Terralaboris asbl

Travail non déclaré et inviolabilité du domicile

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 juin 2013, R.G. 2011/AB/523

Mis en ligne le jeudi 24 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 27 juin 2013, R.G. n° 2011/AB/523

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 27 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de preuve irrégulièrement réunie et les conséquences qui en découlent sur des constatations effectuées lors d’une visite domiciliaire.

Les faits

Deux inspecteurs de police se rendent au domicile d’un particulier suite à une dénonciation anonyme. Il s’agit d’une villa et, sans sonner à la porte d’entrée, ils la contournent et se rendent dans le jardin arrière où ils constatent la présence de deux personnes de nationalité polonaise, attablées. Le propriétaire déclare que celles-ci effectuent des travaux de tapissage. Les ressortissants étrangers sont aussitôt expulsés sans être entendus.

Un Pro Justitia est dressé, ensuite, par l’inspection sociale. Sont visées la non immatriculation à l’ONSS et l’absence de couverture en matière d’accident du travail.

Le dossier étant classé sans suite par l’auditorat du travail eu égard à l’irrégularité de l’intervention de la police locale, l’ONSS lance néanmoins citation et le tribunal du travail fait droit à la demande.

Position des parties devant la cour

L’intimé soulève l’irrégularité des éléments de preuve recueillis, eu égard à la violation de domicile. Il relève que les inspecteurs ont pénétré dans son domicile sans son autorisation et sans mandat. Cette irrégularité vicie l’information répressive et également ses propres déclarations. À titre subsidiaire il fait valoir l’absence de lien de subordination entre les travailleurs et lui-même.

Quant à l’ONSS, il fait valoir au contraire que c’est l’intéressé qui a invité les inspecteurs à entrer dans son domicile et que, à supposer qu’il y ait irrégularité, celle-ci serait « minime » eu égard aux faits. Pour l’Office, lorsque la preuve n’a pas été régulièrement collectée, l’irrégularité n’entraîne pas ipso facto son écartement ainsi que celui de la procédure subséquente. Subsidiairement il conclut à l’existence du lien de subordination.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 (Cass. 10 mars 2008, S.2007.73.N). Cet arrêt autorise le juge à examiner (sauf lorsque la loi prévoit expressément le contraire) l’admissibilité d’une preuve irrégulièrement recueillie à la lumière des articles 6 de la C.E.D.H. et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en tenant compte de tous les éléments de la cause, en ce compris la manière dont la preuve a été recueillie et les circonstances dans lesquelles l’irrégularité a été commise. La preuve irrégulièrement recueillie ne peut être écartée, sauf en cas de violation d’une formalité prescrite à peine de nullité, que si son obtention est entachée d’un vice préjudiciable à sa crédibilité ou portant atteinte au droit à un procès équitable. L’arrêt poursuit en énonçant les éléments dont il peut être tenu compte : le caractère purement formel de l’irrégularité, sa conséquence sur le droit ou la liberté protégés par la règle violée, la circonstance que l’autorité en cause a commis ou non l’irrégularité intentionnellement, le fait que la gravité de l’infraction excède manifestement celle de l’irrégularité, l’objet sur lequel porte la preuve illicite (élément matériel de l’infraction) ou encore le fait que l’irrégularité qui a précédé ou contribué à établir l’infraction est hors de proportion avec la gravité de celle-ci.

La cour applique ces principes, rappelant les conditions de la légalité de la visite domiciliaire : il n’est pas nécessaire de forcer une entrée, de franchir une clôture ou d’ouvrir une porte pour qu’il y ait violation de domicile. Elle rappelle également qu’il n’y avait en l’espèce ni flagrant délit ni appel de l’intérieur, non plus que mandat de perquisition. Elle précise que, lorsque le propriétaire a donné son autorisation, la violation de domicile était déjà commise (le tour du jardin ayant été fait pour en observer l’intérieur). Rappelant la doctrine (H. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.-A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, La Charte, 2008, p. 511), la cour reprend le principe selon lequel l’existence du consentement du maître des lieux est requise au plus tard au moment de l’intrusion dans ceux-ci, et ce ni après, même immédiatement.

Rappelant encore que l’inviolabilité du domicile est un droit fondamental consacré à la fois par l’article 15 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il doit faire l’objet d’un niveau de protection particulièrement élevé, la cour retient encore le caractère intentionnel de la violation ainsi que le déséquilibre entre la gravité de celle-ci et celle de l’infraction recherchée. Il découle de cette constatation que les auditions ultérieures découlant totalement ou en partie de cette visite domiciliaire irrégulière le sont également.

La preuve du recours à la main d’œuvre étrangère non déclarée n’est dès lors pas considérée comme rapportée. La demande de cotisations est non fondée.

Par ailleurs, reprenant les éléments de fait la cour conclut surabondamment que le lien de subordination n’est pas établi, le propriétaire exposant les conditions dans lesquelles il a fait appel à ces travailleurs, conditions qui laissent a priori supposer l’existence d’un contrat d’entreprise. Cette qualification n’est pas renversée par l’ONSS.

L’intéressé ayant, également, fait une demande reconventionnelle en dommages et intérêts, la cour rejette celle-ci, au motif que l’ONSS n’a pas abusé de son droit d’agir en justice.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle encore et pour autant que de besoin les principes retenus par la Cour de cassation en ce qui concerne la régularité de la collecte de la preuve.

Rappelons encore que dans un arrêt du 7 février 2013 (commenté précédemment), la Cour du travail de Bruxelles autrement composée avait conclu à l’inapplicabilité de la jurisprudence Antigone et Manon aux relations de travail. Elle avait considéré qu’il en va de même pour la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en matière de sécurité sociale (soit l’arrêt repris ci-dessus), s’agissant d’infractions alors que le juge doit, dans le cadre de l’appréciation des relations de travail, apprécier les éléments conformément aux obligations contenues dans la loi du 3 juillet 1978 et dans les règles générales du Code civil.

Il s’impose dès lors de distinguer les situations infractionnelles des litiges purement contractuels.


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