 43), qui ont rejeté un amendement tendant à rendre obligatoire le renvoi vers les débiteurs d’aliments. L’existence de ceux-ci, ainsi que leur capacité contributive et les répercussions familiales d’un éventuel renvoi, ont été examinées en doctrine (H. MORMONT et J. MARTENS, « Le caractère résiduaire des régimes », Aide sociale – Intégration sociale. Le droit en pratique, La Charte, 2011, p. 355). Elle examine ensuite les motifs retenus pour la non-prise en compte des revenus des ascendants, élément également dégagé en doctrine (F. BOUQUELLE, P. LAMBILLON, K. STANGHERLIN, « L’absence de ressources et l’état de besoin », Aide sociale – Intégration sociale. Le droit pratique, La Charte, 2011, p. 260).

Examinant les circonstances de l’espèce, elle constate que le fait, pour la fille de l’intéressée, d’héberger sa mère implique qu’elle satisfait à ses obligations alimentaires et que, vu sa situation, il ne peut être exigé qu’elle fasse davantage.

Eu égard à l’examen de fait de la situation financière, ainsi que de celle d’une autre fille, la cour conclut que le renvoi aux débiteurs d’aliments ne se justifie pas. Enfin, s’agissant d’examiner s’il faut prendre en compte les revenus des cohabitants (non demandeurs de revenu d’intégration), la cour rappelle qu’en vertu de l’article 34, § 2 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 portant règlement général en matière de droit à l’intégration sociale, la partie des ressources de chacune des personnes (ascendants et/ou descendants majeurs du premier degré) cohabitantes qui dépasse le montant du revenu d’intégration peut être pris totalement ou partiellement en considération. Ceci n’est cependant pas une obligation et, pour la cour, le calcul du revenu d’intégration doit se faire sans réduction. Les revenus de la fille cohabitante sont jugés manifestement insuffisants pour envisager celle-ci.

Intérêt de la décision

L’affaire jugée concerne un regroupement familial régi par les dispositions de la loi du 15 décembre 1980 avant la loi du 25 avril 2007. Les conditions relatives aux moyens de subsistance suffisants et de la prise en charge sont restées inchangées, étant que la preuve des moyens de subsistance suffisants peut résulter d’une attestation de prise en charge signée par une personne physique disposant de ressources suffisantes, qui possède la nationalité belge ou est autorisée ou admise à séjourner en Belgique pour une durée illimitée. Cette attestation doit contenir l’engagement à l’égard de l’étranger de l’état et du C.P.A.S. compétent à prendre en charge, pendant un délai de deux ans, les soins de santé, de séjour et de rapatriement de l’étranger. Est prévue une responsabilité solidaire avec celui-ci pour ce qui est des frais de soins de santé, de séjour et de rapatriement.

L’on ne peut, avec la cour, que conclure à la limitation des effets de cette prise en charge à la durée pendant laquelle elle vaut et pour laquelle elle a été souscrite, à savoir un délai de deux ans. Conclure à l’impossibilité pour l’étranger de bénéficier de l’aide sociale ou du revenu d’intégration après ce laps de temps est incompatible avec l’article 23 de la Constitution.


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