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Harcèlement au travail par un collègue de travail : règles de responsabilité dans le secteur public

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. 2010/AB/1.187 et 2011/AB/20

Mis en ligne le mardi 13 mai 2014


Cour du travail de Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. n° 2010/AB/1.187 et n° 2011/AB/20

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles régissant la mise en cause de la responsabilité d’un agent statutaire pour les fautes commises dans l’exécution de son travail.

Rétroactes

Saisie d’un appel contre un jugement du Tribunal du travail de Nivelles, qui avait condamné un CPAS ainsi qu’un de ses agents statutaires solidairement au paiement de 25.000€ au titre de dommage moral pour faits de harcèlement, la Cour du travail de Bruxelles statue dans ce dossier en deux temps.

Elle a rendu un premier arrêt en date du 31 juillet 2012, dans lequel elle a jugé qu’il y avait présomption de harcèlement moral dans le chef d’une agente statutaire et que celle-ci n’établissait pas le contraire. De tels faits ne sont cependant pas établis à l’égard de membres du Conseil de l’action sociale que l’intéressé avait également mis en cause.

Dans l’arrêt annoté, la cour statue dans le cadre d’une réouverture des débats, portant essentiellement sur les responsabilités et le dommage subi.

Position de la cour du travail

La cour écarte, dans un premier temps, et ce définitivement la réclamation de l’intéressé vis-à-vis des Conseillers de l’action sociale, question sur laquelle elle a réexaminé certains faits.

Par contre, elle s’attache longuement à la question de la responsabilité de l’agente statutaire. Pour la cour, il faut se référer à la loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes publiques.

Ces agents ne répondent que de leur dol et de leur faute lourde. Il en va de même de la faute légère, à caractère habituel et non accidentel.

Il s’agit d’une immunité partielle, comme le relève la cour, pour les dommages causés dans l’exercice des fonctions. Il faut dès lors en premier lieu établir le dol ou la faute (faute lourde ou faute légère à caractère habituel). Cette preuve doit être apportée selon le droit commun de la preuve et la cour souligne que ceci ne peut se faire par application de la présomption prévue à l’article 32undecies de la loi du 4 août 1996. Il ne suffit dès lors pas de constater que l’agente est présumée avoir harcelé le demandeur et qu’elle ne prouve pas le contraire pour que sa responsabilité soit engagée, puisqu’il faut que le dol ou la faute qualifiée ci-dessus soit avérée.

La cour va dès lors pointer les actes posés par celle-ci, qui ont porté atteinte à l’autorité de l’intéressé de diverses manières, tous actes posés dans l’exercice de ses fonctions de secrétaire du CPAS.

La responsabilité de l’intéressée est dès lors engagée et peu importe qu’une part de cette responsabilité dans les faits incombe au CPAS, qui aurait laissé se développer un climat malsain. Pour la cour, ceci est sans incidence sur la responsabilité en elle-même au niveau de l’obligation à la dette.

Quant au Centre lui-même, il est, conformément à l’article 3 de la loi du 10 février 2003, responsable des dommages causés à des tiers par les membres du personnel statutaire dans l’exercice de leurs fonctions. Pour la cour, il s’agit de la même règle que celle régissant la responsabilité des commettants par rapport aux dommages causés par leurs préposés.

La cour écarte la position du CPAS selon laquelle il ne pourrait être tenu responsable, les faits de harcèlement étant une infraction pénale. Cette question n’est, pour la cour, pas pertinente, la loi du 10 février 2003 (applicable en l’espèce) s’appliquant également aux infractions. En outre, elle relève que la notion de harcèlement visée à l’article 32ter, 2° de la loi du 4 août 1996 n’est pas similaire à celle de l’article 442bis du Code pénal, la notion en matière sociale étant plus large, vu qu’elle ne requiert pas, essentiellement, un critère intentionnel, la loi visant également des conduites involontaires. Elle relève encore que les règles de preuve sont fondamentalement différentes.

Il ne peut, par ailleurs, pas être contesté que l’intéressée a agi dans l’exercice de ses fonctions. Vu le renvoi fait par la loi à la responsabilité des commettants, il faut examiner la question comme si l’on se trouvait dans le cadre de l’article 1384, alinéa 3 du Code civil.

Ce n’est qu’en cas d’abus de fonction que le commettant (et de même la personne publique) serait dégagé de toute responsabilité et ce à trois conditions, étant que l’agent aurait agi hors des fonctions auxquelles il était employé, et ce sans autorisation et encore à des fins étrangères à ses attributions. Tel n’est pas le cas en l’espèce et la cour conclut qu’il y a coexistence de la responsabilité personnelle de l’agente et du CPAS du fait de ses agents. En conséquence il y a obligation à indemnisation in solidum.

La cour en vient ensuite à l’examen du quantum, étant que les atteintes portées à l’environnement professionnel (rendu intimidant, hostile et offensant) ainsi qu’à la carrière constituent un préjudice de nature essentiellement morale.

Il faut dès lors recourir à l’équité et à la méthode de réparation forfaitaire.

La cour va fixer le préjudice ainsi subi à 7.500€, eu égard au faits retenus et à leurs conséquences. Elle souligne qu’il faut écarter les faits postérieurs à la fin du contrat de travail dans la mesure où ils sont étrangers au harcèlement et qu’il faut se restreindre aux faits établis.

Enfin, elle alloue les intérêts compensatoires sur cette somme, à partir de septembre 2007 (date fixée par l’intéressé), le taux suivant celui de l’intérêt légal.

Les intérêts moratoires sont également dus, et ce à la fois sur le principal et sur les intérêts compensatoires.

Intérêt de la décision

Cet arrêt contient peu de développements sur le harcèlement lui-même, cette question ayant été examinée dans une précédente décision du 31 juillet 2012. Il présente cependant un intérêt bien spécifique, étant de déterminer les conditions de responsabilité d’un agent statutaire, et ce eu égard aux dispositions de la loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes publiques. S’agissant d’un parallèle avec la responsabilité des commettants, la cour conclut à la coexistence des deux responsabilités et prononce dès lors une condamnation in solidum.


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