Terralaboris asbl

Prisonniers mis au travail et existence d’un contrat de travail (non)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 août 2007, R.G. 47.364

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Bruxelles, 27 août 2007, R.G. 47.364

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 27 août 2007, la Cour du travail de Bruxelles estime que, faute d’un lien de subordination ou d’une relation statutaire, l’accident survenu à un prisonnier au cours du travail pénitentiaire exécuté par ce dernier ne peut être considéré comme un accident du travail.

Les faits

M. W, détenu dans un établissement pénitentiaire, est occupé au sein de l’atelier de la prison. Il est victime d’un accident du travail le 6 juin 2001 : sa main est prise dans un cylindre de la machine qu’il manipulait. Il en résulte une section du tendon du pouce gauche, nécessitant deux interventions chirurgicales.

Les frais médicaux sont pris en charge par l’Etat belge mais aucune réparation n’est accordée pour le dommage causé par l’accident, lequel a diminué la capacité de travail de M. W.

Il introduit alors une procédure devant les juridictions du travail, mettant à la cause l’Etat belge et le Fonds des Accidents du Travail. Il demande que les faits soient reconnus constitutifs d’accident du travail ainsi que sollicite le bénéfice de la réparation du dommage subi dans le cadre de la loi sur les accidents du travail, secteur public (loi du 3 juillet 1967).

Le Tribunal du travail de Nivelles lui donne raison, estimant qu’il y a accident du travail. Un médecin expert est désigné.

L’Etat belge interjette appel de cette décision.

Position des parties

M. W. appuie sa demande en faisant valoir l’existence d’un contrat de travail le liant à l’Etat belge. Selon lui, le travail effectué au sein de l’atelier de son lieu d’incarcération l’a été dans le cadre d’un lien de subordination. A titre subsidiaire, il estime que doit lui être reconnu le statut d’agent auxiliaire. A titre plus subsidiaire, en cas de non application de la loi du 3 juillet 1967, il demande le renvoi de la cause devant le Tribunal de 1re instance.

L’Etat belge, partie appelante, demande la réformation du jugement. Il conteste l’existence d’un contrat de travail ainsi que la qualification d’agent auxiliaire revendiquée par l’intéressé.

Le F.A.T. demande sa mise hors cause, le litige ne concernant pas la loi du 10 avril 1971 (réglementation accident du travail secteur privé).

Décision de la Cour

La Cour rappelle tout d’abord que, pour bénéficier de la loi du 3 juillet 1967, M. W. doit démontrer soit l’existence d’un contrat de travail, soit sa qualité d’agent statutaire.

Quant à l’existence d’un contrat de travail, la Cour constate que le travail pénitentiaire a pour origine l’article 30ter du Code pénal, qui impose la mise au travail des condamnés visés, qui présente donc un caractère obligatoire.

La Cour examine ensuite les dispositions applicables au travail pénitentiaire à l’époque des faits (chapitre VI de l’A.R. du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires). Elle relève qu’il s’agit de dispositions similaires à celles contenues dans la loi du 12 janvier 2005.

En vertu de ces dispositions, la Cour relève que

  • le consentement d’aucune des parties (prisonnier / Etat belge) n’est requis,
  • la force de travail du prisonnier est utilisée à des fins différentes que celles de la production ou des échanges économiques (la finalité étant de procurer une occupation, l’acquisition ou le maintien de l’aptitude à l’exercice d’une activité professionnelle, procurer un revenu, adoucir la détention),
  • le détenu n’a pas la liberté de disposer à sa guise des revenus procurés par le travail,
  • l’aspect disciplinaire est bien plus fort que dans une relation de travail « classique », la suspension ou la suppression du travail étant conçue comme une punition.

En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas de relation contractuelle entre le détenu et l’Etat.

Quant à l’existence d’un lien statutaire, la Cour le rejette du fait des particularités relevées ci- avant. Elle retient que le travail, tel qu’il est organisé en prison, n’est pas celui d’un fonctionnaire ou d’un agent auxiliaire.

Aucun fondement à l’application de la loi du 3 juillet 1967 n’étant retenu, la Cour réforme le jugement. La Cour accède cependant à la demande de renvoi vers le Tribunal de 1re instance, vu l’incompétence des juridictions du travail pour connaître du litige en indemnisation de l’accident.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision réside dans les développements consacrés par la Cour à l’application de la loi du 3 juillet 1967 aux détenus mis au travail. L’on relève que c’est essentiellement sur la base de la nature spécifique et la finalité de l’occupation des prisonniers que l’existence d’un contrat de travail n’est pas retenue.


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