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Indemnisation des ascendants en cas de décès d’un jeune travailleur qui est la principale source de revenus de ses parents

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 février 2007, R.G. 47.007

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 5 février 2007, R.G. 47007

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 5 février 2007, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé le mécanisme de la loi du 10 avril 1971 en ce qui concerne l’indemnisation des ascendants d’une victime d’un accident du travail mortel et, particulièrement, lorsque celle-ci décède avant l’âge de 25 ans.

Les faits

Un jeune travailleur décède à l’âge de 23 ans. Il vivait avec ses parents. Il était célibataire et n’avait pas d’enfants.

La question posée était de déterminer s’il pouvait être considéré comme étant la principale source de revenus des parents, auquel cas l’entreprise d’assurances devait payer la rente viagère à ceux-ci au-delà de l’âge de 25 ans. Par contre, dans la négative, le paiement de la rente s’arrêtait à cet âge, l’entreprise d’assurances devant verser au F.A.T. le capital correspondant à la rente, conformément à l’article 59quinquies de la loi du 10 avril 1971.

La procédure

La procédure fut initiée devant le tribunal du travail de Tournai, qui décida que la victime n’était pas la principale source de revenus de ses parents.

Suite à l’appel interjeté par ceux-ci, la Cour du travail de Mons réforma le jugement et aboutit à la conclusion diamétralement opposée.

Le Fonds des accidents du travail étant à la cause, il se pourvut en Cassation et la Cour suprême cassa l’arrêt de la Cour du travail de Mons par décision du 6 juin 2005.

L’affaire revint ainsi devant la Cour du travail de Bruxelles.

La position de la Cour

La Cour fait un rappel des dispositions de la loi du 10 avril 1971 et souligne essentiellement que le juge doit apprécier si la victime était la source principale de revenus en évaluant la part des revenus de celle-ci par rapport aux revenus globaux des parents au moment de l’accident, c’est-à-dire qu’il doit prendre en considération non la contribution effective de la victime au budget familial conçu comme les charges communes du ménage composé des parents et de la victime mais bien sa contribution effective dans les revenus des parents eux-mêmes (ce qui avait d’ailleurs été rappelé par l’arrêt de la Cour de cassation du 6 juin).

La Cour souligne également la difficulté sur le plan de la preuve, puisqu’elle va porter sur des éléments dont il n’est pas d’usage de se réserver des preuves écrites, étant la contribution aux charges du ménage entre cohabitants membres d’une même famille.

A cet égard, elle relève la position privilégiée du Fonds des accidents du travail, qui est informé de toutes les données relatives à l’accident (rémunération de base) vu sa qualité d’organisme chargé du contrôle de l’application de la loi. Le F.A.T. est directement intéressé à ce que la preuve soit constituée le plus complètement possible puisque, comme le relève la Cour, en cas d’échec des parents, il perçoit le capital de la rente. Il doit donc exercer ses pouvoirs de contrôle avec un soin tout particulier : utiliser les moyens d’investigation qui sont les siens, et ce tant au profit des parents que pour démontrer l’inexactitude éventuelle de leurs déclarations. Il doit également exprimer en temps utile des contestations précises et invoquer tous éléments connus.

La Cour va ensuite décortiquer les éléments chiffrés du dossier : rémunération nette du travailleur au moment de l’accident, ainsi que celle de l’année entière, revenus de remplacement, imposition, véhicule personnel, véhicule des parents, revenus de ces derniers et charges domestiques. Les parents estimant la participation de leur fils aux charges du ménage à 60% et ceux-ci produisant des éléments de nature à établir l’existence d’un prêt de l’ordre de 5.000 euros pour améliorer leur cadre de vie (travaux à effectuer à l’immeuble), la Cour retient que l’ensemble de cette situation tel qu’exposé est crédible et que l’on peut conclure que le fils mettait effectivement son épargne à la disposition du ménage qu’il formait avec ses parents, déposant de l’argent sur un compte d’épargne et l’utilisant au profit du ménage selon ses besoins. L’opération de prêt s’est produite peu de temps avant l’accident et doit, pour la Cour être prise en compte pour déterminer la contribution du fils aux revenus des parents.

Compte tenu de la voiture (seule voiture de la famille) et de l’épargne, les revenus ainsi consacrés aux charges du ménage au sens large excédaient donc largement les 60% déclarés par les parents.

La Cour relève encore que le fils était également une source de revenus pour ses parents par ses connaissances professionnelles et sa force de travail. Il avait, en effet, remplacé l’installation de chauffage, activité qu’il avait pu mener à bien grâce à sa qualification professionnelle d’ouvrier de la construction et il avait épargné aux parents des frais de main d’œuvre.

Il assurait ainsi leur entretien, leur « aliment ».

La Cour aboutit à la conclusion que la contribution effective du fils dans les revenus des parents était supérieure aux revenus de ceux-ci et qu’il était donc la source principale de revenus.

Elle conclut sa décision en rappelant le rapport au Roi avant l’arrêté royal n° 285, qui a modifié la loi en adoptant l’article 20bis en cause et relève que l’intention de celui-ci était précisément de couvrir un cas comme celui de l’espèce : celui d’un jeune travailleur adulte et célibataire vivant chez ses parents et étant leur soutien.

Intérêt de la décision

L’arrêt de le Cour du travail devait apprécier non pas la contribution effective de la victime au budget familial (soit le ménage composé des trois personnes) mais bien sa contribution effective dans le revenu des parents eux-mêmes (deux personnes). C’est la spécificité de la définition de la principale source de revenus (en néerlandais « belangrijkste kostwinner »). Des juridictions de fond ont tendance à suivre la première voie et à appréhender l’apport de la victime dans le ménage compris dans son ensemble, alors que la Cour de cassation a rappelé, comme dans ce cas d’espèce, qu’il faut évaluer celle-ci dans les revenus des parents seuls.

La Cour procède ici à un minutieux examen des données de fait et aboutit à la conclusion qu’il y a effectivement principale source de revenus au sens où l’entend le législateur. Un intérêt supplémentaire de la décision est, au-delà de l’analyse des revenus et charges de chacun, de prendre en compte la partie de l’apport intervenue du fait des connaissances professionnelles et de la force de travail de l’intéressé.

Enfin, l’on notera un rappel des missions du Fonds des accidents du travail dans ce type d’accident mortel.


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