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Quand naît le droit à l’aide sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2013, R.G. 2011/AB/1.109

Mis en ligne le mercredi 4 septembre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2013, R.G. n° 2011/AB/1.109

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 mars 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le juge doit examiner le droit à l’aide sociale au moment où la décision contestée a été prise et accorder celui-ci de la même manière que le CPAS aurait dû le faire.

Les faits

Un demandeur d’asile vit, après le rejet de sa demande, plusieurs années sans titre de séjour. Sa situation se régularise cependant en mars 2010. Il sollicite quelques mois plus tard une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale et celle-ci est refusée par le CPAS. Le motif est un manquement au devoir de collaboration (non production d’extraits de compte pour une période de trois mois avant la demande). Le CPAS en conclut qu’il y a, en conséquence, impossibilité de vérifier si les conditions légales pour l’octroi de l’aide sociale sont réunies. L’intéressé n’introduit pas de recours contre cette décision mais communique les renseignements demandés deux semaines plus tard. Le CPAS ne réagit pas suite cette communication de renseignements.

Plusieurs mois plus tard, ayant consulté un avocat, l’intéressé met le CPAS en demeure de prendre une nouvelle décision. Cette demande reste lettre morte et un recours est alors introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Vu l’absence de décision suite à la demande introduite, cette situation est en effet assimilée à une décision négative et l’intéressée en demande l’annulation.

Dans le cours de la procédure, l’intéressé fait une nouvelle demande et en fin de compte une aide sociale financière équivalente au revenu d’intégration sociale au taux isolé lui est accordée à dater de celle-ci.

Dans le cadre de la procédure judiciaire, le tribunal du travail condamne le CPAS au paiement de l’aide sociale depuis la date où l’intéressé a déposé les extraits de compte que le CPAS avait demandés. La période se termine la veille de la dernière demande introduite et à laquelle il a été répondu positivement.

Appel est interjeté par le CPAS.

Position des parties en appel

Le CPAS considère que le dépôt de pièces ne peut être assimilé à une nouvelle demande et qu’il n’avait dès lors pas à statuer. En conséquence, un recours contre une absence de décision ne pouvait être introduit. S’il pouvait l’être, le CPAS considère par ailleurs qu’il serait tardif puisqu’il aurait dû statuer dans le mois et que le délai de recours expirait lui-même trois mois après la fin de ce délai. Sur la question de l’état de besoin, le CPAS fait grief à l’intéressé d’être resté inactif pendant plusieurs mois, vu le délai mis à déposer ses pièces. Enfin, il fait valoir que si une aide doit être accordée, elle doit être limitée à des dettes dûment établies.

Pour l’intéressé, par contre, le jugement doit être confirmé, les éléments déposés témoignant de la réalité de ses difficultés financières. Il renvoie également à la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne les arriérés.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle que le droit en cause est celui à l’aide sociale et non au revenu d’intégration sociale, l’intéressé n’étant pas inscrit au registre de la population.

Sa situation est donc régie par la loi du 8 juillet 1976 sur les CPAS et non par celle du 26 mai 2002 sur le droit à l’intégration sociale. Pour la cour, il y a nouvelle demande ou demande de revision et, conformément à l’article 71, alinéa 2 de la loi, le CPAS aurait dû statuer dans le mois.

Quant au délai mis pour introduire le recours devant le tribunal, la cour rappelle le mécanisme de cette disposition étant que (i) un recours peut toujours être formé devant le tribunal du travail contre une décision en matière d’aide sociale, (ii) ce recours est également ouvert lorsque l’un des organes du Centre a laissé s’écouler sans prendre de décision un délai d’un mois à dater de la réception de la demande, (iii) le recours doit être introduit dans les trois mois soit de la notification de la décision soit de l’accusé de réception et (iv) en cas d’absence de décision dans le délai, le recours doit être introduit dans les trois mois de la constatation de cette absence de décision. Pour la cour, la constatation a été faite lorsque l’intéressé a consulté un avocat et a adressé une mise en demeure au CPAS. Le recours a dés lors été introduit en temps voulu.

L’état de besoin n’étant pas contesté, la cour réserve quelques développements à la question des arriérés, pour conclure que le fait que l’intéressé soit parvenu à rembourser la plupart de ses dettes (par l’exercice d’un emploi, rendu possible du fait de la régularisation du séjour) n’a pas pour effet de le priver du droit à l’aide sociale et renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le droit à l’aide sociale nait au moment où la personne se trouve en état d’indigence et qu’aucune disposition légale ne permet de l’exclure pour la période entre la date de la demande et celle du prononcé de la décision judiciaire (Cass., 17 décembre 2007, S.07.0017.F ).

Par ailleurs, si les conditions d’octroi sont remplies, le droit au paiement ne dépend pas de la date à laquelle l’intéressé a produit la preuve de celles-ci (Cass., 9 février 2009, S.08.0090.F). Les juridictions du travail doivent examiner si le droit existe au moment où la décision contestée a été prise et ils doivent accorder ce droit comme le CPAS aurait dû le faire, lorsque ceci lui a été demandé. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 20 juillet 2005 (C. trav. Mons, 20 juillet 2005, T.V.V., 2006, p. 178).

Elle confirme dès lors le jugement du tribunal du travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’arriérés d’aide sociale. Dans l’arrêt du 17 décembre 2007, la Cour suprême avait rappelé que toute personne a droit à l’aide sociale, en vertu de l’article 1er, alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976 et que le but de celle-ci est de mener une vie confirme à la dignité humaine. En conséquence, ce droit nait dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de vivre conformément à celle-ci. La cour y avait précisé qu’aucune disposition légale ne prévoit que l’aide sociale ne peut pas être rétroactive si une personne est dans les conditions pour en bénéficier pendant la période entre la demande et la décision judiciaire faisant droit à celle-ci.

Dans son arrêt du 9 février 2009, la Cour de cassation a confirmé qu’aucune disposition légale ne prévoit que des arriérés ne peuvent être attribués pour la période entre la demande et la décision judiciaire. Dans l’arrêt attaqué, le juge du fond avait admis que l’intéressé était dans un état de santé ne lui permettant pas de vivre une vie conforme à la dignité humaine (sans-abri) mais que les arriérés ne devaient pas être payés au motif que rien ne permettait de constater que l’aide accordée à partir de la décision judiciaire ne couvrait pas l’ensemble de ses besoins.


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