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Majorations sur les arriérés de cotisations de sécurité sociale : la Cour constitutionnelle interrogée à propos de l’indemnité forfaitaire (véhicules utilitaires)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 juillet 2013, R.G. 2011/AB/945

Mis en ligne le mardi 29 octobre 2013


Cour du travail de Bruxelles, 15 juillet 2013, R.G. n° 2011/AB/945

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 juillet 2013, la Cour du travail de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle sur la légalité de l’article 38, § 3quater, 10°, alinéa 4 de la loi du 29 juin 1981, vu l’absence de possibilité de modulation de la majoration, comparé à l’hypothèse où le débiteur ferait l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel.

Les faits

Une société est citée par l’ONSS devant les juridictions du travail en paiement d’arriérés de l’ordre de 180.000€. Ce montant couvre également les majorations. Cette rectification intervient au titre de cotisations de solidarité dues sur l’usage privé de véhicules de société. Les cotisations sont payées en cours de procédure. Quant aux majorations (10%), elles font l’objet d’une remise partielle par l’ONSS.

Un jugement intervient sur le fond en date du 6 avril 2011 condamnant la société à un montant avoisinant les 53.000€. Il concerne les majorations, l’indemnité forfaitaire correspondant au double des cotisations éludées et les intérêts légaux.

Appel est interjeté par la société.

Celle-ci demande à la cour du travail de faire application de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation et, en conséquence, de lui accorder la suspension du paiement des indemnités forfaitaires voire un sursis total ou partiel de cette peine. Elle plaide encore qu’il y a violation du principe de proportionnalité, autorisant la cour à réduire l’indemnité.

Quant à l’ONSS, il conteste que la sanction ait un caractère pénal, mais indemnitaire.

Décision de la cour du travail

La cour reprend le siège de la matière étant la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Celle-ci prévoit (article 38 § 3quater, 1°) une cotisation de solidarité pour l’employeur qui met à la disposition des travailleurs directement ou indirectement un véhicule qui est également destiné à un autre usage que l’usage professionnel. Le montant est fixé en fonction du taux de Co². Cette cotisation est due à l’ONSS dans les mêmes délais et conditions que les cotisations ordinaires. En cas de non paiement, des sanctions pénales sont prévues, étant des sanctions de niveau 2 (article 218, alinéa 1er, 6° du Code pénal social). Avant le Code pénal, ces sanctions gisaient dans la loi du 27 juin 1969 (article 35).

Une majoration de cette cotisation est due en cas d’absence de déclaration de véhicule et la sanction réside ici à l’article 38, § 3quater, 10°, alinéa 4 de la loi du 29 juin 1981 : l’indemnité forfaitaire est égale au double des cotisations éludées.

Se pose pour la cour la question de savoir si le juge peut réduire le montant de la majoration, la possibilité en étant laissée dans la loi à l’ONSS. La cour rappelle à cet égard que la loi du 14 avril 2011 portant des dispositions diverses a introduit un alinéa 6 dans la disposition pertinente de la loi du 29 juin 1981, afin de permettre un aménagement de la sanction dans certains cas (circonstances exceptionnelles ou motifs impérieux d’équité). Or, selon la Cour constitutionnelle (la cour du travail renvoyant à C. const. n° 37/2012 du 8 mars 2012), ce qui appartient au pouvoir d’appréciation de l’administration relève également du contrôle du juge (celui-ci n’ayant pas un contrôle d’opportunité cependant) et l’indemnité peut être réduite dans la mesure où elle serait contraire au principe de proportionnalité.

La cour constate que la question de la proportionnalité de la sanction n’est invoquée par la société qu’à titre subsidiaire et que, à titre principal, celle-ci demande d’appliquer la loi pénale. Des poursuites pouvant effectivement intervenir devant un juge pénal, la cour constate que, si l’auteur d’un même fait peut être renvoyé devant une juridiction correctionnelle ou une juridiction civile, l’on peut voir un parallélisme entre les mesures d’individualisation de la peine dans les deux régimes. Se pose, par conséquent, la question de savoir si la loi du 29 juin 1981 n’est pas discriminatoire, vu qu’elle ne permet pas de faire bénéficier l’employeur d’une suspension du prononcé ou d’un sursis, alors que ce serait le cas en cas de poursuites pénales. La cour renvoie encore à d’autres arrêts de la Cour constitutionnelle rendus dans l’hypothèse d’autres majorations en faveur de l’ONSS.

Elle considère dès lors devoir interroger la Cour sur l’absence de possibilités de suspension ou de sursis dans la loi du 29 juin 1981 sur la question à juger.

Elle rappelle encore l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 décembre 2010 (C. const., 16 décembre 2010, arrêt n° 148/2010) qui a considéré, dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 que les conditions auxquelles un sursis pouvait être ordonné sont de la compétence du législateur. Pour la cour du travail cette conclusion n’est pas nécessairement transposable en l’espèce.

Enfin, s’il y a discrimination (ce que la loi spéciale du 6 janvier 1989 ne lui permet pas de constater), elle ne peut anticiper sur les conséquences de celle-ci. Au cas, où par ailleurs, il y aurait lacune intrinsèque de la législation, la cour considère encore cet élément important pour statuer sur la demande de la société relative à l’application d’une sanction proportionnée.

La question est dès lors posée d’une possible discrimination entre la situation de l’employeur cité devant les juridictions civiles sur la base de l’article 38, § 3quater, 10°, alinéa 4 de la loi du 29 juin 1981 et de celui qui est poursuivi pour les mêmes faits devant le tribunal correctionnel, ce dernier pouvant bénéficier des dispositions de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation : ces catégories de personnes, qui se trouvent dans des situations comparables, ne sont-elles pas traitées de manière différente ?

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle, à propos de la question des majorations de la cotisation de solidarité, le débat sur l’individualisation des sanctions en sécurité sociale, eu égard à la décision qui pourrait être prise devant les juridictions correctionnelles, tenant compte des possibilités de la loi du 29 juin 1964, inexistantes dans la loi du 29 juin 1981.


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