Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 juillet 2013, R.G. 2012/AB/52
Mis en ligne le mardi 29 octobre 2013
Cour du travail de Bruxelles, 16 juillet 2013, R.G. n° 2012/AB/52
Terra Laboris asbl
Dans un arrêt du 16 juillet 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’à défaut pour le conseiller en prévention-médecin du travail de respecter les obligations figurant à l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs, il ne peut être conclu à l’inaptitude physique définitive au travail, susceptible d’entraîner la rupture du contrat pour force majeure.
Les faits
Un employé, gérant d’une équipe volante au sein d’une société de restauration en entreprise, est en incapacité de travail pendant deux ans et demi. Il est considéré apte à reprendre le travail sans port de charges lourdes par le conseiller en prévention-médecin du travail, ainsi que par son médecin traitant à partir de la mi-2007. Il est transféré dans une autre équipe peu après la reprise du travail. Il s’agit d’une fonction principalement administrative, ainsi que ceci résulte de documents déposés. Un an plus tard, son supérieur demande son transfert, eu égard aux difficultés pour lui de remplir ses fonctions. Il devient ainsi responsable du contrôle sur site de la qualité.
Victime alors d’un accident du travail, il retombe en incapacité de travail et, lors de la reprise, le médecin du travail conclut qu’il a les aptitudes suffisantes pour la fonction. L’employeur l’oriente cependant vers une prolongation de l’incapacité, au motif de l’absence de poste adapté. Un mois plus tard le médecin du travail remplit un nouveau formulaire d’évaluation de santé, considérant toujours qu’il y a aptitude suffisante mais formulant une recommandation relative à l’interdiction de port de charges lourdes.
De nouveaux développements interviennent alors sur le plan médical et en fin de compte le conseiller en prévention-médecin du travail (autre que ceux intervenus précédemment) délivre un formulaire d’évaluation de santé concluant à l’inaptitude définitive.
L’intéressé n’introduit pas de recours interne (arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs – article 64). Il demande cependant sa réintégration et, quelques jours plus tard, la société le licencie pour force majeure.
Une demande est dés lors introduite devant les juridictions du travail en indemnité compensatoire de préavis d’une part et en dommages et intérêts de l’autre.
Par jugement du 29 novembre 2012, le tribunal du travail fait droit à la demande (réduisant cependant les dommages et intérêts par rapport à ce qui était postulé).
Décision de la cour du travail
Suite à l’appel de la société, la cour se prononce dès lors sur les deux chefs de demande.
La question centrale du débat est la force majeure, dont la cour rappelle qu’elle figure à l’article 32, 5° de la loi du 3 juillet 1978 comme cause de rupture du contrat. Reprenant la jurisprudence récente (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2012, J.T.T., p. 137), elle rappelle le principe selon lequel l’incapacité permanente de travail qui empêche le travailleur de reprendre le travail convenu et ce définitivement constitue un cas de force majeure, de nature à entraîner la rupture du contrat de travail.
La question à résoudre par la cour est dès lors de savoir s’il y a en l’espèce incapacité définitive d’exécuter le travail convenu, question qui doit s’examiner en premier lieu eu égard à la définition de ce travail convenu et ensuite à l’existence ou non d’une incapacité de travail définitive.
Sur la première question, la cour va réexaminer l’historique de la fonction, dont il ne peut être contesté qu’elle de nature essentiellement administrative et de gestion, ce qui écarte d’ailleurs la question du port de charges lourdes ou de toute tâche sollicitant le dos. C’est dès lors eu égard à ces fonctions qu’il faut vérifier s’il y a ou non incapacité définitive de travail.
La cour reprend les éléments médicaux au dossier et retient les deux décisions d’aptitude prises par deux autres conseillers en prévention-médecin du travail auparavant et constate que le conseiller en prévention-médecin du travail qui a conclu à l’inaptitude n’a pas respecté l’article 55 de l’arrêté royal du 28 mai 2003, étant qu’il devait effectuer une analyse des risques et examiner sur place les mesures et les aménagements susceptibles de maintenir l’intéressé à son poste de travail ou à son activité compte tenu de ses possibilités.
La cour rappelle que le conseiller en prévention devait mettre ces mesures en œuvre et y impliquer l’intéressé et que celui-ci avait d’ailleurs la possibilité d’être assisté par un délégué du personnel ou un représentant syndical (à défaut). Pour la cour, le formulaire d’évaluation de santé ne peut être rempli que si ces mesures préalables ont été respectées. Elle ajoute que, dans la mesure où la société devait être nécessairement impliquée dans l’examen des mesures et des aménagements auxquels le conseiller en prévention était tenu de procéder sur les lieux du travail, elle ne pouvait ignorer l’irrégularité de la décision.
Quant à l’absence de recours introduit en application de l’article 64 de l’arrêté royal du 28 mai 2003, la cour constate que ceci ne prive pas l’intéressé de la possibilité de contester ultérieurement la conclusion d’inaptitude définitive devant le tribunal du travail. Les mesures figurant dans l’arrêté royal du 28 mai 2003 (délai de recours de sept jours) ne peuvent être de nature à priver l’intéressé des recours prévus par la loi sur les contrats de travail. Pour la cour, le recours organisé par l’arrêté royal est une faculté supplémentaire de recours ouverte au travailleur et cela ne peut être une limitation de ses droits. Elle renvoie ici à la doctrine de M. DAVAGLE,(L’incapacité de travail de droit commun constatée par le médecin traitant ou par le médecin du travail et les obligations qui en découlent pour l’employeur et le travailleur, Kluwer, 2013, p. 356). Il ne ressort, en conclusion, d’aucun élément qu’il y aurait inaptitude définitive, de telle sorte que l’indemnité compensatoire de préavis est due.
Sur le deuxième chef de demande, étant des dommages et intérêts, la cour constate que celui-ci est fondé sur le non respect par la société de ses obligations en matière de reclassement, prévues par le même arrêté royal. La cour déboute l’intéressé sur ce point, dans la mesure où il n’est question de reclassement que dans l’hypothèse où le travailleur est inapte à exercer sa fonction, or, en l’hypothèse il y avait aptitude. Elle relève encore qu’il n’y avait pas de recommandation faite par le médecin du travail à l’employeur en ce sens.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle le rôle prépondérant du conseiller en prévention-médecin du travail dans le cadre de la surveillance de la santé des travailleurs et particulièrement l’obligation pour lui de procéder à l’analyse des risques et d’examiner les mesures et aménagements susceptibles de maintenir le travailleur à son poste de travail ou à son activité, compte tenu de ses possibilités. L’arrêt rappelle également la procédure étant que le travailleur peut se faire assister par un délégué du personnel au Comité ou à défaut par un représentant syndical de son choix. Ces mesures préalables sont susceptibles, en cas de non respect de vicier la décision qui interviendra. En l’occurrence, l’arrêt rappelle encore que l’employeur est nécessairement au courant du non respect de la procédure, dès lors qu’il n’est pas interpellé en ce qui concerne les mesures et aménagements auxquels il faudrait procéder sur le lieu du travail.