Terralaboris asbl

Cotisations de sécurité sociale indues : point de départ de la prescription

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 juin 2013, R.G. 2012/AB/82

Mis en ligne le jeudi 24 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 19 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/82

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le point de départ de la prescription de l’action en répétition de cotisations indues. C’est le paiement de celle-ci, sauf si l’action en répétition résulte d’un fait ultérieur.

Faits et rétroactes

Un directeur d’ASBL a été en litige avec son employeur et, dans un arrêt du 4 mars 2004, la Cour du travail de Mons a prononcé la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de celui-ci, avec effet rétroactif au 26 mai 1998. Il a également été condamné à rembourser à l’ASBL l’intégralité de la rémunération perçue depuis cette date. Le montant en cause a fait l’objet d’une réouverture des débats.

Un pourvoi a été introduit en cassation et rejeté par celle-ci.

La Cour du travail de Mons a fixé, entretemps, le montant de la rémunération nette due, montant avoisinant les 130.000€. L’employeur écrit alors à l’ONSS par lettre recommandée du 8 octobre 2004, en vue d’interrompre la prescription de l’action en remboursement des cotisations relatives à celle-ci. Un avis rectificatif a été notifié par l’ONSS le 23 février 2006.

Une action a alors été introduite par l’employeur contre l’ONSS le 17 octobre 2006 tendant principalement au remboursement de l’intégralité des cotisations indûment payées.

La procédure

Par jugement du 18 juin 2008, le Tribunal du travail de Mons a accueilli la demande, considérant que celle-ci n’était pas prescrite.

Suite à l’appel de l’ONSS la Cour du travail de Mons a réformé le jugement, considérant qu’il y avait prescription.

L’ASBL a alors formé un pourvoi en cassation et la Cour suprême s’est prononcée en date du 10 octobre 2011 (Cass., 10 octobre 2011, S.10.0071.F).

L’arrêt rendu casse l’arrêt de la Cour du travail de Mons, rappelant que les cotisations de sécurité sociale sont calculées sur la base de la rémunération du travailleur et que celle-ci est déterminée à partir de la définition donnée à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération : il s’agit du salaire en espèces et des avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement. La Cour rappelle que cette notion comprend les salaires et avantages même lorsqu’ils ne constituent pas la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat.

Constatant en l’espèce que la rémunération avait continué à être payée alors que l’intéressé avait cessé de travailler et que l’employeur n’était dès lors pas redevable de celle-ci au seul motif qu’il n’y avait plus eu de prestations de travail à partir du 26 mai 1998 sans vérifier si malgré l’absence de travail le travailleur avait droit à la rémunération en raison de son engagement, la Cour de cassation a considéré que l’arrêt violait les dispositions visées, étant d’une part l’article 2, alinéa 1er, 1° et 3° de la loi du 12 avril 1965 et l’article 14, § 1er de la loi du 25 juin 1969. L’affaire a dès lors été renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles.

Décision de la cour du travail

La cour va se prononcer essentiellement sur la question de la prescription de la demande.

Elle rappelle que les actions intentées contre l’ONSS en répétition de cotisations indues se prescrivent par cinq ans à partir de la date du paiement (article 42, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969). Constatant que le premier acte interruptif a été la lettre recommandée de l’ASBL du 8 octobre 2004, la cour constate qu’à première vue l’ONSS a raison d’opposer la prescription pour ce qui de la répétition des cotisations payées plus de cinq ans avant cette date.

Se pose cependant la question de la fixation du point de départ de la prescription, étant de savoir si celui-ci intervient à la date du paiement (article 42 de la loi) ou à la date de l’arrêt qui a prononcé la résolution judiciaire du contrat, le droit à la répétition n’étant pour l’ASBL né qu’avec la décision judiciaire.

Elle se tourne dès lors vers jurisprudence de la la Cour de cassation. Celle-ci qui a rendu deux arrêts sur la question (Cass., 24 janvier 2000, S.98.0150.N et Cass., 30 octobre 2006, S.05.0034.N). Dans l’arrêt du 24 janvier 2000, la Cour de cassation a énoncé – principe appliqué dans le second arrêt également – que la règle suivant laquelle le délai de prescription prend cours à la date du paiement ne vaut que dans la mesure où les obligations du débiteur des cotisations n’ont subi aucune modification en raison d’un événement ultérieur qui a fait naître pour lui des droits pour la période pour laquelle le paiement a été effectué. La cour en conclut que la prescription de l’action en répétition prend cours au moment du paiement des cotisations indues sauf si l’action en répétition résulte d’un fait ultérieur. C’est une application du principe selon lequel la prescription (défense opposée à une action tardive) ne peut prendre cours avant que cette action ne soit née. Par ailleurs, l’action sanctionnant une obligation nait en règle au jour où l’obligation doit être exécutée et se prescrit dès lors à partir de ce moment.

La Cour va en conséquence considérer que les cotisations sont indues depuis la date du paiement et qu’il ne fallait pas attendre l’arrêt de la Cour du travail de Mons pour qu’elles constituent un indu.

Dans la mesure où l’intéressé n’a effectué aucune prestation de travail pendant ladite période, il ne pouvait y avoir de paiement de rémunération en contrepartie de ce travail. Il n’est par ailleurs pas constaté que l’intéressé avait droit à sa rémunération en l’absence de prestations en raison de son engagement. Pour la cour, l’arrêt qui a prononcé la résolution judiciaire n’a pas modifié les obligations de l’ASBL envers l’ONSS, puisque les cotisations étaient déjà indues avant celui-ci. L’arrêt n’a pas créé une situation juridique nouvelle et ne peut être qualifié d’événement ultérieur venant modifier les obligations du débiteur des cotisations.

La cour répond encore à d’autres points soulevés par l’ASBL dans ses conclusions eu égard aux courriers qui ont été échangés. Pour la cour ceux-ci sont sans incidence sur le point de départ de la prescription.

Intérêt de la décision

Cet arrêt met ainsi un terme à une saga judiciaire de plus de dix ans dans laquelle la Cour de cassation a été amenée à intervenir deux fois. C’est le second arrêt qui est important sur le plan des principes, étant l’arrêt rendu le 10 octobre 2011, puisqu’il a rappelé que la rémunération intervient en contrepartie du travail fourni mais qu’elle peut également être due s’il s’agit d’un droit à charge de l’employeur en raison de l’engagement du travailleur.

L’arrêt présente également un intérêt essentiel sur la question de la prescription, celle-ci commençant à courir à partir du paiement, sauf si une situation juridique nouvelle était née ultérieurement, qui viendrait modifier les obligations du débiteur des cotisations.


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