Terralaboris asbl

Allocations aux personnes handicapées et charge de la preuve de la catégorie à laquelle appartient la personne handicapée

Commentaire de Cass., 18 novembre 2013, n° S.12.0070.F

Mis en ligne le lundi 19 mai 2014


Cour de cassation, 18 novembre 2013, R.G. n° S.12.0070.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 novembre 2013, la Cour de cassation rappelle les règles de preuve de l’existence d’un ménage dans le cadre de l’octroi des prestations aux personnes handicapées, soulignant qu’il y a répartition de la charge de la preuve.

Les faits

Depuis décembre 2005, Mme G. vit avec une dame qui n’est ni sa parente ni son alliée au premier, deuxième ou troisième degré. Il est constant qu’elles ont leur résidence principale à la même adresse.

Par une décision du 25 novembre 2008, l’administration des prestations aux personnes handicapées revoit d’office le montant de l’allocation d’intégration en plaçant la dame G. en catégorie A avec effet au 1er novembre 2005. Une décision lui notifiant la récupération d’un indu pour la période allant de novembre 2005 à novembre 2008 est également prise. Pour l’administration, la dame G. ne pouvait prétendre à la catégorie C (soit celle des personnes vivant en ménage) dès lors qu’elle ne déposait aucun document permettant de considérer qu’elle ferait avec l’autre dame « pot commun » de leurs charges principales.

Ces décisions ont été contestées par l’administratrice des biens de Mme G. Le tribunal, puis la cour du travail de Mons, dans un arrêt du 7 mars 2012, ont confirmé les décisions administratives.

L’administratrice des biens de la dame G. s’est pourvue en cassation.

La première branche du moyen de cassation invoquait la violation de la présomption légale prévue par le deuxième alinéa de l’article 7, § 3, de la loi du 27 février 1987 dans sa version applicable au litige, à savoir après sa modification par l’article 157 de la loi-programme du 9 juillet 2004. Aux termes de cette disposition, l’existence d’un ménage est présumée lorsque deux personnes au moins qui ne sont pas parentes ou alliées au premier, deuxième ou troisième degré ont leur résidence principale à la même adresse. La preuve du contraire peut être apportée par tous les moyens possibles par la personne handicapée ou par la direction de l’administration des prestations aux personnes handicapées.

Décision de la Cour de cassation

La Cour accueille la première branche du moyen.

Elle rappelle que l’article 4, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 6 juillet 1987 relatif à l’allocation de remplacement de revenu et à l’allocation d’intégration définit comme appartenant à la catégorie C les personnes handicapées qui sont établies en ménage et que la catégorie A est celle des personnes qui n’appartiennent ni à la catégorie B ni à la catégorie C. Lorsque deux personnes qui ne sont ni parentes ni alliées au premier, deuxième ou troisième degré forment un ménage, l’allocation de remplacement de revenu ne peut être accordée si le revenu de la personne handicapée et celui de la personne avec laquelle elle forme un ménage dépasse un certain montant. L’article 7, § 3, alinéa 1er définit le ménage et son alinéa 2 présume l’existence d’un ménage lorsque ces personnes ont leur résidence principale à la même adresse.

La Cour de cassation relève que « l’arrêt recherche si M. G. est établie en ménage avec A. P., avec laquelle elle vit et dont elle n’est ni parente ni alliée à un degré qui, selon l’arrêt, exclurait cette qualification. Il considère que la notion de ménage peut recevoir deux définitions : il s’agit pour deux personnes qui ne sont ni parentes ni alliées, ou bien, de vivre sous le même toit en couple, ou bien, de vivre sous le même toit et de régler en commun les questions ménagères. Sans trancher cette contestation, il énonce, d’une part, que les intéressées ne forment pas un couple et, d’autre part, qu’elles ne constituent pas « un ménage » au motif que (l’administratrice provisoire des biens de Mme G.) ne dépose aucun document permettant de confirmer que les deux dames faisaient « pot commun » pour leurs charges principales ».

Le raisonnement de l’arrêt revient ainsi à exclure que la dame G. soit établie en ménage au motif qu’elle n’en rapporte pas la preuve alors que, suivant les constatations de l’arrêt, les personnes ont leur résidence principale à la même adresse. L’arrêt attaqué viole ainsi l’article 7, § 3, alinéa 2, de la loi.

Intérêt de la décision commentée

La répartition de la charge de la preuve présente en l’espèce une importance déterminante. La personne handicapée qui établit avoir la même résidence principale qu’une autre personne dont elle n’est ni parente ni alliée au premier, deuxième ou troisième degré, n’a pas d’autre preuve à apporter à l’appui de sa prétention qu’elle forme un ménage avec une autre de ces personnes.

Au-delà de cette question, l’arrêt attaqué est révélateur du malaise des juges quant à la définition du ménage dans la matière des allocations pour personnes handicapées. Ainsi que le rappellent M. Dumont et N. Malmendier (Guide social permanent, Commentaires, Droit de la sécurité sociale, Titre II, Chapitre IV, Partie III, Livre II, n° 500 et ss.), l’article 7, §2, de la loi tel que modifié par la loi-programme du 24 décembre 2002 avait défini le ménage comme étant toute cohabitation de personnes qui forment une entité économique du simple fait que ces personnes supportent en commun, principalement, les frais journaliers pour assurer leur subsistance et avait édicté une présomption, réfragable, selon laquelle l’existence d’un ménage est présumée lorsque plusieurs personnes ont leur résidence principale à la même adresse.

Le législateur est rapidement revenu en arrière puisque la loi-programme du 9 juillet 2004 a changé, avec effet à la date du 1er juillet 2004, la définition pour en revenir à la situation antérieure tout en veillant à supprimer les discriminations fondées sur le sexe (cf. à cet égard l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, n° 123/2004 du 7 juillet 2004).

Depuis cette modification, il y a lieu d’entendre par ménage toute cohabitation de personnes qui ne sont pas parentes ou alliées au premier, deuxième ou troisième degré, cette cohabitation étant présumée du fait que la résidence principale de ces personnes est à la même adresse.

L’arrêt attaqué avait relevé – sans trancher la question – que la notion de ménage pouvait se définir sous l’angle économique, étant de vivre sous le même toit et de régler en commun les questions ménagères même sans vivre en couple, ou se définir comme vivre à deux sous le même toit en couple ; qu’un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 29 novembre 2010 a opté pour une définition économique du ménage, donc sans référence à une vie de couple et que, dans le dossier que la cour du travail de Mons était amenée à trancher, l’administration soutenait la position inverse de celle qu’elle avait soutenue dans le litige devant la cour du travail de Bruxelles.

La Cour de cassation ne tranche que la question de la preuve de la condition de former un ménage, compte tenu de la présomption légale que deux personnes vivant à la même adresse sans être ni parentes ni alliées au degré requis sont présumées former un ménage.

Selon M. Dumont et N. Malmendier, pour qu’il y ait ménage, il faut qu’il y ait cohabitation, ce qui implique un partage des charges et une mise en commun des ressources et c’est à la partie qui veut renverser cette présomption d’apporter la preuve contraire par tous les moyens de preuve possibles.


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